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Retour sur l’étrange histoire des missions israéliennes envoyées en Corée du Nord

25 ans après l’envoi d’une délégation des Affaires étrangères et d’une autre du Mossad à Pyongyang pour tenter d’arrêter les ventes d’armes aux ennemis d’Israël, l’épisode suscite toujours amertume et controverse

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Défilé militaire en Corée du Nord. Illustration. (Crédit : Shutterstock)
Défilé militaire en Corée du Nord. Illustration. (Crédit : Shutterstock)

Le 3 novembre 1992, trois diplomates israéliens sont montés à Pyongyang dans un avion en direction de Tokyo. Ils venaient de participer à la première mission diplomatique de l’histoire de l’Etat juif en Corée du Nord, et rentraient en Israël avec l’espoir que les deux pays puissent revenir sur leur inimitié historique et se lancer dans une nouvelle ère de coopération fructueuse. Ils rêvaient d’installer une mission israélienne à Pyongyang, et de persuader le régime reclus de cesser de vendre des armes aux ennemis d’Israël au Moyen Orient.

Mais, alors qu’ils s’installaient dans l’avion, ils ont vu Efraïm Halevy, qui était alors le directeur-adjoint du Mossad, et ont immédiatement compris que leur mission avait des problèmes.

« J’ai dit ‘Shalom, Shalom’, mais c’est tout. Je ne lui ai pas parlé », a raconté Abraham Setton, qui était alors l’assistant du vice-directeur général du ministère des Affaires étrangères. « Dès que je l’ai vu, j’ai compris ce qu’il se passait. Je connaissais leurs trucs. »

Setton a expliqué cette semaine au Times of Israël que l’implication de l’agence d’espionnage signifiait que le ministère des Affaires étrangères était hors jeu. Si le Mossad était impliqué, rien de tangible ne sortirait des projets des diplomates pour rapprocher Pyongyang et Jérusalem.

Et c’est bien ce qu’il s’est passé. La tentative peu connue d’Israël pour entrer en relation avec la Corée du Nord a été interrompue par le Premier ministre Yitzhak Rabin début 1993, probablement à cause des pressions américaines. Elle s’est révélée être un désaccord de plus entre Rabin et Shimon Peres, les deux poids lourds du Parti travailliste.

Et 25 ans plus tard, alors que la Corée du Nord menace l’Occident d’une catastrophe nucléaire, l’étrange histoire de deux institutions du gouvernement israélien tâtant le terrain d’un régime hostile, où le Mossad aurait saboté les efforts des Affaires étrangères, reste sur le cœur de ceux qui y étaient impliqués.

Les tanks de l'armée nord-coréenne pendant une parade militaire commémorant le 105e anniversaire de Kim Il-Sung, à Pyongyang, en Corée du Nord, le 15 avril 2017. (Crédit : Ed Jones/AFP)
Les tanks de l’armée nord-coréenne pendant une parade militaire commémorant le 105e anniversaire de Kim Il-Sung, à Pyongyang, en Corée du Nord, le 15 avril 2017. (Crédit : Ed Jones/AFP)

Les partisans du contact pensent qu’Israël aurait pu forger des relations avec la Corée du Nord, et changer l’histoire. Ses détracteurs rejettent cette possibilité, un ancien haut diplomate du ministère des Affaires étrangères qualifiant cette tentative de « l’un des épisodes les plus horribles de l’histoire d’Israël. »

Même au sein du ministère des Affaires étrangères lui-même, il existait un désaccord : certains affirment qu’une opportunité historique de transformer la Corée du Nord en force bénigne avec des relations économiques fortes avec Israël a été ratée ; d’autres jugent que cette tentative était délirante et stupide.

Même si Israël a reconnu la Chine communiste dès 1950, il n’a jamais établi de relations avec la Corée du Nord. Au fil des années, les relations avec Pyongyang, qui fournissaient des missiles sophistiqués à la Libye, à l’Iran, à la Syrie et à d’autres pays de la région, sont restées extrêmement hostiles jusque dans le début des années 1990. A l’époque, la Corée du Nord subissait une grave crise économique, et son fondateur et président, Kim Il-sung, était tombé malade. Une partie des dirigeants de Pyongyang semblait prête à envisager d’ouvrir le pays à l’Occident.

