Israël en guerre - Jour 570

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‘En tant que Palestinienne, en tant que personne éclairée, j’aurais peut-être agi différemment, avec un stylo, avec des mots écrits. Mais chacun a son propre moyen de résistance’

Pour la mère du terroriste du bus du Hamas, l’attaque de son fils était de « l’auto-défense »

Abed al-Hamid Abu Srour vient de devenir le premier kamikaze depuis des années. Alors que d’autres au camp de réfugiés local le célèbrent et que le Hamas rend hommage à son nouveau martyr, ses parents oscillent entre amertume et déni, mais n'hésite pas à accuser d’Israël

Avi Issacharoff est notre spécialiste du Moyen Orient. Il remplit le même rôle pour Walla, premier portail d'infos en Israël. Il est régulièrement invité à la radio et à la télévision. Jusqu'en 2012, Avi était journaliste et commentateur des affaires arabes pour Haaretz. Il enseigne l'histoire palestinienne moderne à l'université de Tel Aviv et est le coauteur de la série Fauda. Né à Jérusalem , Avi est diplômé de l'université Ben Gourion et de l'université de Tel Aviv en étude du Moyen Orient. Parlant couramment l'arabe, il était le correspondant de la radio publique et a couvert le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et l'actualité des pays arabes entre 2003 et 2006. Il a réalisé et monté des courts-métrages documentaires sur le Moyen Orient. En 2002, il remporte le prix du "meilleur journaliste" de la radio israélienne pour sa couverture de la deuxième Intifada. En 2004, il coécrit avec Amos Harel "La septième guerre. Comment nous avons gagné et perdu la guerre avec les Palestiniens". En 2005, le livre remporte un prix de l'Institut d'études stratégiques pour la meilleure recherche sur les questions de sécurité en Israël. En 2008, Issacharoff et Harel ont publié leur deuxième livre, "34 Jours - L'histoire de la Deuxième Guerre du Liban", qui a remporté le même prix

Azhar Abu Srour, la mère d'Abdel Hamid Abu Srour, 19 ans (sur l'affiche), qui a mené un attentat suicide dans un bus de Jérusalem le 18 avril, porte le deuil avec les membres de sa famille et reçoit des condoléances au centre Al-Ruwad du camp de réfugiés d'al-Ayda, le 22 avril 2016. (Crédit : AFP PHOTO / MUSA AL SHAER)
Azhar Abu Srour, la mère d'Abdel Hamid Abu Srour, 19 ans (sur l'affiche), qui a mené un attentat suicide dans un bus de Jérusalem le 18 avril, porte le deuil avec les membres de sa famille et reçoit des condoléances au centre Al-Ruwad du camp de réfugiés d'al-Ayda, le 22 avril 2016. (Crédit : AFP PHOTO / MUSA AL SHAER)

CAMP DE REFUGIES AL-AYDA, Bethléem – Nous entrons dans le camp de réfugiés Al-Ayda à pied. Nous sommes au nord de Bethléem, près de la barrière de sécurité et du Tombeau de Rachel. Des graffitis sur l’un des murs proclament « l’Etat du camp de réfugiés al-Ayda », soulignant sa séparation du reste du monde.

Il y a des affiches tous les quelques mètres sur les murs, montrant le « martyr » Abed al-Hamid Abu Srour, 19 ans, qui a mené l’attentat-suicide lundi dernier dans le bus 12 de Jérusalem. Vingt Israéliens ont été blessés, une adolescente de 15 ans, Eden Dadon, est grièvement blessée. Abu Srour a été le seul mort.

Les affiches montrent un beau jeune homme portant un t-shirt clair Giorgio Armani. La plupart des affiches montrées ici ne portent aucun symbole d’une organisation palestinienne, peut-être une sorte de réplique aux affiches du Hamas qui annonçaient que le terroriste était l’un d’entre eux.

Quand vous entrez dans la tente de deuil du centre de jeunesse d’Al-Ayda, les affiches du Hamas sont cependant partout. Les drapeaux verts du Hamas aussi, aux côtés des drapeaux jaunes du Fatah. « Le martyr héroïque » est immortalisé ici avec d’autres « martyrs » célèbres. Parmi eux, l’artificier du Hamas, « l’ingénieur », Yahya Ayyash.

