Nombreuses sur le champ de bataille, les femmes risquent leur vie avec des uniformes faits pour des hommes
Un cinquième des soldates se battent avec des équipements - vêtements, gilets et autres - inadaptés à leur physique, ce qui est source de problèmes de sécurité et d'efficacité

Ces dernières années, contre toute attente, les femmes ont fait leur entrée dans toutes les activités militaires, du combat à la conduite de chars. Mais quelque chose demeure toujours inadapté : ce sont les uniformes, bottes et autres équipements tactiques conçus pour des hommes et que l’armée force les femmes à utiliser.
Selon l’armée israélienne, en 2024, plus d’un soldat de combat sur cinq était une femme. Ce qui n’empêche pas ces dernières de continuer à recevoir des équipements conçus pour la morphologie masculine, même s’ils sont de petite taille. Leur coupe n’est pas adaptée au corps féminin et, bien souvent, il est impossible de retoucher quoi que ce soit.
Malgré la forte augmentation du nombre de combattantes, l’armée israélienne n’a pas encore conçu d’équipement de combat qui leur soient adaptés, contrairement à d’autres armées, ailleurs dans le monde, qui ont pris des mesures pour correctement vêtir les femmes soldats.
Le problème va au-delà du confort ou de l’apparence, expliquent les experts de la question. En effet, des gilets de protection ou des casques mal ajustés peuvent exposer les soldates au danger, des équipements trop lourds les fatiguer inutilement et des uniformes mal coupés entraver leurs mouvements.
Les équipements conçus pour des corps féminins permettent à celles qui les portent de gagner en précision pour atteindre leurs cibles, de limiter les risques de blessures à l’entraînement et de mieux les protéger face aux éclats d’obus.
« Il faut très sérieusement faire quelque chose au sujet des équipements féminins afin de leur garantir une protection maximale, comme celle dont jouissent les soldats de sexe masculin, et il faut leur permettre de remplir leur mission sans le handicap d’équipements mal adaptés », explique Gali Norkin, dirigeante de la marque israélienne Source Tactical Gear, fabricant de gilets de protection pour femmes adoptés par les armées de plusieurs pays, mais pas par l’armée israélienne.
S’agissant des uniformes, le problème vient du design. Au niveau de l’entrejambe, les uniformes standard forment une sorte de sac lorsqu’ils sont portés par des femmes, leur taille n’est pas marquée et les manches sont disproportionnées car les bras des femmes sont généralement plus courts que ceux des hommes.

Généralement, ce sont les proches des femmes soldats de Tsahal qui font faire des retouches aux uniformes lorsqu’elles sont de passage pour le week-end. Presque tous les quartiers d’Israël ont un tailleur ou une couturière qui ourle et qui coud pour une clientèle toujours plus composée de jeunes femmes soldats. Lorsque les uniformes se déchirent ou s’effilochent et qu’elles en reçoivent un nouveau, il faut tout recommencer.
Alors que le Times of Israel lui demande si elle avait réclamé un uniforme adapté à sa morphologie ou si ses bottes étaient confortables, une femme soldat répond avec désinvolture : « Je m’en fiche. Je gère, ça peut aller. »
Cette réponse, qui n’a rien d’exceptionnel, est à l’image de l’attitude de nombreuses femmes soldats de combat. Ces dernières se sont souvent hissées à ces postes malgré l’opposition de leurs proches – allant des critiques directes de leurs parents aux moqueries de leurs amis. Comme en témoignent des affaires très médiatiques, des femmes soldats ont dû se frayer un chemin dans l’armée israélienne avec l’aide d’un avocat et par le biais d’un recours auprès de la Cour Suprême.
Les recours et autres débats internes qui ont agité Tsahal ont principalement porté sur la question de savoir si les femmes répondaient aux normes requises pour le combat d’active. Les discussions ont porté sur les différences en termes de masse musculaire et de capacité à escalader les murs, d’embarquer et de porter de lourdes charges.

Mais on s’est rarement demandé dans quelle mesure les performances des femmes à l’entraînement seraient améliorées grâce à des équipements adaptés à leur morphologie.
Lors d’une récente réunion à la Knesset, le major Sapir Barabi, officier supérieur de la Direction des ressources humaines de Tsahal, a révélé que le nombre de femmes soldats de combat avait été multiplié par dix entre 2012 et 2024.
« Aujourd’hui, les femmes représentent 20,9 % de la force de combat de Tsahal – un chiffre sans précédent », a déclaré Barabi. « Nous enregistrons également une forte croissance au niveau des unités technologiques, mais la plus importante concerne les femmes combattantes. »
Une coupe pour tous
Jusqu’à récemment, la plupart des soldats de combat de Tsahal recevaient des uniformes standard lors de leur incorporation – une chemise avec des poches avant et un pantalon cargo en tissu épais et résistant. Ces uniformes sont encore utilisés dans la plupart des unités, mais au fil du temps, un nouveau modèle a été introduit, celui de l’uniforme tactique.
Lorsque l’armée israélienne a lancé son programme pilote d’uniformes tactiques – d’abord au sein des unités spéciales, ensuite dans toutes les unités de terrain – elle a écrit sur son site Internet qu’il s’agissait d’« uniformes de survie », fabriqués dans un tissu ignifugé capable de s’éteindre tout seul en cas d’incendie et par ailleurs conçus pour évacuer la transpiration et maximiser le confort – autant d’avantages évidents sur le terrain.
Les femmes soldats de Tsahal reçoivent les mêmes uniformes que leurs collègues masculins, mais dans des tailles plus petites. La coupe, elle, reste la même.

