Pour le projet Tzitzit, des artistes LGBTQ revoient les vêtements rituels juifs
Tzitzit est une initiative artistique qui fabrique des tzitzit et des châles de prière pour tous corps, sexes et confessions religieuses ; les vêtements sont en vente en ligne
JTA – Binya Kóatz se souvient de la première fois qu’elle a vu une femme porter des tzitzit. Elle assistait à l’office du vendredi soir à la synagogue Jewish Renewal de Berkeley, en Californie, lorsqu’elle a remarqué il y a environ sept ans que les longues franges rituelles portées par certains juifs pratiquants, historiquement des hommes, pendaient sous le short d’une amie.
« C’est la première fois que j’ai vraiment réalisé combien le simple fait d’avoir des tresses qui pendent peut être féminin », se souvient Kóatz, une artiste et activiste basée dans la région de la baie de San Francisco. « C’est à la fois profondément révérencieux et irrévérencieux, et il y a une véritable dimension sacrée dans ce geste. »
C’est ce qui a incité Kóatz à porter des tzitzit au quotidien. Cependant, les offres disponibles dans les boutiques de judaïca en ligne et en magasin étaient moins inspirantes, les franges étant généralement attachées à des tuniques blanches informes destinées à être portées sous des vêtements d’homme.
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C’est pourquoi, en 2022, lorsqu’on lui a demandé de tester de nouveaux prototypes pour le projet , une initiative artistique visant à créer des tzitzit et leur vêtement associé pour une variété de corps, de sexes et de confessions religieuses, Kóatz a sauté sur l’occasion. Les premiers produits du projet ont été mis en vente le mois dernier.
« C’est un bel exemple de queers fabriquant des choses pour nous-mêmes », a déclaré Kóatz. « Je pense que c’est formidable que des homosexuels créent des vêtements conformes à la halakha qui sont aussi des vêtements que nous avons envie de porter et qui correspondent à notre culture, notre style et notre dynamisme. »
Selon la loi juive, ou halakha, les personnes qui portent des vêtements à quatre coins – par exemple, une tunique portée par un ancien berger – sont tenues d’attacher des franges à chaque coin. Le commandement est biblique : « Parle aux Israélites, et tu leur diras qu’à (chaque) génération ils se fassent une frange au bord de leurs vêtements » (Nombres 15, 37-41). Lorsque les vêtements sans coins sont devenus à la mode, de nombreux Juifs n’ont plus porté de tzitzit que lorsqu’ils portaient un tallit, ou châle de prière, qui a quatre coins.
Mais les Juifs plus observants ont adopté la pratique de porter un vêtement supplémentaire à quatre coins dans le seul but d’accomplir le commandement d’attacher des franges à ses vêtements. Appelé tallit katan, ou petit châle de prière, ce vêtement est conçu pour être porté sous les vêtements et peut être acheté dans les magasins de judaïca ou en ligne pour moins de 15 dollars. Les franges représentent les 613 commandements de la Torah, et il est de coutume de les tenir et de les embrasser à certains moments en récitant la prière du Shema.
« Elles me rappellent simplement mes obligations, mes mitzvot, et ma sainteté inhérente », a déclaré Kóatz. « C’est le but, vous voyez vos tzitzit et vous vous rappelez tout ce que cela signifie – toutes les obligations et la beauté d’être un juif dans ce monde ».
Les artistes californiens à l’origine du projet Tzitzit ont pressenti que ce vêtement rituel pourrait plaire à un ensemble plus diversifié de Juifs pratiquants que celui des hommes orthodoxes à qui sont destinées les pièces fabriquées en série.
Julie Weitz et Jill Spector avaient déjà travaillé ensemble pour créer les costumes du spectacle « My Golem » de Weitz en 2019, qui utilise la créature juive mythique pour explorer des questions contemporaines. Dans une des installations du projet axé sur la nature, « Prayer for Burnt Forests« , le personnage de Weitz attache un tallit katan autour d’un arbre tombé et enroule les tzitzit autour de ses branches.
« J’ai été tellement émue par la façon dont ce vêtement a transformé ma performance », a confié Julie Weitz, ajoutant qu’elle souhaitait trouver d’autres moyens d’intégrer ce vêtement dans sa vie.
Le projet Tzitzit rejoint d’autres initiatives qui cherche à explorer et à répandre le port des tzitzit. En 2020, un podcast intitulé Fringes présentait des entretiens avec une douzaine de juifs transgenres et non-binaires sur leurs expériences avec les vêtements rituels juifs (Kóatz était l’un des invités). Parallèlement, une boutique en ligne, Netzitzot, vend depuis 2014 des tzitzit conçus pour le corps des femmes, fabriqués à partir de sous-vêtements H&M modifiés.
Le Projet Tzitzit va plus loin et vend des tenues complètes qui tiennent compte des avis des testeurs, dont Kóatz, en trois couleurs et deux longueurs, ample et court, ainsi que d’autres options de personnalisation liées au style et aux pratiques religieuses de la personne qui les porte. (Les articles coûtent 100 dollars, mais un système de prix dégressif pour les personnes ayant des contraintes financières peut faire baisser le prix jusqu’à 36 dollars).
Spector et Weitz ont constaté que les participants au test étaient particulièrement enthousiastes à l’idée que les tzitzit puissent être disponibles dans des couleurs vives, et qu’ils aimaient la douceur du tissu sur leur corps, alors que les tzitzit traditionnels les démangeaient et étaient mal ajustés. Ils ont également apprécié que chaque pièce peut être portée sous d’autres vêtements ou comme un haut plus audacieux.
Pour Weitz, ces caractéristiques sont essentielles pour atteindre son objectif de rendre les tzitzit « queers ».