En septembre 1992, Eytan Bentsur, vice-directeur général des Affaires étrangères, a établi une relation, par des connaissances communes, avec un homme d’affaires nord-coréen qui proposait un accord : Israël achèterait une ancienne mine d’or à la Corée du Nord, et en échange, Pyongyang limiterait, voire gèlerait, ses ventes d’armes à l’Iran.

« Ils sont venus me voir avec cette idée, que j’ai alors présentée à Peres [qui était alors ministre des Affaires étrangères, a raconté Bentsur cette semaine. Je lui ai dit qu’il y avait une opportunité, et Peres a répondu ‘allez-y’. L’une de ses conditions était que tout soit entièrement secret, et de ne même pas en parler au département Asie du ministère des Affaires étrangères. »

Efraim Halevy, ancien directeur du Mossad. (Crédit : Eli Itkin/CC BY-SA/Wikimedia Commons)
Efraim Halevy, ancien directeur du Mossad. (Crédit : Eli Itkin/CC BY-SA/Wikimedia Commons)

Le 1er novembre 1992, cinq Israéliens – Bentsur, Setton, Ruth Cahanoff, diplomate déployée à Pékin, et deux géologues – se sont rendus à Pyongyang pour étudier la possibilité de coopération avec le régime. Le ministère des Affaires étrangères avait informé le Mossad de la mission, puisque l’agence d’espionnage est traditionnellement chargée des relations avec qui Israël n’a pas de relation diplomatique.

« Nous avons partagé l’information avec Halevy, sans cacher aucun détail, a raconté Setton en 2007. Halevy, pour sa part, n’a soulevé aucune objection pendant toute la réunion. Et pourtant, dans nos efforts pour nous conformer au protocole, nous avons été naïfs de penser que nous pouvions coopérer avec le Mossad. »

Bentsur et Setton ont tous les deux raconté, pendant des entretiens distincts accordés mercredi au Times of Israël, qu’ils avaient été chaleureusement accueillis à Pyongyang. La délégation israélienne était restée plusieurs jours dans la résidence officielle des invités du régime, a indiqué Bentsur.

« Nous avons voyagé en hélicoptère avec le dirigeant [Kim Il-sung], et rencontré son adjoint. Nous étions accompagnés par un général haut gradé de l’armée nord-coréenne pendant toute notre visite, et ils nous ont divertis avec un immense spectacle. » Une rencontre avec le gendre de Kim, chargé des exports d’armements de son pays, avait été organisée, a dit Setton.

Ce que les diplomates israéliens ne savaient pas à ce moment, c’est qu’ils n’étaient pas les seuls Israéliens à Pyongyang.

« En même temps, une seconde délégation israélienne, dirigée par Halevy, était aussi en visite dans la capitale nord-coréenne », a affirmé Aron Shai, expert de l’Asie orientale. « Halevy avait organisé la visite parce qu’il considérait que le sujet était ‘important’. L’Iran avait la capacité de tirer des missiles, et s’il y avait la moindre chance d’empêcher une collaboration irano-nord-coréenne dans ce domaine, une telle opportunité ne pouvait être ratée… Les Coréens avaient abordé le sujet, Jérusalem s’est donc sentie obligé de tester la température. »

Shimon Peres à la résidence présidentielle de Jérusalem, le 10 avril 2013. (Crédit : Lior Mizrahi/Getty Images)
Shimon Peres à la résidence présidentielle de Jérusalem, le 10 avril 2013. (Crédit : Lior Mizrahi/Getty Images)

On ne sait toujours pas précisément aujourd’hui ce qu’ont fait les représentants du Mossad en Corée du Nord, mais la délégation du ministère des Affaires étrangères a été emmenée à la mine d’or d’Unsan, qu’Israël devait acheter ou réhabiliter, a écrit Shai, professeur de l’université de Tel Aviv, dans l’Israel Journal of Foreign Affairs l’année dernière. « On ne connaît l’existence d’aucun document israélien officiel sur les délibérations entre les deux délégations. Cependant, en général, il ressort que des accords mutuellement bénéficiaires ont été discutés. »

Bentsur et ses collègues étaient convaincus que la Corée du Nord était sincèrement ouverte à un rapprochement. Bentsur pense même toujours que c’était le cas.

