Pour Moscou, les Occidentaux sont désormais les nazis
L'instrumentalisation de la Shoah est mobilisatrice en Russie, la victoire soviétique durant la Seconde guerre mondiale étant au cœur de l'identité et du patriotisme russe

Autodafés, blitzkrieg, hitlérien.
Le Kremlin compare désormais l’Occident soutenant l’Ukraine aux Nazis allemands, un discours mobilisateur en Russie, la victoire soviétique durant la Seconde guerre mondiale étant au cœur de l’identité et du patriotisme russe.
Dernière salve en date, vendredi. Vladimir Poutine a fait un parallèle entre la déprogrammation dans les pays occidentaux de personnalités et d’événements culturels russes et les autodafés orchestrés par les nazis.
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« La dernière fois, ce sont les nazis en Allemagne, il y a près de 90 ans, qui ont mené une telle campagne de destruction d’une culture indésirable. On se souvient bien des images des livres brûlés sur les places publiques », a-t-il dit, lors d’une rencontre avec des personnalités de la culture.
Juste avant, le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov avait estimé que les dirigeants européens tenaient un discours aux relents « hitlériens » s’agissant de la Russie.

Le président russe, encore lui, avait aussi la semaine passée comparé les sanctions occidentales adoptées après l’offensive contre l’Ukraine à un « blitzkrieg » et aux « pogroms antisémites » des nazis.
Falsification historique
Pour un pays héritier de l’URSS, qui a perdu 20 millions des siens face à l’armée d’Hitler durant la Grande Guerre patriotique, l’analogie est loin d’être anodine.
En Russie, quel que soit le bord politique, ce sacrifice est fédérateur, et une frange écrasante de la population considère que les alliés anglo-saxons exagèrent leur rôle dans la défaite nazie, tout en dénigrant celui de l’Union soviétique et de Staline.
Vladimir Poutine a d’ailleurs fait depuis des années de la lutte contre « la falsification de la vérité historique » un élément central de son discours sur le patriotisme et la puissance russe face à l’ennemi occidental. Quitte à nier les implications du pacte germano-soviétique de 1939 qui a abouti au partage de la Pologne, et l’invasion des pays baltes par l’Armée rouge.

Parallèlement, il affirme que la Russie est face à une menace existentielle, celle d’être éradiquée par l’Otan qui n’a cessé de s’élargir vers les frontières russes depuis la chute de l’URSS.
Enfin, l’intervention militaire en Ukraine, pro-occidentale et candidate à l’Otan, est elle-même justifiée par la nécessité d’y arrêter les « néonazis » engagés dans un prétendu génocide de russophones dans l’est du pays.
« L’Occident ne le comprend pas, mais dans l’esprit du Kremlin, la guerre – une troisième guerre mondiale, hybride – est en cours depuis longtemps contre la Russie (…) dans le but de la priver de son identité, de ses principes, de ses valeurs », résume à l’AFP le politologue indépendant Konstantin Kalatchiov.
Ce discours permet aussi « d’unifier le peuple », de créer un « nouveau mythe (…) fondé sur l’appel à l’Histoire », poursuit-il, car les Russes « ont survécu au blocus (nazi de Leningrad), à la guerre. On se compare à l’héroïsme de nos aïeux ».

Si les réserves s’épuisent
L’historien et politologue pro-Kremlin Alexeï Moukhine, interrogé par l’AFP, note aussi que « bien sûr cela rassemble, tous les sociologues enregistrent une hausse du soutien à Poutine » depuis l’entrée des troupes russes en Ukraine le 24 février.
Pour lui, nul doute que « l’association aux années 1930 » s’impose, car l’Otan essaye « de rebâtir un troisième Reich ».
« Il y a deux ans déjà, j’avançais la thèse selon laquelle les Russes, ce sont les nouveaux juifs, les juifs du 21e siècle (…) malheureusement, ma théorie s’est vérifiée », assène-t-il.
Sur l’autre rive politique, Nikita Petrov, historien de Mémorial, ONG spécialiste des répressions soviétiques et de la Russie de contemporaine, récemment dissoute par la justice russe, se désole de ce discours.
« L’Histoire est utilisée comme instrument de propagande » pour présenter le « pays comme étant entouré d’ennemis contre lesquels il faut se défendre » et donc créer « l’union autour des dirigeants du Kremlin », relève-t-il.
Pour le politologue Konstantin Kalatchiov, « à court terme, cela va fonctionner ».
Mais, pense-t-il, cela pourrait ne pas durer si sous l’effet des difficultés économiques des sanctions « les réserves de pain s’épuisent ».
La Première guerre mondiale a aussi « commencé sous les hourras du patriotisme, et trois ans après (avec la révolution bolchévique) tout avait radicalement changé », dit-il.
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