Les grandes poches de l’uniforme ajoutent du poids sur la poitrine, les proportions des manches ne conviennent pas, la chemise, trop large à la taille, a tendance à sortir du pantalon, et la coupe, dans son ensemble, n’épouse pas la morphologie féminine. Il en va de même pour les uniformes tactiques – la coupe est la même que celle des hommes.
L’unité du porte-parole de Tsahal confirme que bien que les uniformes soient disponibles en 10 tailles, les coupes sont les mêmes pour les hommes et es femmes. Exceptionnellement, ajoute le porte-parole, les soldats pour lesquels les tailles disponibles sont trop petites ou trop grandes peuvent avoir un uniforme sur mesure grâce au service de couture désigné par Tsahal.
Originaire de Beit Jann, Maquette, le plus grand fournisseur d’uniformes de Tsahal, confirme que les uniformes d’aujourd’hui ne sont pas coupés différemment pour les soldats de sexe masculins ou féminins – tout le monde a le même. Seuls les uniformes de cérémonie des officiers de carrière bénéficient de coupes différentes selon le sexe.

« S’agissant des nouveaux uniformes tactiques, nous sommes encore en phase de développement et d’adaptation, mais à ce jour, il n’y a pas d’uniformes spécifiques pour les femmes », explique Kanj Kablan, PDG de Maquette. « Sur les uniformes de base, il n’y a pas de coupe féminine – uniquement le modèle que nous connaissons tous, l’uniforme de style cargo. Ceux-ci sont distribués aux soldats de combat, hommes et femmes. Au niveau des uniformes de ville ou de cérémonie des soldats de carrière, il y a une différence de coupe entre les publics masculins et féminins. »
Certaines armées disposent d’ores et déjà d’uniformes de combat adaptés à la morphologie féminine. C’est par exemple le cas de l’armée américaine, avec des uniformes tactiques adaptés à la protection des femmes, notamment au niveau du buste.
Des acquis
Il y a de cela quelques années, la police israélienne a diffusé une vidéo annonçant la distribution de nouveaux gilets de protection spécifiquement conçus pour les femmes.
Selon la police, le gilet, créé par la Division des opérations de la police, présente une couche protectrice, douce au contact, qui protège des coups de feu et des attaques au couteau – autant de menaces caractéristiques envers les policiers. En outre, le poids des composants céramiques a été réduit d’environ 20 %.

Mais dans l’armée, les femmes soldats continuent de percevoir le gilet de combat standard, fait pour les hommes, explique le porte-parole de Tsahal. Seules les plaques en céramique sont ajustées, de façon à s’adapter à l’anatomie féminine.
Marom Dolphin, le principal fournisseur de gilets de Tsahal et fabricant du gilet Amran, gilet balistique tactique modulaire destiné à arrêter les balles et les éclats d’obus, confirme le caractère unisexe de cet équipement de protection.
Arik Elazar, le PDG de l’entreprise, explique au Times of Israel que toutes les recrues reçoivent désormais un nouvel équipement au moment de leur incorporation et qu’une version améliorée du gilet Amran a été développée – pour mieux s’adapter au corps, pour permettre une meilleure mobilité et un dégagement rapide.

Selon Elazar, il existe une version créée spécifiquement pour les femmes – « Amran for Women » – conçue sur la base des spécifications de Tsahal. L’armée précise que les modifications portent essentiellement sur les dimensions et sur l’utilisation de plaques céramique de plus petite taille.
Source, un autre fournisseur de gilets militaires qui vend partout dans le monde, y compris au Royaume-Uni et à Chypre, explique qu’il existe une version améliorée du gilet de protection spécial femmes — mais que Tsahal ne l’a pas encore adopté.
Source Tactical Gear, entreprise sœur de la célèbre marque israélienne, plus connue localement sous le nom de Shoresh pour ses chaussures et sacs à dos, a mené une étude exhaustive auprès de 55 femmes soldats appartenant à plusieurs unités de l’armée israélienne. L’étude a consisté en des entretiens approfondis avec ces femmes, à l’organisation de groupes de discussion et de débats ouverts qui sont destinés à mieux comprendre l’expérience des femmes soldats avec le matériel fourni par l’armée israélienne.
Selon les chiffres tirés de cette étude, 98 % des participantes ont dit que personne n’avait pris leurs mensurations avant de leur remettre un gilet de combat. Le même pourcentage a indiqué qu’une seule taille de gilet était disponible.