« C’était une opportunité historique, a-t-il dit mercredi. La Corée du Nord avait à sa tête un dirigeant malade et dans le pays, le climat était à l’inquiétude du lendemain. Ils voulaient des investissements occidentaux, ils cherchaient un nouveau moyen de surmonter la sévère crise économique dont ils souffraient. Nous sommes entrés dans cet espace. »

Le régime était prêt à envisager de permettre à Israël d’ouvrir une mission diplomatique, et la possibilité d’une visite de Peres dans le pays a été discutée, a-t-il ajouté. « Shimon Peres était un homme d’action, il a vu une grande opportunité et a voulu l’exploiter », a dit Bentsur.

« C’était un fiasco, à tous points de vue »
Moshe Yegar

Les Nord-Coréens voulaient initialement parler principalement de coopération économique ; ils voulaient qu’Israël s’occupe de la mine d’or d’Unsan et envisage d’investir un milliard de dollars dans le pays, a-t-il dit.

Bentsur affirme qu’il avait précisé à la Corée du Nord que Jérusalem n’améliorerait pas significativement leurs relations bilatérales tant que Pyongyang vendrait des missiles aux ennemis d’Israël. « Evidemment qu’ils n’étaient pas partants pour cesser leurs ventes d’armes, a-t-il dit au Times of Israël. Mais j’ai abordé le sujet, encore et encore, et il est rapidement devenu évident pour eux que sans contrepartie, nous ne pourrions pas progresser. »

Dans les semaines qui ont suivi le voyage de novembre 1992, il a semblé aux décisionnaires israéliens que la Corée du Nord pourrait effectivement être prête à répondre aux demandes de Jérusalem, notamment si l’Etat juif aidait Pyongyang à se rapprocher rapidement des Etats-Unis. Cependant, Halevy a rapidement conclu que le régime continuait de vendre des missiles aux ennemis d’Israël, qu’un accord était improbable, et qu’il était mieux de cesser tout contact.

En janvier 1993, la Corée du Nord a invité Peres et Bentsur à Pyongyang. Rabin a cependant refusé qu’ils y aillent, apparemment parce que les Etats-Unis et la Corée du Sud étaient de plus en plus mécontents de la détente entre Israël et la Corée du Nord. Le Premier ministre lui-même ne croyait probablement pas que les Nord-Coréens pourraient tenir leurs promesses. Bentsur a protesté, et a continué à argumenter en faveur de la reprise des discussions, mais n’a pas été écouté.

« Il semble qu’Halevy a utilisé ses pouvoirs de persuasion pour convaincre les Américains et Rabin de cesser immédiatement les négociations, a écrit Setton en 2007. Rabin n’a même pas pris la peine de nous consulter, refusant même de nous recevoir, et n’avait par conséquent pas toutes les informations au moment de prendre sa décision. »

De gauche à droite : Asher Naim, ambassadeur d'Israël en Corée du Sud, le Premier ministre Yitzhak Rabin et le président sud-coréen Kim Yung Sam à Séoul, en décembre 1994. (Crédit : Yaacov Saar/GPO)
De gauche à droite : Asher Naim, ambassadeur d’Israël en Corée du Sud, le Premier ministre Yitzhak Rabin et le président sud-coréen Kim Yung Sam à Séoul, en décembre 1994. (Crédit : Yaacov Saar/GPO)

« Le Mossad était responsable de la décision d’y mettre fin », a dit Bentsur cette semaine, accusant l’agence d’avoir activement saboté l’initiative du ministère des Affaires étrangères simplement parce qu’elle ne voulait pas qu’une autre agence traite avec la Corée du Nord. « Le Mossad a fait pression sur la CIA pour qu’elle fasse pression sur [celui qui était alors le secrétaire d’Etat américain, Warren] Christopher, et cela a été la fin. »

Choisissant de ne pas répondre aux accusations soulevées contre le Mossad, Halevy a renvoyé mercredi le Times of Israël à ses mémoires de 2006, Man in the Shadows, qui consacre quelques pages à sa mission en Corée du Nord.