La transformation d’un vêtement en un vêtement « queer » implique également d’accepter la façon dont on porte les choses et dont on bouge son corps dans l’espace, d’en être fier et de ne pas en avoir honte », a-t-elle déclaré. « Et je pense que cette stylisation est vraiment distincte. Tous ces tzitzit conventionnels pour les hommes – ils n’ont aucun rapport avec le style, ils ne visent pas à réimaginer la façon dont vous pouvez bouger votre corps. »
Pour Chelsea Mandell, non binaire, étudiante en rabbinat à l’Académie de la religion juive de Los Angeles, le Projet Tzitzit consiste à créer des objets rituels juifs empreints de pouvoir.
« Cela approfondit le sens et me semble plus radicalement spirituel quand c’est fait à la main par quelqu’un que j’ai rencontré, pour quelqu’un comme moi », a déclaré Mandell, qui a testé le produit.
La question de savoir si les vêtements répondent aux exigences de la loi juive est une autre question. Selon les interprétations traditionnelles de la loi, la ficelle doit avoir été fabriquée spécifiquement pour les tzitzit, par exemple – mais le site Web du projet n’indique pas clairement la source de la ficelle utilisée. (Selon la page Instagram du projet, la laine est filée par un spécialiste en fibres juif qui est au passage le frère du rockeur alternatif Beck).
« Il n’est pas facile de comprendre d’après les informations sur leur site web, quelles options sont halakhiquement valides et quelles options ne le sont pas », a déclaré Avigayil Halpern, une étudiante en rabbinat qui a commencé à porter des tzitzit et des tefillin dans son lycée modern-orthodox en 2013, à l’âge de 16 ans, et qui est maintenant considérée comme un leader du mouvement visant à élargir leur utilisation.
« Et je pense qu’il est important que les homosexuels, en particulier, aient un accès à la connaissance de la Torah et des mitzvot aussi étendu que leur adoption des mitzvot. »
Weitz a expliqué qu’il existe plusieurs options pour les fibres – Tencel, coton ou laine filée à la main – en fonction de ce que les clients préfèrent, pour leur confort et pour leurs préférences en matière d’observance.
« Cela revient à une question d’interprétation », a-t-elle déclaré. « Pour certains, les tzitzit attachés avec une fibre qui n’est pas faite pour être attachée, mais avec la prière dite, sont suffisamment casher. Pour d’autres, la laine filée dans le but de l’attacher est importante. »
Malgré ses inquiétudes quant à la façon dont il aborde la loi juive, Halpern dit qu’elle comprend l’intérêt du Projet Tzitzit, auquel elle n’a pas participé.
« Pour moi, comme pour beaucoup d’autres personnes homosexuelles, porter quelque chose qui est typiquement associé à la masculinité juive implique une dimension de genre », explique Halpern, étudiante en quatrième année à Hadar, une yeshiva mixte de New York.
Porter quelque chose qui est typiquement associé à la masculinité juive, cela implique une dimension de genre
« Si l’on sort du cadre juif, il y a quelque chose de très féminin, de très glamour et de très amusant dans le fait de s’habiller et de porter des tenues virevoltantes, qui rend beaucoup de gens très heureux », a-t-elle ajouté.
Pour certains, le port du tzitzit n’est qu’une pratique halakhique égalitaire, et non un moyen de transformer des objets rituels juifs en objets féminins. Rachel Schwartz, une femme cisgenre hétéro, a été attirée par les tzitzit alors qu’elle était encore étudiante à la Yeshiva conservatrice de Jérusalem en 2018. Là, les jeunes hommes qui se consacraient de manière plus intensive à la loi et aux traditions juives que par le passé se sont mis à porter ces habits. C’est alors que Rachel Schwartz s’est demandé pourquoi, si elle avait embrassé toutes les pratiques religieuses égalitaires, elle n’avait pas adopté celle-ci.
« Un soir, j’ai pris un de mes débardeurs et je l’ai coupé à mi-hauteur pour faire le carré requis. J’ai trouvé des bandanas sympas dans un magasin et j’ai cousu les coins », se souvient Schwartz. « Ensuite, j’ai acheté des tzitzit dans un de ces magasins sur Ben Yehuda tout simplement et c’était génial. »
L’expérience de Schwartz résume à la fois la promesse et le danger potentiel de porter des tzitzit pour les personnes issues de groupes qui, historiquement, n’en portaient pas. Vu l’intérêt d’autres femmes de la Yeshiva conservatrice pour ses tzitzit, elle a organisé un atelier où elle leur a appris à fabriquer ce sous-vêtement. Mais les critiques d’hommes dans les rues de Jérusalem étaient si nombreuses qu’elle a finalement renoncé à porter le tzitzit en public.
« Je ne pouvais plus continuer à me promener comme ça. J’étais fatiguée des commentaires », a déclaré Schwartz. « Je ne le supportais plus ».
Rachel Davidson, une femme rabbin reconstructionniste, qui travaille comme aumonière dans le domaine de la santé dans l’Ohio, a commencé à porter régulièrement un tallit katan vers ses 25 ans. Comme Kóatz, elle a commandé son premier tallit chez Netzitzot.
« Je pense que c’est une très belle mitzvah. J’aimerais que plus de gens s’y engagent, » a-t-elle déclaré.
Selon Kóatz, ce n’est pas seulement possible, mais naturel. En tant que femme trans, elle dit qu’elle est attirée par les tzitzit en partie à cause de la façon dont ils mettent la tradition juive en contact avec les idées contemporaines sur le genre.
« Les gays ont toujours été qualifiés de ‘marginaux' », dit-elle. « Et ici, vous avez un vêtement qui consiste littéralement à ’embrasser les franges/marges’. Les franges sont sacrées. »
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