Que signifie vraiment la rencontre entre l’Egypte et Israël ?
La visite de Choukri à Jérusalem souligne les intérêts convergents des deux pays, mais si la proposition du Caire pour relancer processus de paix échoue, Sissi pourrait réduire les liens d’un cran
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

La visite surprise du chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Choukri, dimanche en Israël, pourrait augurer un nouvel âge d’or de la coopération israélo-arabe. Ce qui a commencé par un dîner convivial à Jérusalem avec des discussions sur une visite du Premier ministre au Caire pourrait conduire à la relance des pourparlers de paix israélo-palestiniens sous les auspices égyptiens, et peut-être même finir avec la conclusion d’un accord final recherché depuis longtemps.
Mais les Juifs le savent d’expérience, le fait que la route semble courte ne signifie pas qu’il ne faudra pas 40 années de plus. L’enthousiasme de Jérusalem suite à cette visite historique pourrait encore se révéler prématuré.
La dernière visite d’un ministre égyptien des Affaires étrangères en Israël remonte à neuf ans. Le 25 juillet 2007, Ahmed Aboul Gheit (qui plus tôt cette année est devenu le secrétaire général de la Ligue arabe) et son collègue jordanien Abdelelah Al-Khatib étaient venus à Jérusalem.
Officiellement, leur visite avait été présentée comme une mission du « Comité de surveillance de l’Initiative de la Ligue arabe » chargée d’expliquer l’Initiative de paix arabe aux dirigeants israéliens.
A l’époque, Benjamin Netanyahu était le chef de l’opposition, Ehud Olmert était Premier ministre et Tzipi Livni était ministre des Affaires étrangères. Elle revenait d’une rencontre avec celui qui était alors le président égyptien Hosni Moubarak au Caire, quelques mois plus tôt.
Mais de grands mouvements tectoniques ont eu lieu au Moyen-Orient depuis 2007, réorganisant en profondeur le système régional des alliances. Ces changements ont rendu possible la visite de dimanche, qui a eu lieu dans une « très bonne ambiance », a déclaré un haut responsable israélien. « Il y a un changement accueilli par les Egyptiens qui se manifeste dans leur volonté de faire connaître leurs bonnes relations avec Israël », a rapporté le fonctionnaire.

En effet, contrairement à la visite de son prédécesseur il y a près d’une décennie, l’arrivée de Choukri à Jérusalem n’est pas vendue comme faisant partie d’une délégation internationale. Il a participé à deux réunions avec Netanyahu – une au bureau, une à la résidence du Premier ministre, où il a signé le livre d’or et est même sorti sur la terrasse pour regarder la finale du tournoi de football Euro. Le fait que Choukri ait accepté d’être photographié fraternisant avec le dirigeant israélien dans un contexte non professionnel est vraiment remarquable.
Tonight Sara & I hosted Egyptian FM Sameh Shoukry in our Jerusalem home. We made time to watch the #Euro2016Final. pic.twitter.com/30zQnBj6LY
— Benjamin Netanyahu (@netanyahu) July 10, 2016
En outre, les Israéliens et les Egyptiens sont en train de prévoir d’organiser une réunion au Caire entre le Premier ministre Netanyahu et le président égyptien Abdel-Fatah el-Sissi plus tard cette année, selon plusieurs sources israéliennes et arabes.
Ce sont là des signes clairs de réchauffement des liens entre les deux gouvernements et un nouvel exploit impressionnant de politique étrangère pour Netanyahu.
Mais en matière de diplomatie, tout n’est qu’intérêts, et les Egyptiens ne font pas du charme à Israël parce qu’ils sont devenus d’ardents sionistes. Le Caire poursuit plusieurs objectifs dans son rapprochement avec Israël, et en dépit de la satisfaction justifiée de la visite historique de Choukri, Jérusalem devrait garder à l’esprit qu’il y a des limites à la relation israélo-égyptienne.
L’intérêt principal du Caire dans son amitié naissante avec Jérusalem est la coopération dans les domaines de la sécurité et de l’énergie. L’Egypte a besoin de l’aide d’Israël pour lutter efficacement contre le Hamas et d’autres groupes terroristes, et est avide du gaz naturel d’Israël.
D’autres domaines d’intérêt mutuel sont le rôle de la Turquie au Moyen-Orient et l’offre égyptienne de restituer les îles Sanafir et Tiran à l’Arabie Saoudite. En outre, Le Caire estimerait que la nouvelle influence renforcée d’Israël en Ethiopie pourrait aider l’Egypte dans ses négociations avec Addis-Abeba sur la construction d’un nouveau barrage sur le Nil.
De manière toute aussi importante, Sissi se voit comme le nouveau chef du processus de paix israélo-palestinien, comme il l’a clairement indiqué dans son discours du 17 mai appelant les deux parties à relancer les négociations et offrant sa direction dans le processus. La coopération israélienne est cruciale si Sissi veut consolider son rôle dans le leadership régional dont il rêve tant.

