Shoah : La Claims Conference négocie avec l’Allemagne les indemnisations des Juifs algériens
Même s'ils n'ont pas été contraints à rejoindre des ghettos, la Claims Conference estime que Berlin doit dédommager les Juifs algériens qui ont perdu la nationalité française et leurs professions sous Vichy
Robert Blum, 91 ans, assureur à la retraite, avait 14 ans et étudiait dans un collège d’Alger dans les années 40, quand il a été renvoyé de l’école parce qu’il était juif.
L’Algérie, alors sous le régime collaborationniste français de Vichy, introduisait une série de mesures antisémites, notamment la déchéance de la nationalité française, interdisait l’accès aux écoles publiques pour les enfants juifs, interdisait aux docteurs, avocats et pharmaciens juifs et autres professionnels d’exercer.
La Conference on Jewish Material Claims Against Germany, aussi appelée Claims Conference, démontre au gouvernement allemand qu’il doit également indemniser les Juifs qui étaient en Algérie pendant la Shoah.
« Bien sûr, ce n’était pas comme dans les camps en Pologne, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de persécution, et nous pensons donc que les personnes sont éligibles à un dédommagement », a déclaré Greg Schneifer, le vice-président exécutif de la Claims Conference.
Il y avait environ 130 000 juifs en Algérie durant la Deuxième guerre mondiale, et on estime que 25 000 d’entre eux vivent encore, principalement en France, explique Schneider.
Aussi loin que Blum s’en souvienne, être renvoyé de l’école publique n’était pas si mal. Il a juste dû aller dans une autre école non loin, où tous les élèves et les enseignants étaient juifs. L’école juive n’était pas loin de l’école française, et il pouvait encore passer du temps avec ses anciens camarades.
« Rien de terrible n’est arrivé », dit-il. « C’est vrai que des étudiants juifs étaient renvoyés, mais parallèlement, des écoles séparées s’organisaient. Il n’y avait aucune animosité entre les élèves juifs et catholiques. »
Mais les historiens ont une version plus sombre. Durant la guerre, le quota d’élèves juifs dans les écoles primaires et secondaires en Algérie est passé de 14 à 7 %, selon Jean Laloum, un historien spécialisé dans l’histoire juive contemporaine d’Afrique du Nord, au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS).
« C’était catastrophique pour les parents, parce que leurs enfants n’avaient plus d’avenir s’ils ne pouvaient pas aller à l’école. C’était la pire des mesures », a expliqué Laloum.
De plus, les Juifs algériens ont été déchus de la nationalité française en octobre 1940 ; le quota de Juifs qui pouvaient travailler en tant que médecins, avocats, pharmaciens, sages-femmes, architectes et autres domaines professionnels, a été réduit à 2 %. De nombreux actifs juifs ont perdu leur emploi.
Les hommes d’affaires juifs étaient également pris pour cible, après que des lois antisémites ont été introduites pour transférer la propriété des Juifs à des hommes d’affaires non-juifs.
Par exemple, en juillet 1942, une loi algérienne interdisait aux juifs de travailler dans des débits de boissons, notamment les cafés et les bars, a expliqué Laloum.
De plus, les entreprises d’affaires et d’immobilier juifs étaient souvent saisis et transférés aux aryens. Les maisons où les Juifs vivaient n’étaient pas saisies, mais leurs biens commerciaux étaient souvent pris pour cibles, a ajouté Laloum.
Blum a déclaré que c’est presque ce qui est arrivé à son oncle et à sa tante. Ils ont été arrêtés sous de fausses accusations, emprisonnés et envoyés dans des tribunaux de Lyon. Heureusement, le parquet de Lyon a rejeté l’affaire, après avoir jugé les allégations absurdes, et son oncle a été libéré, dit-il.
Il y avait des gens qui voulaient profiter de la situation pour saisir des magasins et des commerces qui appartenaient aux Juifs
« Il y avait des gens qui voulaient profiter de la situation pour saisir des magasins et des commerces qui appartenaient aux Juifs », a dit Blum. « Mais ensuite, ces affaires ne tenaient pas la route devant un tribunal, et ce dernier prononçait un non-lieu. »
Mais selon Laloum et Schneider, de nombreux Juifs algériens ont perdu leurs biens et leurs commerces.