La police inspecte un bus incendié à la suite d'une explosion à Jérusalem le 18 avril 2016. (Crédit : AFP PHOTO / AHMAD GHARABLI)
La police inspecte un bus incendié à la suite d’une explosion à Jérusalem le 18 avril 2016. (Crédit : AFP PHOTO/AHMAD GHARABLI)

Notre visite de dimanche a coïncidé avec la diffusion par le Hamas d’une courte vidéo montrant Abu Srour en uniforme du Hamas, lisant un texte pendant une visite dans la tente de deuil d’un proche, Srour Abu Srour, qui a été tué ici dans le camp il y a quelques mois. La diffusion de la vidéo est très délibérée. Juste après l’identification d’Abed comme le terroriste kamikaze, et l’ouverture de la tente de deuil, des activistes masqués du Hamas sont arrivés mais ont été jetés par les membres de la famille qui en voulaient au Hamas de profiter de la scène pour affirmer que le terroriste agissait en son nom.

Des hommes armés du Hamas embrassent sur la tête Azhar Abu Srour, la mère du terroriste kamikaze qui a fait explosé un bus à Jérusalem le 18 avril 2016. (Crédit : capture d'écran Deuxième chaîne)
Des hommes armés du Hamas embrassent sur la tête Azhar Abu Srour, la mère du terroriste kamikaze qui a fait explosé un bus à Jérusalem le 18 avril 2016. (Crédit : capture d’écran Deuxième chaîne)

Le lendemain, les hommes masqués du Hamas sont revenus, cette fois dans la zone des femmes, et ont embrassé Azhar, la mère d’Abu Srour, sur la tête, avant de partir précipitamment. Cette même nuit, certains d’entre eux ont été arrêtés par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. Pourtant, le Hamas a persisté à mettre en lumière l’affiliation d’Abu Srour.

L’ancien Premier ministre de Gaza, Ismail Haniyeh, a téléphoné depuis Gaza, et ses mots ont été diffusés en direct par des haut-parleurs dans la tente de deuil. La vidéo d’Abu Srour en uniforme du Hamas est par conséquent une manière de marteler que oui, ce jeune homme, avec ses vêtements chers, d’une famille aisée et respectée, était très certainement un membre de l’organisation islamiste. Le sujet du « crédit » est d’une grande importance quand il s’agit d’attentat-suicide.

Au moins deux Palestiniens de ce camp, des activistes du Hamas emprisonnés, faisaient partie des 1 027 prisonniers palestiniens libérés par Israël en 2011 dans l’échange qui a permis la libération du soldat israélien Gilad Shalit après cinq ans de captivité à Gaza. Les deux hommes ont été déportés à Gaza.

Depuis la bande, l’aile militaire du Hamas dirige son « unité de Cisjordanie », cherchant inlassablement à recruter des activistes et à y mettre en place une nouvelle infrastructure. Quand le Hamas a annoncé qu’Abu Srour était l’un de ses hommes, des centaines de jeunes hommes du camp ont organisé des marches de célébration, déclarant leur soutien au Hamas, et des femmes âgées jetaient des bonbons dans toutes les directions.

Rachel Dadon à l'hôpital Ein Kerem où elle est hospitalisée avec sa fille, Eden, après avoir été blessées dans l'explosion du bus de Jérusalem du 18 avril 2016. Rachel a été modérément blessée mais sa fille est dans un état critique. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)
Rachel Dadon à l’hôpital Ein Kerem où elle est hospitalisée avec sa fille, Eden, après avoir été blessées dans l’explosion du bus de Jérusalem du 18 avril 2016. Rachel a été modérément blessée mais sa fille est dans un état critique. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Si j’avais su ce qu’il comptait faire…

Dimanche après-midi, nous avons vu Hamad, le père du « martyr », se reposant dans une maison non loin de la tente de deuil. Ses filles et sa femme, Azhar, se trouvaient avec lui.

« Le jour où c’est arrivé, je n’ai pas pensé une minute qu’il était responsable, dit Azhar Abu Sour. Pas une seconde je n’ai imaginé que c’était mon Abed, il n’est tellement pas comme ça. »

« Il était le genre d’enfant qui me racontait une histoire entière, et la finissait, et j’étais certaine que c’était vrai. Et il se trouvait qu’il avait inventé toute l’histoire. Cela arrivait souvent, dit-elle. Je lui disais : ‘tu devrais être acteur’. Il était ce genre d’enfant. Deux jours avant l’évènement, son père m’a dit : ‘quand est-ce que ton fils va grandir ?’ Un enfant. Sa pensée était simple, puérile. »

