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Pourquoi les scientifiques se battent sur les origines du yiddish – et des juifs

L’auteur israélien de l’étude plaçant l’origine des juifs ashkénazes – et du yiddish – en Turquie utilise Yoda pour expliquer ses découvertes linguistiques

La grammaire inhabituelle de Yoda, le maître Jedi de "Star Wars", est utilisée par un généticien pour expliquer sa théorie sur les origines du yiddish, dont l'un des plus grands écrivains est Shalom Aleichem. (Crédit : capture d'écran YouTube/Ullstein Bild via Getty Images)
La grammaire inhabituelle de Yoda, le maître Jedi de "Star Wars", est utilisée par un généticien pour expliquer sa théorie sur les origines du yiddish, dont l'un des plus grands écrivains est Shalom Aleichem. (Crédit : capture d'écran YouTube/Ullstein Bild via Getty Images)

JTA – La science a finalement fourni une évidence de ce que les fans juifs de Star Wars suspectaient depuis longtemps : Yoda est un des membres de la tribu – tout du moins, il parle comme l’un des membres.

La mauvaise nouvelle est que cette science a été largement considérée comme bonne à jeter.

La référence à Yoda apparaît dans une vidéo dans laquelle un linguiste israélien de 36 ans de l’université de Sheffield en Angleterre affirme que les juifs ashkénazes et le yiddish proviennent de Turquie.

L’étude en rejoint un certain nombre d’autres publiées ces 15 dernières années et qui remettent en question la théorie majoritaire disant que les juifs viennent du Moyen Orient méditerranée et que le yiddish s’est développé parmi les juifs d’Europe.

La recherche est controversée non seulement parce que ses détracteurs disent qu’elle est scientifiquement faible, mais aussi parce qu’elle semble affaiblir selon certains la revendication des juifs sur la Terre d’Israël, et est utilisée ainsi par certains opposants à l’Etat juif.

Dans une vidéo diffuse en avril, le généticien Eran Elhaik explique que Yoda, comme les locuteurs du yiddish, utilise des mots d’une langue, mais suit les règles de grammaire d’une autre. Le petit gourou vert parle un anglais étrangement construit, tout comme le yiddish utilise des mots hébreux et allemands, mais la grammaire slave.

https://youtu.be/rpwmqUnj7vc

La vidéo est une tentative d’Elhaik pour expliquer et rendre publique son étude sur les origines du yiddish et des juifs ashkénazes, dont les co-auteurs comptent le linguiste Paul Wexler de l’université de Tel Aviv et qui a été publiée en mars dans le journal Genome Biology and Evolution des presses universitaires d’Oxford.

Selon leur théorie, les premiers juifs ashkénazes vivaient dans une « confédération slavo-iranienne » et ont au fil du temps développé le yiddish comme langue secrète pour « gagner un avantage commercial ». Bien qu’ils utilisent des mots hébreux et allemands, ils ont gardé la grammaire slave.

Comme preuve, l’étude d’Elhaik cite une analyse génétique retraçant le lignage juif à d’anciennes routes commerciales du nord est de la Turquie. Le long de ces routes, on trouve des villages portant des noms qui « pourraient être dérivés [du mot]
‘ashkénaze’ », selon l’étude.

Une carte montrant les origines apparentes des locuteurs de yiddish sur la base de l'analyse de leur ADN, selon une étude du Dr Eran Elhaik (Crédit : capture d'écran YouTube)
Une carte montrant les origines apparentes des locuteurs de yiddish sur la base de l’analyse de leur ADN, selon une étude du Dr Eran Elhaik (Crédit : capture d’écran YouTube)

Les découvertes ont fait les gros titres du monde entier, y compris dans The Independent, Language Magazine et Science Daily.

Mais certains des chercheurs les plus connus des domaines du yiddish et de la génétique juive ont rapidement rejeté l’étude et condamné ses affirmations démesurées, un reflet selon eux des normes scientifiques qui se détériorent et de la politisation des questions de recherches sur l’histoire juive.

Shaul Stampfer, professeur de l’université Hébraïque et spécialiste de la communauté juive soviétique et est européenne, a déclaré dans un email à JTA à propos des recherches d’Elhaik : « c’est fondamentalement un non sens ».

Le professeur David Katz, fondateur de l’institut yiddish de l’université de Vilnius et auteur de plusieurs livres sur la langue, a massacré les analyses linguistiques de l’étude.

