Roman Zadorov innocenté du meurtre de Tair Rada après 16 ans de prison et 4 procès
Après plus d'une décennie passée derrière les barreaux pour le meurtre d'une élève qui a choqué le pays, les juges déclarent qu'il existe un doute raisonnable quant à sa culpabilité
Dans une décision spectaculaire concernant l’affaire de meurtre peut-être la plus célèbre de l’histoire d’Israël, Roman Zadorov, a été acquitté jeudi du meurtre en 2006 d’une écolière de 13 ans qui avait horrifié la nation, lors d’un quatrième procès qui a annulé les condamnations précédentes et 16 ans derrière les barreaux après avoir été condamné à la perpétuité.
Le meurtre effroyable de Tair Rada dans les toilettes d’une école de la ville de Katzrin, dans le nord du pays, a longtemps fait l’objet d’un débat intense en ligne et dans les médias. Nombreux sont ceux qui pensent que Zadorov, aujourd’hui âgé de 45 ans, n’est pas le meurtrier et qu’il a été condamné sur la base de preuves circonstancielles insuffisantes, tout en ignorant les éléments indiquant la présence d’une autre personne sur les lieux du crime. D’autres sont convaincus que les preuves, bien qu’incomplètes, ne laissent guère de place au doute quant à sa culpabilité.
A la une des quotidiens, l’affaire a totalement éclipsé la crise politique qui secoue le pays à propos de la réforme de la justice voulue par le gouvernement et conspuée dans la rue, et les chaînes d’information israéliennes étaient en direct du tribunal de district de Nazareth bien avant l’annonce du jugement.
La cour « a acquitté aujourd’hui […] l’accusé Roman Zdorov du meurtre de Taïr Rada ». Au prononcé du verdict, à 2 vois contre 1 et retransmis par une liaison vidéo en direct, l’intéressé, entouré de sa femme et de son fils a fondu en larmes.
« La vérité a triomphé », a-t-il déclaré en quittant le tribunal en homme libre. « Je suis heureux. J’étais confinée chez moi, maintenant je vais me promener avec mes enfants ».
Les juges Asher Kula et Danny Sarfati ont acquitté Zadorov, tandis que le troisième juge, Tammar Nissim Shai, l’a déclaré coupable. Le verdict compte quelque 700 pages.
Une représentante des procureurs de l’État chargés de l’affaire a déclaré que son équipe étudierait le verdict et déciderait ensuite de faire appel ou non de l’acquittement auprès de la Cour suprême.
La famille de Rada, qui affirme depuis longtemps que c’est la mauvaise personne qui a été condamnée, a mené pendant des années une campagne publique qui a abouti à la découverte de nouvelles preuves et à l’annonce d’un nouveau procès en 2021, à l’issue duquel Zadorov avait été libéré et assigné à résidence.
« Justice est faite, pour la première fois », a pour sa part déclaré à la presse Ilana Rada, la mère de la victime, accusant le ministère public d’avoir mal géré l’affaire et d’avoir fait condamner un faux coupable.
« La prochaine étape est de commencer à chercher les meurtriers. Et nous savons où aller », a-t-elle lancé, sibylline.
Agée de 13 ans, Taïr Rada avait été retrouvée morte le 6 décembre 2006, baignant dans son sang dans les toilettes de son école à Katzrin, avec des entailles au cou, des coups de couteau sur tout le corps et des coups violents à la tête.
Quelques jours plus tard, la police arrête Zadorov, un ressortissant ukrainien ouvrier du bâtiment marié à une Israélienne et employé pour un chantier dans l’école. Il est alors âgé de 28 ans.
Deux semaines après l’arrestation, la police a annoncé que Zadorov avait avoué le meurtre de Rada et reconstitué le crime. Mais un jour plus tard, l’avocat de Zadorov a annoncé que son client s’était rétracté, affirmant que ses aveux et sa reconstitution avaient été obtenus sous la contrainte et qu’ils contenaient des informations erronées.
En 2010, près de 4 ans après l’arrestation il est condamné à la perpétuité pour meurtre avec préméditation. A la suite d’une nouvelle expertise sur le couteau utilisé pour le meurtre, la Cour suprême ordonne que l’affaire soit rejugée et le tribunal de Nazareth le déclare de nouveau coupable en 2014, décision confirmée l’année suivante par la Cour suprême.
Ses avocats, ainsi que des milliers de citoyens, insistent sur le fait que Zadorov a été piégé pour un acte qu’il n’a pas commis et que le véritable meurtrier est une femme nommée Ola Kravchenko, dont le petit ami de l’époque, Adir Habani, a déclaré des années plus tard qu’elle lui avait avoué le meurtre.
À la suite d’une analyse ADN effectuée par les enquêteurs, l’Institut médico-légal d’Abu Kabir a annoncé en 2018 qu’un cheveu trouvé sur le corps de Rada n’appartenait pas à Zadorov, mais pouvait correspondre à Habani (parmi des milliers de correspondances possibles), relançant les spéculations sur l’assassinat.
En 2019, l’avocat de Zadorov, Yarom Halevi, a déposé une demande de procès auprès de la Cour suprême, affirmant l’existence de « beaucoup de nouvelles preuves qui prouvent sans équivoque que Zadorov n’a pas assassiné la personne décédée et n’a pas pu l’assassiner ».