Et pourtant, elle continue : « je suis éducatrice [elle est enseignante dans une école de Bethléem], et j’ai vu qu’il était très influencé par tout ce qu’il se passait autour de lui. »

Azhar Abu Srour, la mère d'Abdel Hamid Abu Srour, 19 ans, qui a mené un attentat suicide dans un bus de Jérusalem le 18 avril, le 22 avril 2016. (Crédit : AFP PHOTO / MUSA AL SHAER)
Azhar Abu Srour, la mère d’Abdel Hamid Abu Srour, 19 ans, qui a mené un attentat suicide dans un bus de Jérusalem le 18 avril, le 22 avril 2016. (Crédit : AFP PHOTO / MUSA AL SHAER)

Pendant qu’elle parle, la mère d’Abu Srour tient sa petite sœur de deux ans et est assise près de son mari, avec d’autres membres de la famille autour d’eux, beaucoup portant des t-shirts avec une photo du « martyr ».

Azhar Abu Srour est un peu différente de ce que vous attendriez dans un camp de réfugiés comme celui-ci : assise dans la même pièce que les hommes, avec des vêtements modernes, la tête découverte. Son père a été tué en 1981 par un bombardement de l’armée de l’air israélienne sur une position du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP) au Liban. Elle-même est née en Syrie et a emménagé à Bethléem au début des années 1990.

Le jour de l’explosion, dit-elle, « les heures passaient, et je l’ai appelé encore et encore. Son téléphone était éteint, mais c’était arrivé plein de fois avant. » Quand les médias israéliens ont annoncé que la personne la plus grièvement blessée n’avait pas encore été identifiée et était le terroriste présumé, le père a commencé a suspecté quelque chose.

Hamad reprend l’histoire. « Le lendemain, je suis allé de mon propre chef aux bureaux de notre appareil de sécurité, et ai rempli un formulaire disant que mon fils avait disparu. J’ai moi-même annoncé sa disparition. Les Israéliens ne savaient pas. Ils étaient confus. J’ai fourni l’information qu’il avait disparu. Et plus tard, j’ai identifié son corps. »

« Je vous le dis, souligne-t-il, il y a quelque chose dans cette histoire qui ne tient pas. Mon fils ? Abed ? Qu’il fasse ça ? Il vivait avec moi. Nous vivions ouvertement. Il n’y avait pas d’agression ou de violence avec lui. Tout le monde autour de lui l’aimait. J’avais mes yeux sur lui en permanence. Je lui demandais tout le temps ‘où vas-tu, quand est-ce que tu rentres ?’ Je ne peux toujours pas croire que ce soit arrivé. Cela ne représente pas la personnalité d’Abed. Je ne peux pas croire qu’il ait fait une chose pareille. Je n’arrive pas à comprendre. »

Yahya Ayyash. (Crédit : WIkpedia)
Yahya Ayyash. (Crédit : WIkpedia)

Sauf qu’Azhar Abu Srour a dit que son fils avait toujours admiré le célèbre artificier de Gaza Ayyash, qui a été tué par Israël en 1996.

« Chaque jeune homme a un modèle et mon fils a choisi Yahya Ayyash comme modèle parce qu’il a blessé ces Israéliens qui nous blessent chaque jour », a-t-elle dit à NPR, la radio publique américaine. Et aussi qu’il « avait toujours eu le sentiment qu’il devait venger la mort de son grand-père. »

Interrogé sur l’annonce du Hamas disant qu’Abu Srour était l’un de ses membres, Hamad essaie d’éviter le sujet. « Demandez ça au Hamas, dit-il. Mais si j’avais su ce qu’il comptait faire, je l’aurais menotté [il lève ses deux mains et fait semblant de les menotter] et je l’aurais caché dans le sol… Je ne l’ai jamais éduqué comme ça. Mais vous-savez qui porte la faute ? Vous, les Israéliens. Vous avez mené une génération entière à ça. Vous et votre gouvernement. »

