Refonte judiciaire : la proposition de « compromis » de Levin restreindrait à nouveau radicalement le pouvoir judiciaire
La coalition ne serait pas en mesure de nommer elle-même les juges, mais la sélection des juges serait fortement politisée, les Lois fondamentales seraient à l'abri d'un contrôle de la Cour suprême et les autres lois seraient difficiles à bloquer

Dès son entrée en fonction il y a deux ans, le ministre de la Justice Yariv Levin a cherché sans relâche à réformer en profondeur le système judiciaire israélien, en mettant l’accent sur la possibilité pour la majorité au pouvoir de contrôler presque totalement la nomination des juges et de limiter radicalement la capacité du pouvoir judiciaire à exercer un contrôle sur le gouvernement et le législatif.
Son programme a suscité d’intenses divisions au sein de la société et de la classe politique, les critiques accusant ces mesures de saper la démocratie dans le pays et de désintégrer le système de contrôle et d’équilibre des pouvoirs, ce qui a conduit à un mouvement de protestation de masse qui a duré un an et même au refus de certains d’effectuer leur devoir de réserve militaire si la mesure devait passer.
L’invasion barbare du 7 octobre 2023 et les atrocités inhumaines et sadiques perpétrées par le Hamas, ainsi que la guerre qui en a découlé, ont relégué au second plan, pendant un certain temps, l’idée d’une quelconque réforme législative du système judiciaire, mais Levin a néanmoins poursuivi sa lutte contre le pouvoir judiciaire sur plusieurs fronts, provoquant des affrontements répétés.
Le point culminant a été atteint le 12 décembre 2024, lorsque la Cour suprême lui a ordonné de nommer un nouveau président de la Cour avant le 16 janvier, alors que le ministre refusait de le faire depuis alors 15 derniers mois.
Levin a dénoncé l’ordre de la Cour et a menacé d’essayer de légiférer pour le contourner, mais il a manqué de temps et n’a pas eu le soutien politique immédiat pour mettre sa menace à exécution.
Dans ce contexte de crise constitutionnelle, Levin et l’ancien ministre de la Justice, Gideon Saar, désormais ministre des Affaires étrangères, ont dévoilé jeudi 9 janvier dernier une nouvelle proposition visant à modifier en profondeur l’ordre judiciaire et constitutionnel d’Israël.

La proposition comprend des changements dans la composition du comité de sélection judiciaire, qui nomme tous les juges en Israël, des changements dans la manière dont ce comité élit les juges, un processus formel pour légiférer sur les Lois fondamentales semi-constitutionnelles d’Israël, distinct des ordinaires, une interdiction du contrôle judiciaire sur les Lois fondamentales et des restrictions strictes sur le contrôle judiciaire des lois ordinaires.
Tous les détails de la proposition n’ont pas encore été rendus publics et, en réalité, tous les détails nécessaires n’ont pas encore été élaborés par Levin et Saar. Le manque de clarté sur certaines de ces questions rend difficile une détermination complète de la proposition, mais des préoccupations substantielles concernant le nouveau paquet de changements pour le système judiciaire israélien sont néanmoins déjà apparentes.
Comme dans le cas de la précédente réforme, la nouvelle proposition retire à la Cour suprême la possibilité d’invalider les Lois fondamentales quasi-constitutionnelles d’Israël. Elle limite également le contrôle judiciaire sur les autres lois. En outre, la proposition accroît la politisation du Comité de sélection des juges, marginalise le rôle des juges au sein de ce comité et introduit d’autres changements dans le fonctionnement du comité qui laissent entrevoir la nomination de juges de la Cour suprême hautement politisés.
Voici six éléments-clés concernant la nouvelle proposition.
1. Contrôle législatif limité de la Cour suprême
Un pas en arrière dans la nouvelle proposition par rapport au plan précédent de Levin : une coalition gouvernementale ne pourrait pas nommer les juges par elle-même. Au moins un membre du pouvoir judiciaire et un représentant de l’opposition au sein du Comité de sélection des juges devraient approuver les nominations dans les tribunaux inférieurs d’Israël, et au moins un représentant de l’opposition devrait approuver les nominations à la Cour suprême. La proposition initiale de Levin, qui a tant divisé le pays, aurait accordé aux coalitions gouvernementales un contrôle quasi-total sur toutes les nominations de juges dans tous les tribunaux du pays.
La nouvelle proposition préserverait un contrôle qui existe déjà dans le système actuel, en empêchant une coalition gouvernementale de faire dépendre chaque nomination à l’adhésion ou non des juges à l’idéologie politique, juridique et constitutionnelle de l’administration au pouvoir.