Naturellement, le Mossad est resté totalement silencieux sur ses contacts avec Pyongyang. Il est cependant bien documenté que l’espoir israélien d’un rapprochement avec la Corée du Nord a été attaqué depuis l’intérieur même du ministère des Affaires étrangères.

« C’était un fiasco, à tous points de vue », a dit Moshe Yegar, qui dirigeait alors le département Asie du ministère. « Ils ont envoyé des gens en Corée du Nord ; cela n’a pas vraiment fait honneur à l’Etat d’Israël. »

Yegar n’avait pas été informé des plans de la mission de Bentsur pour se rendre à Pyongyang. Il n’a même appris le projet que quand la presse l’a divulgué, a-t-il dit la semaine dernière au Times of Israël.

Le Mossad n’est pas obligé d’informer le ministère des Affaires étrangères de ses activités, a indiqué Yegar. Mais que son propre patron ne le consulte pas avant de se lancer dans une telle mission a condamné le projet depuis le début, a-t-il accusé.

Moshe Yegar en 1985. (Crédit : Yaacov Saar/GPO)
Moshe Yegar en 1985. (Crédit : Yaacov Saar/GPO)

Bentsur a répondu que Peres lui avait ordonné de garder le secret sur cette initiative.

« C’était tellement secret que c’était dans les pages de Maariv, a dit ironiquement Yegar. J’étais chargé de l’Asie, ils m’ont tendu un piège. »

Tenter de faire abandonner à la Corée du Nord ses lucratives ventes d’armes à l’Iran et au monde arabe en échange de relations plus étroites avec Israël était totalement irréaliste, et un expert de la région l’aurait su dès le début, a expliqué Yegar.

« C’est stupide. C’est totalement illogique. Quand vous avez une telle idée, vous devez consulter des gens, ne pas le faire en secret, puis le divulguer à la presse, a-t-il poursuivi. Qu’Israël devienne amical avec la Corée du Nord est si absurde que quand je l’ai lu, dans l’article de Maariv, j’ai refusé d’y croire. »

Explorer des moyens d’empêcher des missiles d’arriver dans les mauvaises mains est louable, mais il n’y avait « absolument aucun moyen » qu’Israël puisse réussir à obtenir de Pyongyang qu’il suive un tel objectif, a affirmé Yegar, puisque ces accords avaient « un millier de fois plus de valeurs pour la Corée du Nord que tout ce qu’Israël pouvait offrir », a-t-il ajouté.

« C’est l’un des épisodes les plus horribles de l’histoire d’Israël. Heureusement, rien n’en est sorti. »

Bentsur et son équipe soulignent pour leur part que leur mission aurait pu changer le cours de l’histoire. Si les efforts de rapprochement n’avaient pas été sabordés par le Mossad, affirment-ils, la Corée du Nord serait aujourd’hui un état comme la Chine : peut-être autoritaire, mais globalement pacifique et concentré sur la prospérité économique plutôt que sur la confrontation.

« A l’époque, il y avait un climat de changement », a dit Bentsur, ajoutant que certains des dirigeants étaient prêts à engager leur pays dans une autre direction, plus pro-occidentale. Les experts du Japon et de la Corée du Sud, et même le magazine Time, parlaient d’une « révolution » quand les premières discussions ont été rendues publiques, a-t-il dit.

« A ce moment particulier, il était possible de transformer un régime agressif et dangereux en régime concentré sur le développement de sa propre économie, a-t-il ajouté. Il est certain que cela aurait donné une Corée du Nord différente. »

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