Est-il inquiet à présent qu’Israël ne démolisse la maison familiale, comme dissuasion pour de futurs actes de terrorisme ? « Je vous en prie, laissez-les venir, dit-il. Nous construirons 20 maisons en deux mois. J’ai perdu quelque chose de bien plus précieux qu’une maison. J’ai perdu mon fils. Qu’est-ce qui m’intéresse maintenant dans une maison ? Vous les juifs devez comprendre. Abed el-Hamid ne venait pas d’une famille pauvre. Il venait d’une famille aisée. Il avait sa propre voiture. Une famille avec une propriété et de l’argent. Chaque foyer palestinien nous accueillerait aujourd’hui. S’ils détruisent notre maison, nous en construirons une bien plus grande. C’est une famille cultivée, avec des manières, avec de la dignité. Avec une éducation qui est contre la violence. Je lui ai dit d’aller étudier n’importe où il le voulait, en Europe, dans le monde arabe. Mais la jeune génération d’aujourd’hui est différente. Si mon père avait dit quelque chose, nous aurions tous baissé la tête et fait ce qu’il demandait. Les jeunes d’aujourd’hui font ce qu’ils veulent faire. »

« Vous, les Israéliens, devez vous demander ce qui a entraîné un enfant comme lui, et il était un enfant, à vouloir mener un acte pareil ?, continue Hamad. A nouveau, je vous le dis, Israël est responsable, Israël a entrainé cette génération à agir ainsi. Cette génération n’a pas de futur, pas de travail. Vous leur mettez la pression, vous les blessez, vous ne leur donnez aucun espoir. Vous faites de cette génération ce qu’elle est, et la prochaine génération, les petites enfants d’aujourd’hui, seront encore plus dangereux, et pourtant vous êtes ici, un juif, et nous vous accueillons avec respect. Alors cessez de penser que nous sommes les Palestiniens violents. »

Il continue : « Je suis contre blesser quelqu’un, qui que ce soit. Chaque enfant et chaque homme a le droit de vivre. Et je vous le dis encore, si j’avais su qu’il avait prévu de faire ça, je l’aurais arrêté. »

Explosion d'un bus à Jérusalem, le 18 avril 2016. (Crédit : porte-parole de la police israélienne)
Explosion d’un bus à Jérusalem, le 18 avril 2016. (Crédit : porte-parole de la police israélienne)

Je déteste avoir un président comme Abbas

Est-il possible que toute la famille d’Abu Srour, son père, sa mère, ses frères et sœurs, n’ait rien su de ses activités du Hamas, comme ils l’affirment ? Ce qui a été dit ici semble éloigné de l’humeur et du ton de la tente de deuil, des cris d’éloge que les vielles femmes ont lancé quand des activistes masqués du Hamas sont venus et ont embrassé la tête de la mère.

Il y a un gouffre entre ce qui est dit publiquement pour les caméras de télévision, les chaînes arabes, et ce qui est dit et fait ici en privé dans la famille, cette famille aisée qui a réussi à sortir du camp de réfugiés et à s’installer dans la ville relativement chic de Beit Jalla. Il y a même un Israélien en visite ici, un juif israélien né aux Etats-Unis qui connait Abu Srour et d’autres membres de la famille.

Des Palestiniens se rassemblent sous une bannière montrant le terroriste du bus de Jérusalem du 18 avril, Abdel Hamid Abu Srour, et Yasser Arafat, au camp d réfugiés al-Ayda le 21 avril 2016. (Crédit : AFP PHOTO/THOMAS COEX)
Des Palestiniens se rassemblent sous une bannière montrant le terroriste du bus de Jérusalem du 18 avril, Abdel Hamid Abu Srour, et Yasser Arafat, au camp d réfugiés al-Ayda le 21 avril 2016. (Crédit : AFP PHOTO/THOMAS COEX)

« Je n’ai aucun problème avec les juifs », ont dit le père et la mère. Mais leur fils vient de devenir le premier terroriste kamikaze depuis des années.

Et ensuite Azhar, la mère d’Abu Srour, dit : « C’était un acte d’auto-défense. Certes, en tant que Palestinienne, en tant que personne éclairée, j’aurais peut-être agi différemment, avec un stylo, avec des mots écrits. Mais chacun a son propre moyen de résistance. »

Et quand il est souligné que le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a condamné l’attentat, elle répond : « pour moi, Abu Mazen ne représente pas le peuple palestinien. Quand je l’entends parler, il me fait haïr le fait que je sois Palestinienne parce que j’ai un président comme ça. Quand votre Premier ministre soutient le soldat qui a abattu un Palestinien à Hébron, et que mon président condamne nos actions, que suis-je censée penser de lui ? »

A ce moment, le père murmure cyniquement « Yallah Lakalboosh » – en route pour la prison – comme s’il attendait que les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne viennent à tout moment et les arrêtent.

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