Réouverture de la Knesset dans l’ombre du plan de refonte judiciaire
Le budget de l'État captera l'attention immédiate des députés, tandis que la réforme du système de la justice continuera à influencer les activités parlementaires
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.

La Knesset rouvre pour sa session estivale dimanche – mettant un terme à un congé de quatre semaines qui a finalement peu calmé les tensions nationales entourant les efforts controversés du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu. La coalition cherche, en effet, à renforcer sa mainmise sur le pouvoir en ôtant au système judiciaire son autorité et son indépendance.
Tandis que la crise judiciaire va continuer à être au cœur de la politique nationale, l’attention du Parlement sera consacrée, le mois prochain, à l’adoption d’un budget de l’État, une question qui s’avère plus pressante dans l’immédiat.
Le gouvernement aura quatre semaines pour faire avancer ce budget compliqué, courant sur deux ans, à travers la Knesset, où il sera étudié en commission et voté à deux reprises en séance plénière avant la date butoir du 29 mai. Si ce budget ne devait pas être approuvé à cette date fixée, le Parlement sera immédiatement dissous et des élections anticipées seront organisées.
Mais le processus de réforme du système de la justice en Israël devrait peser sur les discussions budgétaires dans la mesure où les ministres et les partis pourraient conditionner leur approbation du budget au soutien aux réformes du système de la justice très controversé, des réformes qui ont entraîné un mouvement de protestation massif. Le débat restera, lui aussi, très agité dans les négociations qui sont actuellement en cours à la résidence du Premier ministre et dans les rues.
La finalisation du budget
L’adoption du budget de l’État 2023 est en retard – alors même que le gouvernement de Netanyahu a obtenu une prolongation automatique jusqu’à la fin du mois de mai pour faire approuver par les députés ce plan fiscal déterminant. La date limite pour l’approbation du budget, pour la coalition de la ligne dure, est de très exactement six mois après sa prise de pouvoir.
Le parti du Likud, de Netanyahu, a fait des promesses généreuses pour s’assurer qu’il aurait le soutien de ses partenaires de coalition ultra-orthodoxes et d’extrême-droite, allouant notamment des sommes généreuses qui financeront l’éducation haredi et des initiatives religieuses et qui permettront d’améliorer la situation des résidents des implantations de Cisjordanie.

Le ministre des Finances Bezalel Smotrich a pris en compte ces promesses en faisant passer le budget courant sur deux ans à un billion de shekels. Cette hausse des dépenses de 32 milliards de shekels, entre 2022 et 2023, augmentera le déficit fiscal dans un contexte notamment marqué par une base d’imposition moins importante – un phénomène lié en partie aux dommages économiques entraînés par le projet de réforme du système israélien de la justice.
Même si les cinq partis majeurs de la coalition ont fait campagne sur la réduction du coût de la vie, le budget qui a été proposé a été critiqué dans la mesure où il ne parvient pas à s’attaquer de manière significative aux difficultés rencontrées par les citoyens concernant les prix élevés du logement, des biens, de l’alimentation et des services.
Le ministre du Likud David Bitan, qui est président de la Commission des Affaires économiques de la Knesset, a évoqué ce sujet samedi soir, reprochant aux députés de la majorité au pouvoir de ne pas avoir pris d’initiatives significatives en faveur de la réduction du coût de la vie et dans la lutte contre les causes qui sont à l’origine de l’envolée des prix.
Le statut de la réforme du système judiciaire
Fin mars, le feuilleton national avait atteint son apogée lorsque Netanyahu, qui devait faire face à des manifestations croissantes, des grèves et un chaos général au sein de la société, avait mis en suspens un projet de loi visant à donner à son gouvernement le contrôle de la nomination des juges dans le pays, quelques heures avant l’adoption présumée de cette législation et à la veille du départ en congé du parlement.
Depuis lors, la politique, le discours public et plusieurs fêtes nationales ont continué à porter la marque de ce conflit en cours qui touche avant tout aux limites et à la réelle indépendance des autorités judiciaires.
Tandis que les équipes de la coalition et de l’opposition se livrent actuellement à des négociations qui se déroulent sous les auspices du président Isaac Herzog, aucun progrès tangible n’a été enregistré jusqu’à présent, selon des sources proches du dossier. Toutefois, si le projet de refonte du système judiciaire israélien était auparavant un sujet opposant strictement la coalition à l’opposition, de nouvelles fractures sont apparues sur le sujet au sein de la majorité au pouvoir, déchirée sur la marche à suivre.

Les partisans de la ligne dure dans le gouvernement – notamment les artisans du projet de refonte, le ministre de la Justice Yariv Levin et le député Simcha Rothman – demandent l’adoption du plan, consentant toutefois à des degrés variés de modification. Netanyahu, pour sa part, n’a pas fait savoir ce qu’il voulait faire.
Jeudi, une manifestation massive de droite qui a réuni des partisans du mouvement national-religieux et des soutiens du mouvement pro-implantation a été interprétée par un grand nombre comme un appel lancé à Netanyahu, exhortant le Premier ministre à faire avancer les projets de loi.
Levin a néanmoins reconnu à cette occasion que des compromis pouvaient être envisageables – un ton de conciliation qui a entraîné l’insatisfaction bruyante des 200 000 personnes environ qui s’étaient rassemblées.
Le député Bitan, qui s’est distancié de Netanyahu et qui n’est pas lui-même impliqué dans les pourparlers à la résidence du président, a aussi accusé le Likud, samedi, de ne pas avoir pris les négociations de compromis suffisamment au sérieux. Il a recommandé au parti de le faire.