« Les biens juifs étaient confisqués, je pense que c’était courant », a ajouté Schneider.
En plus des difficultés économiques, les historiens affirment qu’il y avait des camps de travail au sud de l’Algérie pendant la guerre, et certains des prisonniers étaient juifs. Laloum a indiqué ne pas savoir combien de Juifs algériens ont été envoyés dans ces camps de travail.
Les prisonniers de ces camps devaient casser des pierres et construire des routes sous la canicule, et dans des conditions tellement mauvaises que certains prisonniers mourraient, raconte Laloum. Bien que la plupart des gens qui y étaient envoyés étaient des opposants au régime, ou des communistes, « un certain nombre de Juifs ont été emprisonnés dans ces camps parce qu’ils étaient Juifs », a précisé Laloum.
Les juifs d’autres pays d’Afrique du Nord indemnisés
Ces dernières années, la Claims Conference a réussi à convaincre le gouvernement allemand d’étendre l’éligibilité à indemniser davantage de Juifs qui ont vécu la Shoah.
Plus récemment, le gouvernement allemand a accepté d’indemniser les Juifs qui étaient cachés pendant au moins 4 mois durant la Shoah. Ce critère, déjà existant, était fixé à 1 an et demi auparavant, a expliqué Schneider.
Les juifs de la ville de Iasi, en Roumanie, sont également devenu éligibles à l’indemnisation depuis juillet dernier. Le gouvernement allemand alloue également un financement aux Juifs d’ex-URSS qui n’ont jamais vécu sous l’occupation nazie, comme ceux qui ont survécu au siège de Leningrad, ou ceux qui ont fui la guerre avec d’autres civils soviétiques.
De manière plus marquée, le gouvernement allemand a reconnu la persécution des Juifs tunisiens et marocains mais cela n’a pas été le cas des Juifs algériens – même si le Maroc, la Tunisie et l’Algérie se sont trouvés sous le contrôle de Vichy de la même manière durant la Deuxième guerre mondiale.
Au Maroc – contrairement à l’Algérie – les Juifs n’ont pas perdu leur citoyenneté et leurs biens n’ont pas été saisis, a rappelé Schneider. Et pourtant, l’Allemagne a reconnu que les Juifs marocains avaient souffert des persécutions fascistes parce que certains avaient été obligés de s’installer dans les quartiers juifs historiques – les Mellahs – qui étaient similaires à des ghettos. Ces mellahs n’étaient pas clôturés ou fermés, mais ils étaient néanmoins des quartiers réservés à une unique communauté. Le droit allemand reconnaît la résidence forcée comme étant un type de persécution, a déclaré Schneider.
En Algérie, d’un autre côté, les Juifs n’ont pas été contraints à vivre dans des quartiers qui leur étaient exclusivement réservés.
Pourquoi les Juifs d’Algérie n’ont-ils reçu aucune indemnisation ?
« Le pays dont ils étaient originaires n’était pas pertinent, ce sont les persécutions endurées qui étaient pertinentes. En Algérie, il n’y avait pas de mellahs. Il n’y avait pas de camp de concentration en Algérie, il n’y avait pas le port de l’étoile jaune. Les Algériens ne sont donc pas éligibles à une indemnisation », a expliqué Schneider.
« Nous essayons de faire reconnaître les autres persécutions – comme le fait que leur citoyenneté française a été révoquée », a dit Schneider.
Le pays dont ils étaient originaires n’était pas pertinent, ce sont les persécutions endurées qui étaient pertinentes
Mais Blum, qui a vécu pendant la guerre en Algérie après que sa famille a fui là-bas depuis Paris, a déclaré que les historiens ne doivent pas faire la confusion entre la situation des Juifs en Algérie et l’Holocauste.
« Ce qui est arrivé en Algérie n’était absolument pas ce qui est survenu en Europe. C’était complètement différent », a-t-il estimé. « Quand on dit que cela a été horrible pour les Juifs en Algérie – je réponds non ».
Mais Schneider considère que ce n’est pas parce qu’on peut penser que les choses n’ont pas été si difficiles à vivre pour certains Juifs d’Algérie que cela annule la souffrance des autres.
« Il y a une histoire générale et il y a des expériences individuelles », a-t-il déclaré.
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