2. Politisation du processus de sélection des juges
Comme l’ont souligné de nombreux critiques, dont le député démocrate Gilad Kariv, la nouvelle proposition politiserait considérablement le Comité de sélection des juges, et donc le pouvoir judiciaire lui-même, puisqu’elle remplace les deux avocats sélectionnés pour siéger au comité par l’Association du barreau israélien, un organisme professionnel, par un avocat choisi par la coalition et un avocat choisi par l’opposition.
Même si, en théorie, le même nombre de représentants professionnels demeure inchangé au sein de la commission, les hommes politiques qui les choisissent ne nommeraient probablement que des avocats dont on peut être sûr qu’ils voteraient conformément à leur propre idéologie politique. Par définition, cela politiserait davantage la sélection des juges.
Comme l’a souligné l’Israel Democracy Institute (IDI) dans un communiqué, le nouveau paquet de réformes accorderait également aux hommes politiques et au pouvoir judiciaire un droit de veto sur les nominations aux juridictions inférieures, alors que le système actuel ne le permet pas, ce qui accroîtrait automatiquement le niveau de politisation du système. Cela rendrait « l’avancement professionnel des juges dépendant de la bénédiction des politiciens », a ajouté l’IDI.
Les nominations à la Cour suprême ne nécessiteraient même pas une voix des trois juges de la Cour suprême siégeant au comité, alors qu’actuellement ces nominations nécessitent au moins une voix d’un juge. En conséquence, le pouvoir des voix juridiques professionnelles indépendantes dans la sélection des juges serait encore réduit, au profit de l’échelon politique.
3. Risque d’extrémisation de la Cour suprême
Un mécanisme inclus dans la proposition, censé prévenir les blocages au sein de la commission de nomination des juges de la Cour suprême, pourrait très probablement conduire à la polarisation et à l’extrémisation au sein de la plus haute juridiction d’Israël.
Selon la proposition, s’il y a deux sièges vacants à la Cour pendant plus d’un an et que la commission n’arrive pas à se mettre d’accord sur les personnes à nommer, la coalition proposerait trois candidats et l’opposition devrait choisir l’un d’entre eux, et vice versa.
Bien que cela permettrait à la Cour de disposer d’un personnel complet, cela pourrait conduire à l’élection à la Cour suprême d’idéologues extrémistes, qui pourraient ou non être qualifiés pour le poste, comme l’a souligné l’expert en droit constitutionnel Adam Shinar, de l’université Reichman.
Cela pourrait même encourager l’obstructionnisme au sein de la commission pendant la procédure normale de sélection des juges, car les politiciens pourraient se dire qu’ils peuvent faire élire à la Cour des juges qui suivent le plus fidèlement leur propre idéologie politique s’il leur suffit d’attendre un an.

4. Contrôle des Lois fondamentales retiré à la Cour suprême
Israël a cruellement besoin d’une constitution plus rigide, qui doit inclure un processus législatif plus rigoureux pour l’adoption des Lois fondamentales, qui constituent actuellement l’équivalent de sa constitution, que pour les lois régulières. Le paquet de réformes proposé par Levin et Saar comprend une disposition relative aux Lois fondamentales : une législation qui définira un tel système, mais qui manque cruellement de détails.
Elle stipule que légiférer sur une Loi fondamentale ne peut se faire « soudainement » et au moyen d’une coalition étroite, et que cela ne peut traiter que des questions fondamentales de l’État, telles que son caractère juif et démocratique, les droits civils et humains, et les mécanismes de gouvernance.
Mais la proposition stipule que la Cour suprême n’aurait pas le pouvoir de contrôle judiciaire sur les Lois fondamentales. Le professeur Yuval Shany, de la faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem, a déclaré que si le curseur pour l’adoption des Lois fondamentales est placé trop bas, des aspects essentiels du régime démocratique d’Israël et la protection des droits démocratiques fondamentaux pourraient être mis en danger sans aucun contrôle de la Knesset en l’absence d’un contrôle judiciaire sur cette législation.
5. Contrôle juridictionnel des lois ordinaires diminué
Le contrôle judiciaire des lois ordinaires pourrait devenir beaucoup plus difficile, car il faudrait une majorité de tous les juges de la Cour suprême en exercice pour annuler une législation. Actuellement, un panel de neuf juges est généralement désigné pour présider les pétitions demandant l’annulation d’une législation de la Knesset, bien que cela ne soit pas une exigence légale, une majorité simple étant requise.
Comme l’a souligné Amit Becher, président de l’Association du barreau israélien, le contrôle juridictionnel pourrait de toute façon devenir lettre morte si la nomination des juges à la Cour suprême était politisée. Il insiste sur le fait que ce sera le cas avec la proposition de Levin et Saar.
« La proposition actuelle n’offre pas les garanties nécessaires à l’indépendance du système juridique », a-t-il déclaré. Bien que l’opposition ait également le contrôle sur la nomination des juges à la Cour suprême, la politisation accrue du nouveau système pourrait conduire à une polarisation accrue au sein de la Cour, ce qui signifierait qu’il serait de plus en plus difficile d’obtenir une majorité de juges pour l’annulation d’une loi.

6. Proposition de réforme « unilatérale »
Bien que Levin et Saar aient présenté la nouvelle proposition comme un « accord historique » et un « compromis », elle a en fait été élaborée par les deux hommes politiques, tous deux ministres au sein du même gouvernement, avec la contribution d’un ancien homme politique centriste et d’un ancien général de droite de Tsahal.
Pour autant que l’on sache, Levin et Saar n’ont pas inclus de membres du pouvoir judiciaire dans l’élaboration de leur nouvelle proposition, ni de politiciens issus de l’opposition, et n’ont donc pas mené de négociations externes pour équilibrer leur série de changements dans l’ordre judiciaire et constitutionnel.
Le président de l’IDI, Yohanan Plesner, a décrit cette nouvelle proposition comme « une autre initiative unilatérale de la coalition » qui, selon lui, « politiserait le système judiciaire sans garantir les droits fondamentaux des Israéliens ».
Reste à savoir si la vaste série de réformes du système judiciaire israélien proposée par Levin et Saar marquera le début d’une véritable négociation entre les différentes composantes du gouvernement israélien, ou s’il s’agit d’une proposition inchangeable que la coalition fera passer en force à la Knesset, quelle que soit l’opposition qu’elle rencontrera.
Si tel est le cas, Israël peut s’attendre à une nouvelle période de grave instabilité sociétale et politique, qui éclaterait probablement à brève échéance.
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