Israël en guerre - Jour 339

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Pour quatre juges de la CIJ, le verdict n’exige pas d’Israël de stopper toutes ses opérations à Gaza

Pour l'Israélien Barak, la décision est nuancée ; pour l'Ougandaise Sebutinde, les directives ne doivent pas être mal comprises - mais le sud-africain Tladi estime qu'elles imposent explicitement l'arrêt des combats

Les juges arrivant à la Cour international de Justice pour statuer sur la demande de l'Afrique du sud concernant l'arrêt des combats à Rafah et plus généralement de la guerre, à La  Haye, le 24 mai 2024. (Crédit : Nick Gammon/AFP)
Les juges arrivant à la Cour international de Justice pour statuer sur la demande de l'Afrique du sud concernant l'arrêt des combats à Rafah et plus généralement de la guerre, à La Haye, le 24 mai 2024. (Crédit : Nick Gammon/AFP)

Quatre des quinze juges siégeant à la Cour internationale de Justice ont estimé que la disposition essentielle contenue dans le verdict qui a été rendu vendredi par le tribunal n’exigeait pas d’Israël l’arrêt immédiat de toutes les opérations militaires actuellement en cours à Rafah – mais plus spécifiquement les raids de l’armée susceptibles « d’entraîner une destruction physique en totalité ou en partie » du côté de la population palestinienne. Parmi ces quatre magistrats se trouvait l’Israélien Aharon Barak.

Un cinquième juge, le sud-africain Dire Tladi, a déclaré le contraire, affirmant que le jugement « ordonne, dans des termes explicites, à l’État d’Israël d’arrêter son offensive à Rafah ».

Ils ont été les cinq magistrats seulement sur quinze à avoir rédigé une opinion ou une déclaration accompagnant le verdict.

La clause évoquée, qui figure dans le jugement, établit qu’Israël « doit immédiatement stopper son offensive militaire et toute autre action entreprise dans le gouvernorat de Rafah, avec des actions qui pourraient infliger au groupe palestinien, dans la bande de Gaza, des conditions de vie susceptibles d’entraîner sa destruction physique en totalité ou en partie ».

Barak, ancien président à la Cour suprême, qui a été choisi par la partie israélienne pour siéger à la CIJ dans le cadre du dossier initié par l’Afrique du sud à l’encontre d’Israël – Pretoria accuse Jérusalem de génocide – a écrit dans son opinion minoritaire que la décision prise par la majorité « exige d’Israël l’arrêt de son offensive militaire dans le gouvernorat de Rafah dans la mesure seulement où cela s’avère nécessaire pour qu’Israël se conforme aux obligations qui sont les siennes dans le cadre de la Convention sur le génocide ».

En conséquence, selon Barak, « il n’est pas interdit à Israël de mener ses opérations militaires dans le gouvernorat de Rafah tant que le pays respecte ses obligations dans le cadre de la Convention sur le génocide ».

Le président de la Cour suprême à la retraite, Aharon Barak, prête serment en tant que représentant d’Israël à la Cour internationale de justice de La Haye, le 11 janvier 2024. (Crédit : Cour internationale de justice)

« En résultat », a continué Barak, « la mesure est une mesure nuancée, qui préserve le droit, pour Israël, de prévenir et de repousser les menaces et les attaques du Hamas ; qui préserve le droit, pour Israël, de se défendre et de défendre ses citoyens, et d’obtenir la libération des otages ».

Le juge allemand Georg Nolte et son homologue roumain, Bogdan Aurescu – qui font partie des 13 magistrats qui ont voté en faveur de cette mesure – ont, eux aussi, apporté leur soutien à l’interprétation des directives telle qu’elle a été faite par Barak.

Cette interprétation – laissant entendre qu’Israël n’est pas dans l’obligation de stopper ses opérations à Gaza – devrait devenir le positionnement officiel qui sera adopté par le ministère de la Justice et par la procureure-générale au sein de l’État juif.

Dans une réponse officielle au jugement, en effet, Jérusalem a déclaré « ne pas avoir mené d’opérations militaires, dans le secteur de Rafah, susceptibles d’infliger aux civils palestiniens des conditions de vie qui pouvaient être à l’origine de sa destruction physique en totalité ou en partie – et ne pas envisager d’entreprendre de telles actions », faisant écho au langage utilisé par la Cour.