Lorsqu’on leur a demandé si le gilet qui leur avait été remis leur allait, 90 % ont répondu par la négative et 10 % seulement positivement. Parmi celles qui ont répondu par la négative, 10 % ont pu l’échanger, 57 % ont dû faire leurs propres modifications et 33 % ont continué à l’utiliser malgré leur inadaptation.
Compte tenu de ces résultats, Source a développé un gilet de protection dédié aux combattantes et il a remporté un appel d’offres lancé par le gouvernement britannique pour fournir des gilets féminins à son armée dans le cadre du projet Virtus.
Avec ce nouveau gilet, une partie de la zone située entre l’épaule et la poitrine a été retirée pour exposer le creux de l’épaule, pour un transport plus confortable des armes. En outre, un panneau balistique comprimé a été mis au point pour régler le problème de la protection partielle de la poitrine chez les femmes soldats — problème dû à l’utilisation de panneaux plats qui ne se profilaient pas correctement au niveau du buste féminin.
Ce nouveau panneau balistique a été conçu pour offrir une meilleure couverture de la poitrine et de ses côtés, pour une assurer une bien meilleure protection.

Selon Norkin, vice-président de la gestion des programmes chez Source Tactical Gear, son entreprise fournit principalement des uniformes, des gilets et du matériel de protection aux militaires étrangers mais aussi, dans une certaine mesure, à l’armée israélienne.
« Dans d’autres pays, des mesures ont été prises pour adapter les gilets à la morphologie féminine », explique-t-il. « Il ne s’agit pas seulement de proposer un gilet de petite taille. Il s’agit de changements structurels apportés au gilet, et peut-être plus important encore, à la protection balistique intégrée. »
Norkin souligne que la protection du corps repose sur deux éléments : le premier est une armure dure, communément appelée plaque céramique et le second est une armure souple, conçue pour protéger des éclats d’obus. La majorité des blessures essuyées par les hommes et par les femmes soldats sont causées par des éclats d’obus et non par des tirs directs, ce qui nécessite de repenser la protection du corps des femmes et d’adapter les équipements de protection.
« Une plaque rigide insérée dans un gilet ‘masculin’ ne convient pas au buste d’une femme », poursuit Norkin. « Les plaques les étouffent, écrasent la poitrine. Des espaces se créent entre les plaques et le corps, qui sont autant de points faibles balistiques à travers lesquels une balle ou un éclat d’obus peut pénétrer. Il ne s’agit pas d’un simple inconfort ou d’une limitation de l’efficacité opérationnelle mais d’une protection nettement inférieure à celle dont bénéficient les soldats de sexe masculin. »

Selon Norkin, Source a proposé que Tsahal se dote d’équipements adaptés à la morphologie féminine, avec des plaques à la découpe spécifique et des armures souples adaptées à la morphologie féminine.
L’armée américaine a commencé à produire et à distribuer des gilets de protection spéciaux pour femmes dès 2021. Les gilets, chemises de protection et même protège-fesses spécifiquement conçus ont été mis au point et distribués aux femmes soldats à l’issue d’opérations de R&D menées par PEO Soldier, un bureau militaire américain chargé de la conception d’équipements de combat adaptés aux besoins des soldats masculins et féminins.

Quant aux casques, en Israël, la question n’a pas été abordée. L’armée américaine, en revanche, a développé un casque plus confortable pour la tête des femmes, compte-tenu de la longueur de leurs cheveux et de la nécessité de les attacher pour qu’ils ne se prennent pas dans les sangles ou la structure du casque.
Pour information, 3800 femmes environ occupent des positions de combat au sein de l’armée américaine et les femmes représentent en tout 16 % des effectifs totaux, un chiffre très inférieur à celui qui prévaut au sein de Tsahal, où la conscription obligatoire s’applique à toutes les femmes non religieuses.
Un petit pas pour les femmes
Selon une réponse de l’unité du porte-parole de Tsahal, « l’armée israélienne accorde une grande importance à l’amélioration des équipements fournis à ses personnels, hommes et femmes ».
« Compte tenu des opérations de combat et de l’augmentation du nombre de combattantes, un projet est en cours, au niveau de l’État-major, pour améliorer la qualité du service et l’expérience des femmes dans l’ensemble des forces armées et particulièrement dans les positions de combat. Il s’ajoute aux nombreuses mesures déjà prises pour mieux servir les femmes », poursuit la déclaration. « L’affirmation selon laquelle le service des femmes combattantes est considérablement entravé par les uniformes qu’elles reçoivent est erronée. Les combattantes reçoivent des uniformes tactiques adaptés à leur taille. »
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