New York : Un militant palestinien prône la paix sur les campus où le conflit fait rage
De passage à la City University of NY, le professeur Mohammed Dajani a mis en garde contre « l'importation du conflit sur le campus » et invité au dialogue et à la réconciliation
NEW YORK – L’universitaire palestinien Mohammed Dajani fait face à de violentes critiques pour avoir prêché la paix et la réconciliation avec Israël. Emmener ses étudiants découvrir Auschwitz a mis fin à sa carrière universitaire, les autorités palestiniennes ont condamné ses activités, ses ouvrages ont été retirés des bibliothèques et il a été interdit sur certains campus étrangers.
Cela ne l’a pas empêché de continuer à porter son message, comme lors de ce déplacement, la semaine passée, à l’université publique de New York, où le conflit israélo-palestinien est un sujet explosif, qui suscite des débats houleux doublés d’une intense polémique.
« Si on croit que ce que l’on fait est bon, alors il faut le faire en dépit des obstacles », a expliqué Dajani aux étudiants de la City University of New York (CUNY), la semaine dernière, les invitant à jeter des ponts avec les autres, pas à les brûler. « J’aimerais que le dialogue porte sur la façon de parvenir à la paix, plutôt que de consister à dire ‘Vous avez fait ceci, j’ai fait cela’ », a-t-il déclaré.
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L’énorme université publique, installée depuis longtemps en ville, est depuis quelques années aux prises avec un antisémitisme semble-t-il généralisé : étudiants et professeurs juifs signalent des faits de harcèlement et des discriminations contre lesquels ils exigent des actions de la part de l’administration. L’essentiel du problème vient du conflit israélo-palestinien : les étudiants sionistes affirment que les activités anti-israéliennes virent souvent à l’antisémitisme, et les militants pro-palestiniens parlent de remise en cause de leur liberté d’expression. Cette querelle renvoie plus globalement à la critique d’Israël sur les campus américains et à la centralité du sionisme dans l’identité juive.
Les principales organisations juives, parmi lesquelles l’Anti-Defamation League et l’American Jewish Committee, ont condamné les récentes décisions de l’administration de la CUNY, et les représentants au niveau municipal et national ont demandé des mesures pour lutter contre les discriminations.
Le ministère américain de l’Éducation a ouvert une enquête sur l’antisémitisme au Brooklyn College, où Dajani a organisé un événement en 2022 et la CUNY a pris des mesures pour régler le problème.
Un collectif de professeurs juifs engagés dans la lutte contre l’antisémitisme sur le campus, CUNY Alliance for Inclusion (CAFI), a invité Dajani à faire entendre sa voix, toute en modération, au plus fort des tensions.
« La seule façon d’avancer est de faire en sorte que les gens se parlent. C’est en cela que son message est important et héroïque », estime Azriel Genack, professeur de physique au Queens College de CUNY, qui a organisé la venue de Dajani. « Il n’y aura d’avenir positif pour les Palestiniens – comme pour n’importe qui d’autre – que s’il y a dialogue. »
Ex-extrémiste palestinien originaire de Jérusalem, Dajani est porteur d’un message de tolérance et de réconciliation qui lui a attiré les foudres de certains Palestiniens et de leurs partisans. Il est connu pour être allé, avec ses étudiants de l’Université palestinienne Al-Quds, visiter le camp de concentration d’Auschwitz, en 2014, dans le cadre d’un voyage conçu pour favoriser l’empathie. Professeur de tout premier plan à l’université Al-Quds, il en a été évincé en raison de ce déplacement.
Il a fait campagne avec d’éminents Israéliens, a condamné l’antisémitisme au sein des autorités palestiniennes et a écrit un livre en arabe sur la Shoah. En 2018, on l’a empêché d’assister à une conférence dans une université sud-africaine du fait de ses positions jugées pro-israéliennes.
Dajani est également le fondateur de « Wasatia » (ce qui signifie « modération » ou « voie du milieu » en arabe), mouvement pacifiste palestinien de Jérusalem spécialisé dans la déradicalisation des jeunes grâce à l’étude des sources de l’Islam et au dialogue interreligieux.
Il a délivré son message à la CUNY, où le dialogue sur le conflit est difficile et les événements propices à la coexistence, rares. Des organisations étudiantes pro-palestiniennes organisent régulièrement des manifestations qui plaident en faveur de la destruction d’Israël, d’une « Intifada mondiale » et de l’ostracisme des sionistes, sans compter les violences contre les Juifs. Les deux derniers orateurs de la faculté de droit de CUNY s’en sont ouvertement pris à Israël avec des propos perçus comme antisémites, qui ont provoqué un tollé jusqu’au niveau national. Le syndicat des professeurs de la CUNY est un critique sévère d’Israël qui s’est prononcé en faveur du mouvement anti-israélien Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
« L’atmosphère sur les campus américains engendre tensions et divisions. Les organisations juives et musulmanes n’ont aucune forme de dialogue entre elles. Avec cet appel au dialogue interreligieux, j’ai voulu indiquer une voie pour combler le fossé qui les sépare », a déclaré Dajani. « Le campus de CUNY rassemble des étudiants de toutes origines ethniques et religieuses : tisser des liens d’amitié est de loin préférable à l’idée de vivre dans un environnement hostile et plein de haine. »
Dajani a abordé l’antisémitisme dans le monde arabe et la psychologie politique et s’est entretenu avec des professeurs à l’occasion de son déplacement de deux semaines à New York. Il s’est également rendu à l’Université de New York, institution privée non affiliée à la CUNY, où il a donné une conférence sur l’enseignement de la Shoah aux Palestiniens. Deux doyens d’Université au moins ont assisté à ces événements, au cours desquels le président du Queens College, Frank Wu, a remis à Dajani un prix spécial pour son engagement.