En lisant sa décision jeudi, le juge Kula a déclaré qu’il y avait une « crainte substantielle que les aveux de Zadorov soient de faux aveux ». Il a critiqué les procureurs de l’État, déclarant qu’ils n’avaient « pas réussi à prouver, au-delà de tout doute raisonnable, que ses aveux correspondaient aux constatations faites sur les lieux ». Il n’est ni sadique ni pédophile et n’est pas sujet à des accès de violence incontrôlés ».
Le juge Sarfati a estimé que Zadorov avait subi « une forte pression du fait qu’il risquait la prison à vie », ce qui l’a « convaincu qu’il devait faire des aveux ».
« Pourquoi l’accusé aurait-il assassiné une jeune fille sur son lieu de travail et aurait-il laissé un sac rempli de preuves ? Comment a-t-il quitté les lieux en dégoulinant [de sang] alors qu’aucun témoin ne l’a vu ? Comment se fait-il que les semelles de ses chaussures ne soient pas imbibées de sang ? Comment peut-on arriver à une conclusion sur la base de tous ces points d’interrogation ? L’accusation a échoué et il doit être acquitté », a-t-il conclu.
Dans son opinion minoritaire, le juge Nissim Shai a tenu des propos diamétralement opposés, soulignant la complexité de l’affaire, même pour des juristes expérimentés qui ont étudié les mêmes preuves et entendu les mêmes témoignages.
« Zadorov est coupable au-delà de tout doute raisonnable », a-t-elle déclaré. « Ses aveux sont détaillés et riches, et n’ont pas été faits sous le coup de la peur. Dans ses nouveaux témoignages, Nissim Shai a jugé que Zadorov « a ignoré ses versions précédentes. Ses [nouvelles] versions sont des mensonges. Il a confirmé qu’il avait menti au précédent panel de juges ». Elle a ajouté qu’il avait connaissance d’une série de faits que seul le tueur pouvait connaître.
Tout en reconnaissant que l’ensemble des preuves et le travail d’enquête n’étaient « pas parfaits », elle a conclu que « tout point d’interrogation n’est pas une raison d’acquittement ».
Aucun des juges n’a non plus indiqué qu’il existait un dossier sérieux contre Kravchenko et, à la fin de la lecture du verdict, le juge Kula s’est adressé à Ilana Rada, la mère de la victime.
« Nous avons essayé de résoudre le mystère, mais il est possible que Tair ait emporté son secret dans la tombe », a-t-il déclaré.
S’adressant aux journalistes quelques minutes plus tard, Ilana Rada a rejeté ce commentaire : « Ce n’est pas fini. Tair n’a pas emporté son secret », a-t-elle déclaré en larmes. « Elle a été abandonnée et sauvagement assassinée. Je ne laisserai pas tomber. Une porte qui s’est fermée devant moi pendant de nombreuses années s’est ouverte. Je vais me calmer un peu. Je trouverai les meurtriers. »
« Enfin, après 16 ans de mensonges, la justice a été rendue », a-t-elle déclaré, saluant la décision. « La guerre ne fait que commencer. Il s’agit d’une dissimulation de la part de l’accusation. Les procureurs de l’État d’Israël ont assassiné ma fille », a-t-elle ajouté, réitérant ses accusations passées selon lesquelles le mauvais travail d’enquête et le prétendu coup monté contre Zadorov avaient équivalu à assassiner sa fille une nouvelle fois.
Récupération politique
Les politiciens ont réagi à la décision, beaucoup soulignant les échecs des procureurs de l’État au cours de cette saga de 16 ans et établissant un lien avec la tentative du gouvernement actuel de réformer radicalement le système judiciaire, qui suscite de vives divisions.
« Le lien entre le procès Zadorov et la réforme du système judiciaire est immense », a déclaré l’architecte de la réforme, le député HaTzionout HaDatit Simcha Rothman.
Il a fait valoir que les nombreuses tentatives visant à déterminer laquelle des versions de Zadorov était correcte et si ses aveux initiaux avaient été faits sous la contrainte mettaient en évidence le poids excessif accordé à la détermination du caractère « raisonnable » par les juges – une clause utilisée cette année par la Haute Cour de justice pour annuler la nomination du chef du parti Shas, Aryeh Deri, au poste de ministre. La coalition cherche à limiter son utilisation.
Le député du Likud Ariel Kallner a tweeté : « L’acquittement de Zadorov s’ajoute aux nombreuses injustices commises par un système qui manque de freins et de contrepoids et qui se caractérise par une application sélective, le chantage des témoins et bien d’autres choses encore. »
Une autre députée du Likud, Tally Gotliv, a demandé que l’on cesse de centrer les actes d’accusation sur les aveux des suspects.
La députée Yisrael Beytenu Yulia Malinovsky, membre de l’opposition, a déclaré que cette libération montrait « à quel point nous avons besoin d’une véritable réforme du système judiciaire et de l’application de la loi en Israël, et non du coup d’État que le gouvernement tente de faire passer dans son propre intérêt ».
L’AFP a contribué à cet article.