« Les auteurs ont mélangé des corrélations génétiques correctes mais vide de sens dans ce contexte avec des théories linguistiques ridicules qui maintenant prolifèrent, malheureusement en conséquence d’un environnement académique yiddish mondial affaibli, a-t-il dit à JTA. Il n’y a pas un seul mot ou son du yiddish qui vient de l’iranien ou du turc. »

Un dialecte du yiddish « prospérait avant même qu’il n’y ait un seul mot dérivé du slave dans la langue, a-t-il ajouté. L’article est un bon exemple d’utilisation de la génétique comme écran de fumée pour de la linguistique farfelue. »

Dovid Katz , fondateur de l'institut du yiddish à l'université de Vilnius, en Lithuanie. (Crédit : Cnaan Liphshiz / JTA)
Dovid Katz , fondateur de l’institut du yiddish à l’université de Vilnius, en Lithuanie. (Crédit : Cnaan Liphshiz / JTA)

En réponse, Wexler a dit que les critiques de Katz étaient
« complètement fausses » et ignorantes – et « plus une tirade émotionnelle qu’une déclaration académique » de quelqu’un qui a fait des découvertes bouleversantes dans les années 1980 « mais n’a pas tenu ses promesses ». Le yiddish comprend « des centaines et peut-être des milliers d’iranianismes cachés et apparents », a-t-il dit.

Sergio DellaPergola, professeur à l’université Hébraïque qui est l’un des démographes les plus importants du peuple juif, a dit que l’étude était une « falsification » et « l’un des plus grands bobards du 21e siècle. » Il a critiqué son échantillon « extrêmement petit » et la non inclusion de gènes juifs séfarades, ce qui aurait selon lui compromis les découvertes.

Une analyse de Bennett Greenspan de 2014, le fondateur américain d’une compagnie de tests génétiques, a comparé les profils de presque 15 000 hommes juifs ashkénazes et séfarades à des non juifs au Moyen Orient et en Europe. Il a trouvé une
« correspondance génétique presque parfaite » entre 75 % des juifs et les non juifs du Moyen Orient.

Si une analyse ashkénaze – séfarade avait été incluse dans l’étude d’Elhaik, elle aurait montré une plus grande similarité entre les deux groupes de juifs qu’entre les juifs ashkénazes et les Turcs non juifs, a prédit DellaPergola. Comme la plupart des chercheurs, DellaPergola pense que les juifs ashkénazes descendent de ceux qui ont émigré du Moyen Orient vers l’Europe il y a des centaines d’années.

« Etudier l’ADN des juifs non ashkénazes ne changerait pas l’ADN des juifs ashkénazes, ni l’origine prédite de leur ADN », a dit Elhaik à JTA. Il a déclaré que son étude est « la plus grande étude génomique sur les juifs ashkénazes à ce jour et la première du genre sur les locuteurs du yiddish. »

Elhaik a fait voler des plus académiques en défiant la notion acceptée selon laquelle les juifs proviennent du Moyen Orient. En 2013, il avait publié une autre étude, qui avait été mal reçue, dans le journal Genome Biology and Evolution qui soutenait la théorie que les juifs ashkénazes descendent des Khazars – un royaume multiethnique disparu qui comprenait des Iraniens, des Turcs, des Slaves et des Circassiens – qui se seraient convertis en masse au huitième siècle.

Popularisée dans les années 1970 par l’auteur anglo-hongrois Arthur Koestler dans son livre La treizième tribu, la théorie khazare a été soutenue à nouveau en 2008 par Shlomo Sand, un historien de l’université de Tel Aviv spécialisé en cinéma, dans L’invention du peuple juif.

La théorie a peu de preuve génétique pour la soutenir et est vue comme un mythe par la plupart des chercheurs.

Alors que l’utilisation par Sand et Koestler de la science pour vendre des livres mérite à peine d’être réfutée, Elhaik est un généticien publié dans des journaux scientifiques, a dit DellaPergola. Il a accusé Genome Biology and Evolution d’avoir échoué à faire une révision critique de l’étude avant sa publication.

Le rédacteur en chef du journal, William Martin, a déclaré qu’il « ne peut pas être d’accord avec les accusations disant que les auteurs […] ont approché les données ou l’analyse avec un quelconque élément de malhonnêteté. »

Il se trouve que le dernier mot pourrait appartenir à Yoda. « Beaucoup des vérités auxquelles nous nous accrochons dépendent avant tout de notre propre point de vue », dit le maître Jedi – dans un anglais parfait.

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