Jerusalem-born Palestinian scholar & passionate peace activist Mohammed S. Dajani Daoudi received the college’s Excellence in Leadership Award.
Read more about his dedication to reconciliation in #TheQView: https://t.co/Gi62AUNfF3. pic.twitter.com/8Pmwdqspuo
— Queens College Today (@QCToday) October 2, 2023
Après son passage à New York, Dajani s’est rendu à Washington, DC pour prendre la parole à l’Université George Washington et à l’Université de Georgetown.
Son déplacement à la CUNY a été financé par CAFI et le Sandra K. Wasserman Jewish Studies Center du Baruch College. Ilya Bratman, directeur du campus Hillel, et le professeur Manfred Philipp du CUNY Graduate Center, ont eu une part active dans son organisation. L’administration de la CUNY n’a pas pris part aux préparatifs.
« Nous voulions montrer que la CUNY n’est pas monolithique. Dans les journaux, on lit des choses, notamment à propos des condamnations d’Israël, mais beaucoup de gens souhaitent entendre d’autres choses », a déclaré Genack.
Jeudi, au Brooklyn College, Dajani s’est entretenu avec le rabbin Jill Jacobs, cheffe de l’organisation de défense des droits rabbiniques T’ruah, axée sur l’empathie et la réconciliation et parrainée par le département d’études judaïques. Plusieurs dizaines d’étudiants et professeurs ont assisté à cette discussion qui a duré deux heures.
« Les gens me demandent : « Pourquoi es-tu optimiste ? » a dit Dajani. « Je leur réponds que je suis optimiste parce que j’ai laissé le passé derrière moi, le présent aux historiens et que je m’occupe de l’avenir. »
« Nous avons hérité ce conflit de nos grands-parents, et il est de notre devoir de planter des graines d’amour, des graines de paix, afin de laisser un héritage différent à nos petits-enfants », a-t-il ajouté.
Le public était essentiellement composé d’étudiants juifs, mais Genack a assuré que les autres événements avaient attiré un échantillon représentatif des étudiants de la CUNY et avaient été plutôt bien accueillis, même si les militants pro-palestiniens semblent avoir évité la question. Il n’y a pas eu de manifestations, à l’exception d’une étudiante palestinienne furieuse qui a dit à des étudiants que Dajani leur « lavait le cerveau ».
« Elle était venue, sans doute persuadée que je parlerais du récit collectif des Palestiniens, et quand elle s’est aperçue qu’il n’en était rien, elle s’est fâchée et est partie », a expliqué Dajani, qui a invité les étudiants à ne pas « importer le conflit sur le campus ».
« Au lieu de s’affronter l’un l’autre – les musulmans ne veulent pas écouter ce qu’ont à dire les juifs et les juifs ne veulent pas parler aux musulmans –, ce qui nuit à la cause, la meilleure façon d’agir est d’être pour la paix et la coopération », a-t-il expliqué.
« Les gens qui ne vivent pas dans cet environnement peuvent jouer un rôle très important en nous apportant les concepts de réconciliation et de paix, au lieu de nourrir le conflit en soutenant un camp contre l’autre », a-t-il continué.
Jacobs s’est inscrit dans son sillage en disant au public : « Je vous encourage simplement à faire preuve d’ouverture d’esprit et accepter la possibilité que l’histoire d’autrui soit aussi vraie que la vôtre, sans pour autant que ce soit une menace. »
Dajani a plaidé pour l’autonomisation de la société civile palestinienne, en adoptant une approche à long terme pour lutter contre l’extrémisme des deux côtés, en acceptant que les deux parties qui revendiquent cette terre la partagent, et en encourageant l’éducation pour mettre fin au conflit. Il a cité l’ONG israélienne Women Wage Peace, dont le partenariat avec l’organisation palestinienne Women of the Sun est un exemple d’action positive sur le chemin de la réconciliation.
« Les artisans de la paix palestiniens et israéliens risquent leur vie pour faire advenir la paix en plein conflit. On devrait davantage parler de ce qu’ils font pour insuffler l’espoir aux jeunes Américains sur les campus universitaires et leur donner envie de porter la bannière de l’unité et de la paix, et non celle des divisions, en soutenant une partie contre l’autre. C’est un message d’espoir », a conclu Dajani. « Nous avons besoin de gens ici pour parler de la paix et la faire advenir. »
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