La vie juive sur les campus US est à la fois stimulée et altérée par le 7 octobre – étude
L'enquête de l'Université Tufts montre qu'avec la guerre, les étudiants juifs semblent s'impliquer davantage dans la communauté
JTA – Dans l’immédiat après 7 octobre, un grand nombre d’étudiants juifs américains ont vécu un regain de connexion avec leur identité juive et cherché les événements juifs sur les campus. Mais cela n’a pas duré pour tout le monde.
C’est ce qui ressort d’une récente étude menée par Eitan Hersh, chercheur à l’Université Tufts, qui a constaté que le degré d’engagement sur les campus juifs avait atteint un pic après les attaques de l’automne 2023, avant de baisser au printemps – au moment où un nombre plus important d’étudiants juifs déclaraient se sentir menacés par les réactions aux manœuvres israéliennes à Gaza.
Cette étude de Tufts est l’une des enquêtes les plus approfondies menées au sujet de la vie juive sur les campus depuis l’attaque du Hamas contre Israël et le début de la guerre à Gaza. Intitulée « Une année de conflit et de croissance sur les campus : une étude au fil du temps de l’impact de la guerre entre Israël et le Hamas sur les étudiants américains », elle est publiée au moment de la rentrée, lorsqu’universités et organisations juives américaines tentent de trouver le moyen de réagir au mieux à l’hostilité que rencontrent les étudiants juifs.
« Je pense que la communauté juive dans son ensemble a raison d’être très préoccupée par la question », explique à la Jewish Telegraphic Agency Hersh, co-auteur de cette étude avec l’assistante de recherche Dahlia Liss, à propos de l’environnement des étudiants juifs sur les campus depuis le 7 octobre. « La dynamique sociale sur le campus est assez mauvaise. »
L’enquête, financée par la Fondation Jim Joseph, se fonde sur des sondages menés auprès de plus de 1 000 étudiants juifs et 1 500 étudiants non juifs sur 200 campus présentant une forte population juive, ainsi que sur des groupes de discussion avec des étudiants juifs, non juifs et mixtes.
Elle s’appuie par ailleurs sur les conclusions de recherches sur l’antisémitisme sur les campus que le démographe a commencées en 2022 et reprend les réponses de certains de ces étudiants sur une période de trois ans.
En interrogeant les mêmes groupes d’étudiants immédiatement après, puis des mois après, le 7 octobre, Hersh a constaté que leur sentiment de proximité avec les communautés juives de leur campus et leur participation à des événements juifs avaient augmenté juste après les attaques.
Plus de 40 % des répondants juifs se sont dits proches d’une communauté juive suite au 7 octobre, contre 26 % l’année précédente – puis 33 % au printemps 2024. Les étudiants juifs qui ont déclaré avoir pris part à des événements juifs au moins occasionnellement sont passés de 54 % en 2022 à 75 % après les attaques, puis 68 % au printemps 2024, en légère baisse.
L’enquête révèle par ailleurs que les étudiants juifs les plus riches seraient plus susceptibles de soutenir Israël que les moins riches, que les étudiants juifs seraient plus susceptibles d’avoir une opinion négative du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et enfin que les étudiants juifs estimeraient dans l’ensemble que leur université a des a priori envers Israël, là où les étudiants pro-palestiniens pensent le contraire.
Selon une autre étude récente, publiée cette fois par l’Université Brandeis, un tiers environ des étudiants non juifs ont des croyances hostiles aux Juifs ou à Israël. Dans le même ordre d’idées, l’étude de Hersh dit qu’un cinquième des étudiants non juifs ont délibérément décidé d’ostraciser socialement leurs pairs pro-Israël. (Selon l’enquête Brandeis toujours, près d’un quart des étudiants non juifs disent préférer ne pas être amis avec des personnes qui soutiennent l’existence d’Israël en tant qu’État juif.)
Au sein des groupes de discussion, des étudiants juifs ont parlé de divisions intra-juives sur le campus, entre ceux qui soutiennent Israël et ceux, en plus petit nombre mais bruyants, qui soutiennent les Palestiniens.
