Un pianiste juif, premier prisonnier politique à mourir d’une grève de la faim dans la Russie moderne
Pour avoir posté des vidéos anti-Poutine sur YouTube, Pavel Kushnir avait été emprisonné en Sibérie. Il est mort de faim en signe de protestation contre la guerre en Ukraine alors qu'il attendait son procès à Birobidzhan
Un pianiste juif de musique classique est devenu le tout premier prisonnier politique de l’Histoire moderne de la Russie à s’éteindre des suites d’une grève de la faim, à la fin du mois de juillet.
Pavel Kushnir, âgé de 39 ans, avait été arrêté par les services de sécurité russes, au mois de mai, qui l’accusaient d’incitations au terrorisme présumées. Il est mort alors qu’il se trouvait en détention préliminaire à Birobidzhan, centre administratif de l’Oblast autonome juif historique, à l’extrême-Est de la Russie, à proximité de la frontière avec la Chine.
La mort de Kushnir — ses amis et ses proches lui avaient donné le surnom de Pasha – avait été initialement signalée par un site d’information russe, le 2 août, avant d’être confirmée par le journal indépendant Mediazona. La mère du défunt, Irina Levina, s’est entretenue avec un autre média indépendant pour évoquer la disparition tragique de son fils.
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« Je voulais assurément qu’il se conduise de manière plus calme, plus discrète et qu’il s’abstienne de faire de la politique », a confié Levina à Okno. « Je suis très triste qu’il ait ainsi donné sa vie – et il l’a fait apparemment pour rien ».
Kushnir avait fait des grèves de la faim en signe de protestation contre Poutine à plusieurs reprises, ces dernières années. Cette fois, il aurait refusé d’absorber tout liquide. Homme de faible corpulence de naissance, Kushnir était apparu « squelettique » devant ceux qui étaient venus le voir avant son décès.
« Sa mort est maintenant devenue un symbole. C’est le symbole de ces milliers d’inconnus qui sont actuellement emprisonnés et qui meurent sans protection et sans que le monde n’y accorde de l’intérêt », a commenté Maria Nemtsova, pianiste et amie de longue date de Kushnir.
« Les gens doivent tous savoir que Pavel est mort de manière à ce qu’ils prennent enfin conscience des souffrances et des injustices qu’il y a dans le monde », a dit Nemtsova au Times of Israel.
Né en 1984, Kushnir était un pianiste accompli qui avait fait le célèbre Conservatoire Tchaikovsky de Moscou, qui accueille les musiciens les plus doués. Ses deux parents étaient des professeurs de musique nés dans des familles d’artistes et Kushnir avait été considéré comme un prodige dès son jeune âge.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie avait encore renforcé l’activisme anti-Poutine de Kushnir. Créant des prospectus et des vidéos qui dénonçaient le régime, Kushnir avait exhorté les Russes à entreprendre une grève de la faim, comme il avait décidé de le faire lui-même. Il s’était tourné vers les Pussy Riot, un groupe de punk rock féministe, et vers d’autres personnalités dissidentes célèbres, leur demandant de former un réseau de soutien.
« Ne vous habituez jamais au fascisme, ne vous habituez jamais à la guerre. Et même s’il n’y a pas d’avenir, ayons foi dans le présent », avait déclaré Kushnir dans une vidéo qui avait été postée sur YouTube.
« Mais il y a un avenir. Poutine pourrira. Le régime fasciste de Poutine s’effondrera. Et mon amour survivra. Continuons le combat. Allons jusqu’au bout, restons fidèles à notre passé », avait-il ajouté.
Selon les activistes qui œuvrent dans la défense des droits de l’Homme, un millier de Russes ont été traduits en justice ou emprisonnés par le gouvernement depuis l’invasion de l’Ukraine, au mois de février 2022. Les militants qui se battent en faveur de la remise en liberté des prisonniers politiques n’avaient pas connaissance de la situation dans laquelle Kushnir se trouvait, a affirmé Svetlana Kaverzina, une politicienne indépendante de Sibérie.
« Nous n’avons pas pu faire une cagnotte pour lui permettre de voir un avocat – nous n’étions tout simplement pas au courant de ce qui se passait », a écrit Kaverzina dans un post paru sur Telegram. « Nous ne lui avons pas écrit de lettres de soutien – nous ne savions rien. Nous ne l’avons pas dissuadé de se sacrifier – nous ne savions rien. Il était seul. Puissions-nous au moins lui dire symboliquement après sa mort : ‘Pardonne-nous et repose en paix’. »
Selon les autorités, Kushnir a officiellement succombé à une « cardiomyopathie dilatée » assortie « d’une insuffisance cardiaque congestive ».