Des soldats de l’armée israélienne opérant dans la zone de Rafah, dans la bande de Gaza, sur une photo autorisée à la publication le 20 mai 2024. (Crédit : Armée israélienne)

La vice-présidente de la Cour internationale de Justice, l’Ougandaise Julia Sebutinde qui a voté contre toutes les décisions qui ont été prises dans la journée de vendredi, a mis en garde contre une mauvaise compréhension des directives – mauvaise compréhension qui pourrait laisser entendre qu’Israël devrait prononcer un cessez-le-feu unilatéral à Gaza. Sebutinde avait été aussi la seule magistrate à se prononcer en défaveur de toutes les mesures prises dans le cadre d’un premier verdict de la CIJ, qui avait ordonné à Israël d’entreprendre des initiatives visant à empêcher des actes de génocide dans le contexte de sa guerre contre le Hamas à Gaza.

« Cette mesure n’interdit pas entièrement à l’armée israélienne de mener des opérations à Rafah. Elle ne fait que partiellement restreindre l’offensive israélienne à Rafah dans la mesure où cette dernière mettrait en danger les droits garantis dans le cadre de la Convention de Genève », a-t-elle écrit vendredi.

Elle a averti que « ces directives pourraient être mal comprises, laissant entendre qu’elles imposent à Israël un cessez-le-feu unilatéral en restreignant les capacités d’Israël à poursuivre ses objectifs militaires légitimes tout en laissant à ses ennemis, notamment au Hamas, toute liberté d’attaquer sans qu’Israël ne soit en droit de riposter ».

Selon cette interprétation, une offensive militaire qui n’entraînerait pas de pertes humaines massives du côté palestinien pourrait donc être acceptable aux yeux de la Cour.

La juge Julia Sebutinde en 2016. (Capture d’écran vidéo ; utilisée conformément à l’article 27a de la loi sur le droit d’auteur)

Le juge sud-africain Tladi a estimé totalement le contraire, écrivant : « Aujourd’hui, de manière explicite, la Cour a ordonné à l’État d’Israël d’arrêter immédiatement son offensive à Rafah. La Cour avait précédemment – de manière toutefois implicite et indirecte – ordonné à l’État d’Israël de ne pas mener d’opérations militaires ailleurs à Gaza parce que de telles offensives empêchaient la délivrance de l’assistance humanitaire et parce qu’elles portaient préjudice à la population palestinienne. La Cour a aussi répété son appel urgent au Hamas en faveur de la remise en liberté des otages ».

Il a ajouté que « la référence aux opérations ‘offensives’ illustre le fait que les actions défensives légitimes, dans le respect strict du droit international, comme le serait la résistance à une attaque spécifique, serait conforme à l’ordre de la Cour. Mais ce qui ne serait pas conforme à l’ordre de la Cour, ce serait la continuation de l’opération militaire offensive à Rafah et ailleurs, des opérations dont les conséquences pour les droits protégés par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ont été dévastatrices ».

En plus de son ordre concernant l’opération militaire israélienne à Rafah, la Cour a aussi ordonné à Israël de « maintenir ouvert » le poste-frontière de Rafah, qui sépare la bande et l’Égypte, de façon à permettre « la délivrance à grande échelle et sans obstacle » de l’aide humanitaire dans la région.

Le point de passage de Rafah est fermé depuis que l’armée israélienne a lancé son offensive, au début du mois, qui vise à capturer le côté gazaoui du poste-frontière. L’État juif a blâmé l’Égypte pour cette fermeture – Le Caire ne désirant pas apparemment le rouvrir tant que ce sera l’armée israélienne qui gèrera, dans les faits, l’autre côté, et Israël ayant des difficultés à trouver une autre instance disposée à assumer la gestion du poste.

Des troupes et des chars de Tsahal du côté gazaoui du poste frontière de Rafah, le 7 mai 2024. (Crédit : Armée israélienne)

La Cour a aussi ordonné à Israël de permettre « l’accès sans entrave aucune à la bande de Gaza » aux commissions d’enquête, aux missions d’information et autres instances commanditées par les Nations unies qui pourraient vouloir lancer des investigations sur les accusations de génocide.

Cet ordre pourrait amener les agences de l’ONU à envoyer des délégations qui enquêteront sur ces accusations de génocide lancées à l’encontre d’Israël par Pretoria et par d’autres capitales.

Le tribunal a sommé Israël de se présenter devant les juges d’ici un mois pour les informer de la manière dont les ordres ont été mis en œuvre.

Si la Cour devait estimer qu’Israël a contrevenu aux directives, elle pourrait faire état des violations présumées au Conseil de sécurité qui pourrait prendre alors la décision d’imposer des sanctions.

L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.

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