« Sur mon campus, une partie des Juifs sont pro-palestiniens et si vous êtes neutre ou pro-Israël, alors vous êtes pour eux de l’autre côté », a déclaré un étudiant. « Cela a créé deux groupes et il est très difficile d’avoir des contacts » entre les opposés.
Un autre étudiant évoque des discours toujours plus polarisés sur les campus, en vertu desquels la grande catégorie de « sionistes » est souvent diabolisée. « Certains refusent de croire que je peux avoir les deux opinions : que je peux à la fois être ennuyé par ce qui se passe à Gaza et croire toujours en Israël. Et pour d’autres, tous les sionistes pensent que tuer des gens n’est pas un problème. »
De telles réponses témoignent d’une profonde anxiété chez les Juifs à l’université, explique Hersh.
« Les étudiants juifs sont un peu inquiets, parce qu’ils se disent : ‘Pourquoi ne pourrais-je pas avoir une vision complexe de la situation ?’ », poursuit-il. « Comme s’il fallait forcément choisir son camp comme le suggère l’ambiance qui règne sur le campus. »
Le reflux du niveau d’engagement au fil de l’année – une des conclusions de l’étude – est peut-être le signe d’un retour progressif à la normalité d’avant le 7 octobre. Mais Hersh estime que le « coût social » que de nombreux étudiants juifs estiment payer simplement en assistant à des événements juifs sur le campus, alors que les militants pro-palestiniens s’en prennent de plus en plus ouvertement à Hillel et d’autres organisations juives en raison de leur soutien à Israël, pourrait également jouer un rôle.
« Il y a tellement d’étudiants qui ne savent pas comment participer à la vie juive sur le campus », explique-t-il. « Et la culture du campus est telle que c’est très difficile de ne choisir qu’un programme juif sur le campus. »
L’opinion des étudiants juifs sur Israël est restée relativement inchangée suite aux attaques : la même proportion de personnes interrogées dit qu’il faut maintenir un État juif dans la région et se sent connectée d’une façon ou d’une autre à Israël.
Hersh se dit intrigué par les résultats de l’enquête selon lesquels le soutien des étudiants juifs à Israël est corrélé à leur milieu socio-économique. Les Juifs sont dans l’ensemble plus susceptibles de soutenir Israël quel que soit leur condition, mais les plus aisés sont les plus susceptibles de soutenir Israël (à plus de 70 %), tandis plus de 20 % des Juifs moins riches sont plus susceptibles de s’opposer à son existence.
« Ce que j’aimerais faire, avec cette étude, c’est appeler l’attention sur le critère de classe socio-économique », ajoute-t-il. « Je ne crois pas que les organisations juives en tiennent suffisamment compte, alors que c’est un clivage fort, particulièrement parmi les étudiants dépourvus de solides origines juives. »
Selon le point de vue de nombreux militants pro-palestiniens des campus, d’ailleurs repris par les groupes de discussion de Tufts, le débat sur Israël est souvent perçu comme opposant « sionistes », majoritairement juifs et qui soutiennent tout ce que fait Israël, et anti-sionistes qui ne soutiennent pas du tout l’État.
Mais l’étude de Hersh propose une autre voie : les étudiants juifs les plus impliqués sur le campus sont aussi les critiques les plus sévères des dirigeants israéliens.
Plus les étudiants juifs s’impliquent au sein de la communauté juive du campus, plus leur opinion de Netanyahu se dégrade : plus de 50 % des étudiants issus de milieux juifs « aisés » disent avoir une « mauvaise » opinion de Netanyahu. (Seul un très petit nombre d’étudiants juifs estiment qu’il faisait un « excellent » travail.) Les étudiants juifs des groupes de discussion ont également mentionné leur opposition à Netanyahu plus fréquemment que les non-juifs.
Lorsqu’on leur a demandé, dans leur groupe de discussion, quelle solution ils préféreraient voir appliquer au Moyen-Orient, de nombreux étudiants – sionistes auto-proclamés comme anti-sionistes – ont proposé une version de la solution à deux États.
« Je pense qu’il devrait y avoir un compromis avec une Palestine libre, et Israël comme nation indépendante », déclare un étudiant non juif.