Problème à l’horizon ?
Des sources issues de la coalition s’attendent à ce que les points abordés lors des pourparlers portant sur le plan de refonte du système de la justice en Israël puissent déborder sur le budget, les politiciens pouvant être enclins à marchander leur soutien à l’un pour obtenir des concessions dans l’autre. La réforme judiciaire touchera également les négociations sur les autres projets de loi présentés aux députés.
Il y a, parmi ces projets de loi, une législation qui ancrerait dans le marbre l’exemption de service militaire des jeunes hommes issus de la communauté utra-orthodoxe. Les partis haredim réclament l’adoption de ce nouveau texte avant d’accorder leurs votes au budget, conformément aux accords de coalition signés avec le Likud.
Netanyahu tenterait de dissocier les deux sujets et de reporter toute nouvelle loi sur le service militaire au lendemain de l’approbation du budget, son bureau travaillant directement avec les formations religieuses sur cette question controversée.
Néanmoins, au début du mois d’avril, Netanyahu avait avancé une solution potentielle avec l’abaissement de l’âge de l’exemption de service militaire en le faisant passer de 26 ans – comme c’est le cas actuellement – à entre 21 ans ou à 23 ans pour les membres de la communauté ultra-orthodoxe, pour permettre à ces derniers de pouvoir passer plus tôt de l’étude religieuse à plein temps au marché du travail sans pour autant risquer d’être enrôlés dans Tsahal.
Les députés ultra-orthodoxes tenteraient aussi de faire approuver une nouvelle loi qui ôterait au gouvernement, en faveur des législateurs du Parlement, le pouvoir de fixer le nombre d’érudits religieux qui, par institution, doivent être recrutés dans l’armée.

La question de l’exemption de service militaire des érudits religieux est un problème brûlant, depuis longtemps, dans la politique israélienne et elle est en partie à l’origine de la fissure entre le parti de droite Yisrael Beytenu, qui siège dans l’opposition, et les autres factions qui partagent pourtant son idéologie dans la coalition de Netanyahu. La Haute cour a rejeté à deux reprises le principe de l’exemption de service militaire pour cause d’études religieuses et la Knesset a été dans l’incapacité de mettre au point des législations en mesure, à la fois, de ne pas violer les lois anti-discrimination et de satisfaire les politiciens ultra-orthodoxes.
A la place, les ministres n’ont cessé de demander et de recevoir des prolongations de la part du tribunal. La prolongation actuelle – c’est la 15e – doit expirer le 31 juillet 2023.
Ce problème du service militaire, qui n’a toujours pas été résolu, est au cœur de la volonté des partis ultra-orthodoxes de mettre au point un mécanisme qui permettrait de passer outre les jugements rendus par la Haute cour dans le cadre de la réforme plus générale du système de la justice israélien. En plus de chercher à prendre le contrôle des nominations des magistrats en Israël, la coalition a demandé à permettre à la Knesset de bénéficier d’un droit de veto face à l’invalidation des lois par la plus haute instance judiciaire du pays, ainsi qu’à pouvoir neutraliser l’autorité dont bénéficient les conseillers juridiques dans les ministères. Elle cherche aussi à ôter aux juges a priori toute possibilité de réexaminer une loi ou une décision prise par le gouvernement par l’addition d’une clause préalablement intégrée dans le texte qui irait dans ce sens, entre autres dispositions.
Les critiques déclarent que cette tentative de neutralisation du système judiciaire ôtera le seul contre-pouvoir déterminant s’opposant à la puissance politique et à la tyrannie de la majorité, ce qui détruira la nature de la démocratie libérale au sein de l’État juif. Pour ses partisans, les réformes viendront rééquilibrer les pouvoirs en les ôtant à un système judiciaire qu’ils considèrent comme excessivement activiste et en les confiant aux représentant élus de la nation.

Inquiétudes immédiates
Parallèlement à la reprise des activités de la Knesset, dimanche, la rencontre hebdomadaire du cabinet de Netanyahu devrait être l’occasion de voter une proposition controversée visant à faire du sionisme une valeur d’orientation dans les décisions gouvernementales – un principe qui, s’il est adopté, pourrait affecter l’allocation des ressources et légaliser un traitement différentiel des populations, des projets et des communautés.
Le ministre du Neguev, de la Galilée et de la résilience nationale, Yitzhak Wasserlauf, a indiqué mercredi que le gouvernement pourrait ainsi « accorder la préférence aux soldats et aux vétérans de Tsahal, renforcer le lien entre la nation juive et sa terre et renforcer le Neguev, la Galilée et la Judée-Samarie [Cisjordanie]. »
Cette décision – si elle devait être approuvée – serait, dans les faits, la première tentative visant à transformer la loi sur l’état-nation controversée de 2018 (une loi qui décrétait qu’Israël était l’État nation du peuple juif) en orientation politique claire et applicable sur le terrain.
Lundi, la Knesset se réunira en séance plénière pour le lancement de sa session estivale. Le président américain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a été invité à y prendre la parole. Ce sera la seconde fois qu’un président américain de la Chambre s’exprimera devant le parlement israélien après Newt Gingrich, en 1998.