« 12 ans à Birobidzhan »
Kushnir préférait tourner avec des orchestres provinciaux que de donner des concerts dans les grandes villes – la raison en était principalement qu’avec ce choix de carrière, il n’avait jamais à se produire lors de concerts pro-régime et pro-guerre dans les métropoles. Kushnir avait confié à des amis qu’il espérait pouvoir rester pendant douze ans à Birobidzhan, une ville reculée, tant qu’il n’était pas « emprisonné, mobilisé au sein de l’armée ou renvoyé ».
L’Oblast autonome juif avait été créé entre les deux Guerres mondiales pour y installer les membres de la communauté juive, ainsi reléguée dans un extrême-Est inhospitalier. A cette époque-là, les Juifs communistes pensaient que Birobidzhan, le centre administratif de la région, était « la seule solution réelle et sensible à cette problématique nationale ».
Aujourd’hui, moins de mille Juifs vivent encore dans la région – la majorité d’entre eux ayant émigré en Israël au cours de ces dernières décennies.
Kushnir n’était pas en quête de célébrité et il avait la conviction que les arts devaient être gratuits et mis à la disposition de tous. Il avait toutefois créé une émission de radio hebdomadaire pour évoquer les œuvres traditionnelles du musicien Frédéric Chopin. Il saluait les auditeurs en début d’émission par des slogans antifascistes et il répétait souvent : « La vérité est là ».
« Diffusez des dépliants, postez des prospectus, placez-les sur les bancs, laissez-les quelque part, collez-les sur les murs des immeubles », disait Kushnir. Le pianiste avait aussi particulièrement à cœur la défense des droits de la communauté LGBT, le gouvernement étant connu pour persécuter les minorités sexuelles.
Au mois de janvier, Kushnir avait été renvoyé par l’orchestre philharmonique de Birobidzhan pour son activisme. Kushnir avait alors posté quatre vidéos qui dénonçaient la guerre en Ukraine sur sa chaîne YouTube, ce qui avait été un point de bascule. S’il n’avait que cinq abonnés qui suivaient sa chaîne, Kushnir était dans le viseur des autorités. Il avait été arrêté et placé en détention rue Karl Marx, où se trouve la prison de Birobidzhan.
« C’était un homme qui considérait chaque décès comme une perte personnelle » a commenté Olga Shkyrgunova, une amie d’enfance.
Dans une vidéo floue, où il s’exprimait d’une voix étouffée, le pianiste – qui portait des guirlandes de Noël autour du cou – avait évoqué le massacre des civils ukrainiens à Boutcha, un carnage auquel l’armée russe s’était livrée.
« Le massacre de Boutcha est un déshonneur pour notre patrie toute entière. Le fascisme, c’est la mort de notre patrie. Poutine est un fasciste. La population du pays a donné des millions de ses vies les meilleures de manière à ce que jamais le fascisme ne redresse jamais la tête et nous ne l’accepterons pas, nous ne nous inclinerons pas face à la Bête immonde », avait indiqué Kushnir.
L’activiste était particulièrement dérangé par l’étiquette donnée par le Kremlin aux dissidents qui étaient présentés par ce dernier comme « des agents étrangers », ont fait savoir ses amis.
« A bas la guerre en Ukraine ! A bas le régime fasciste de Poutine ! La liberté pour tous les prisonniers politiques ! La liberté pour tous les prisonniers en général – et la liberté pour tous ! », avait dit Kushnir.
Dans l’une des grèves de la faim entamée par Kushnir après les atrocités de Boutcha, le musicien avait refusé de se nourrir pendant cent jours tout en travaillant et tout en donnant des concerts. Pendant son temps libre, il avait créé des prospectus « Poutine est un fasciste », des tracts qu’il avait ensuite distribués dans toute la ville.
« Je n’ai aucun mal à gérer la faim, physiquement parlant. J’ai choisi cette forme de protestation quand j’ai eu le sentiment que les gens avaient commencé à s’habituer à la guerre, à l’accepter, de manière à créer un exemple et à attirer l’attention », avait confié Kushnir au cours d’un entretien.
Depuis la mort de Kushnir, les autorités russes ont gardé un silence total, a raconté Olga Romanova, dirigeante du groupe de défense des droits civils « Russie derrière les barreaux ».
« Malheureusement, aucune information n’a été transmise sur cette affaire et il est improbable que nous en aurons un jour. Et il n’y a eu aucune réaction de la part des autorités russes », a dit Romanova au Times of Israel.
Onze personnes seulement ont assisté aux funérailles de Kushnir – des funérailles où aucun éloge funèbre n’a été prononcé. Sur des photos, Kushnir repose dans son cercueil, un hématome autour de l’œil et les lèvres ensanglantées.
Depuis qu’il est mort, les amis artistes de Kushnir, dans le monde entier, collectent les lettres et les écrits du dissident, tentant de rendre hommage à sa vie et de propager le massage qui était le sien.
« Pavel a sacrifié sa vie pour nous. C’est presque un récit biblique », a expliqué Nemtsova. « Il tentait de hurler mais on l’avait bâillonné ».
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