Shai Nitzan : Netanyahu n’a pas été « piégé »
Le procureur israélien a précisé qu'il travaillait avec une équipe de 25 personnes qui sont toutes arrivées aux mêmes conclusions
Le plus haut procureur israélien a défendu la gestion, par les enquêteurs, des dossiers pour corruption impliquant le Premier ministre Benjamin Netanyahu et rejeté les affirmations selon lesquelles la décision de mettre en examen le Premier ministre avait été motivée par une quelconque partialité politique.
Il a également démenti tout piège tendu à Netanyahu.
Le procureur d’Etat Shai Nitzan, dont le mandat de six ans s’achève, a subi de violentes critiques de la part de Netanyahu et de ses soutiens depuis la décision prise par le procureur-général Avichai Mandelblit, le mois dernier, d’inculper le Premier ministre pour pots-de-vin, fraude et abus de confiance.
Interrogé lors d’une interview diffusée vendredi avant qu’il ne quitte ses fonctions sur la raison pour laquelle il a pu être si âprement critiqué, Nitzan a déclaré penser que c’était plus facile de mettre en cause un individu que d’aborder ce qui se trouve, en réalité, au cœur du dossier.
« Si quelqu’un vous dit qu’il n’y a rien, alors tenez-vous en à cela », a dit Nitzan à la Douzième chaîne, se référant au démenti apporté par Netanyahu à tout acte répréhensible commis.
Il a souligné que la décision de mettre en examen Netanyahu n’était pas exclusivement la sienne, niant par ailleurs que la politique ait eu un quelconque impact sur les considérations des procureurs.
« Cette mise en examen n’est pas ma décision à moi seul. Une équipe de 25 personnes s’est réunie – je n’ai aucune idée des points de vue politiques de tous ces individus – et tout le monde a estimé qu’une mise en examen devait avoir lieu », a dit Nitzan.
Concernant l’affirmation du Premier ministre – à maintes reprises répétée et selon laquelle un piège lui avait été tendu – , Nitzan a dit : « Que veut-on dire en affirmant que c’est un piège ? Ai-je initié les conversations du Premier ministre avec Noni Mozes [rédacteur en chef du journal Yedioth Ahronoth, au cœur de l’Affaire 2000] ? Est-ce que j’ai truqué ça ? Personne n’affirme que ces conversations n’ont pas eu lieu. Alors que signifie cette affirmation : ‘Je suis piégé ?’, » a-t-il interrogé.
Dans un discours rempli d’émotion, après l’annonce des mises en examen à son encontre en date du 21 novembre, Netanyahu a clamé que les procureurs d’Etat et les forces chargées de l’application de la loi avaient mis en oeuvre un coup d’Etat politique et qu’il était piégé pour des crimes qu’il n’avait pas commis.
Nitzan a également évoqué les appels lancés par Netanyahu et ses partisans à ouvrir une enquête contre lui.
« Quel crime ai-je commis ? », a dit Nitzan. « Dans un Etat démocratique, on va en prison quand on commet un crime, qu’on est traduit en justice et qu’on est condamné. Dans d’autres Etats, on va en prison si quelqu’un le décide – par exemple, comme c’était le cas en Amérique du sud, dans le passé ».
Nitzan a dit qu’il n’avait presque aucun contact avec Amir Ohana, ministre de la Justice, fidèle de Netanyahu nommé à son poste au mois de juin qui a attaqué avec force les procureurs.
« Je pense qu’en quatre mois, au-delà d’un ‘Bonjour’ dans les escaliers, il n’a pas échangé une parole avec moi. C’est son choix », a-t-il dit.
Nitzan a démenti avoir laissé fuiter des informations issues de l’enquête concernant Netanyahu aux médias, l’une des principales plaintes émises contre les procureurs par le Premier ministre et par Ohana, et il a fait part de son inquiétude de voir le public perdre confiance dans le système judiciaire, âprement critiqué en ce moment.
« S’ils parviennent à écraser le ministère public, Dieu nous en préserve, tout va s’effondrer », a dit Nitzan.
Après la diffusion d’extraits de l’entretien, mercredi, Nitzan a été accusé par Netanyahu d’exploiter les victimes de viol dans l’argumentaire développé par le procureur face à la réponse apportée par le Premier ministre aux enquêtes l’incriminant.
« Supposons qu’il y ait eu une personnalité publique qui, par exemple, ait commis un viol », explique Nitzan dans cet extrait. « Et vous me diriez : ‘Mais la majorité du peuple a voté…’. Ce qui signifie, dans le faits, que nous irons vers un procès public et que si, comme dans l’Europe antique, le public lève le pouce vers le haut, alors cette personnalité ne sera pas jugée et que si le public abaisse le pouce, elle sera exécutée ».
Alors que le journaliste lui demandait s’il comparait les crimes présumés de Netanyahu – qui aurait notamment reçu des cigares et des bouteilles de champagne illicitement de la part de bienfaiteurs milliardaires – à un viol, Nitzan a répondu : « Dieu m’en préserve ».
« Ce que je compare, c’est le fait que des décisions de justice ne peuvent pas être prises comme dans un reality show… où le public vote oui ou non », a-t-il dit.
« Je vous ai dit que c’était dur pour moi d’imaginer qu’un haut-responsable puisse être accusé de viol », a souligné Nitzan, disant que ce qu’il tentait de démontrer était que « la destinée judiciaire d’une personne ne peut pas se décider dans les urnes ».
Il a aussi noté qu’un ancien président, Moshe Katsav, avait été emprisonné pour viol.
Après la diffusion de l’extrait, Netanyahu s’est emparé de cette référence au viol et a demandé des excuses à Nitzan.
« Je suis choqué que Shai Nitzan ait utilisé les victimes de viol pour justifier sa chasse aux sorcières obsessionnelle à mon encontre. Il n’y a apparemment aucune limite à cet effort visant à renverser le gouvernement du Likud qui est placé sous ma direction », a écrit le Premier ministre sur Twitter.
« Shai Nitzan doit immédiatement présenter des excuses – et, en tout premier lieu, aux victimes de viol », a-t-il ajouté.
Nitzan, qui avait été nommé en 2013 par Netanyahu, a été dépeint par les associés du Premier ministre, et sans preuve, comme un activiste de gauche décidé à faire quitter ses fonctions au Premier ministre par le biais de moyens illégitimes. Immédiatement après l’annonce officielle de ses mises en examen, Netanyahu a clamé que ces dernières s’apparentaient à une « tentative de coup d’Etat » contre sa gouvernance.
La question du ou de la remplaçante de Nitzan a déjà mis aux prises Mandelblit et Ohana, ce dernier insistant sur le fait qu’il choisirait le procureur d’Etat par intérim. Mandelblit, pour sa part, serait bien décidé à avoir le dernier mot sur cette nomination.