« Ma visite en Israël aujourd’hui est une continuation du sens de la responsabilité de longue date de l’Egypte en direction de la paix en tant que telle et pour tous les peuples de la région », a déclaré Choukri, dimanche, au bureau du Premier ministre, à Jérusalem. « L’Egypte reste prête à contribuer à la réalisation de cet objectif ».
L’engagement du Caire pour trouver une solution au conflit israélo-palestinien reste « ferme et inébranlable », a-t-il réitéré, ajoutant que son gouvernement était « sérieux dans sa volonté de fournir toutes les formes possibles de soutien en vue d’atteindre ce noble objectif ».
Israël, qui n’apprécie pas le plan français pour une conférence internationale plus tard cette année à Paris, a toujours préféré une approche régionale et n’est pas opposé à ce que l’Egypte prenne les devants dans le processus de paix. L’approche européenne, pense Netanyahu, ne mènera nulle part et ne fera que renforcer la position de négociation palestinienne. D’autre part, il prévoit que les Etats arabes sunnites seront en mesure de convaincre Ramallah de faire les concessions nécessaires pour progresser.
Une nouvelle initiative pour la paix dirigée par Sissi pourrait bloquer l’initiative française et étouffer toute tentative du président américain Barack Obama de soutenir une résolution en rapport avec la Palestine à l’Organisation des Nations unies, ce qu’espère le dirigeant israélien. À cet égard, également, c’est vrai une convergence d’intérêts entre Jérusalem et Le Caire.
Cependant, Choukri a clairement établi qu’il ne donne pas à Israël carte blanche en ce qui concerne la question palestinienne. « Le sort du peuple palestinien devient plus compliqué chaque jour, et le rêve de paix et de sécurité s’éloigne de la population israélienne à mesure que le conflit se poursuit », a-t-il affirmé.

« Il n’est plus acceptable de prétendre que le statu quo est ce que nous pouvons réaliser de mieux pour les espoirs et les aspirations des peuples palestinien et israélien », a-t-il déclaré. Le statu quo est insoutenable, a-t-il ajouté, appelant à « des mesures sérieuses pour renforcer la confiance ».
L’Egypte a fait le premier pas en venant à Jérusalem, et maintenant la responsabilité repose sur les Israéliens pour montrer qu’ils sont sérieux dans leur volonté d’avancer, a insinué Choukri.
La balle est en effet désormais dans le camp d’Israël, et Netanyahu pourrait trouver difficile de donner à l’Egypte ce dont elle a besoin pour continuer à montrer de la bonne volonté.
La déclaration du 30 mai du Premier ministre affirmant que l’Initiative de paix arabe « contient des éléments positifs » ne suffit pas. Afin de justifier l’adhésion d’Israël au peuple égyptien, Sissi aura besoin de voir des mesures concrètes de la part de Jérusalem.
Mais la coalition penchant fortement à droite de Netanyahu – et ses propres convictions – pourraient rendre difficiles des initiatives conduisant à des progrès significatifs. Et si les efforts actuels visant à relancer les négociations israélo-palestiniennes s’effondrent à cause de ce que de nombreux Egyptiens considéreront sans doute comme de la réticence israélienne, Sissi pourrait rapidement revenir sur son nouvel engagement public avec Jérusalem.