Un rabbin fait don de son rein pour sauver un jeune israélien
Suivant les préceptes qu’il prêche, Rav Shmuly Yanklowitz a donné à Yossi Azran, un écrivain en herbe, un nouveau départ

Peu de temps avant de s’allonger sur une table d’opération à l’hôpital du Mt Sinaï de New York mardi, deux étrangers se sont embrassés lors d’une rencontre inoubliable. Sanglotant, les jeunes hommes ont échangé des prières et des bénédictions avant leurs chirurgies simultanées.
Pour le jeune israélien Yossi Azran, la chirurgie a littéralement marqué un nouveau départ : après 15 ans de dialyse handicapante, la lente condamnation à mort d’Azran d’une maladie rénale a été évitée grâce à l’altruisme d’un rabbin orthodoxe américain et idéaliste.
Cependant, pour Rav Shmuly Yanklowitz, même si cela était immensément significatif, son don n’était autre qu’un effort réfléchi pour vivre selon ses idéaux.
« J’ai enseigné sur la justice sociale, la valeur de la dignité humaine et le fait de sauver des vies humaines pendant de nombreuses années », a déclaré Yanklowitz au Times of Israel depuis son lit d’hôpital.
Parlant un peu lentement, toujours dans la douleur, Yanklowitz a déclaré mercredi qu’il se sentait divinement inspiré dans sa décision de faire un don. « Je sentais que c’était un impératif de donner tout ce que je pouvais donner », a-t-il déclaré.
Yanklowitz est l’un des rares qui donnent leur rein à de parfaits inconnus. En avril 2015, près de 101 662 Américains étaient encore en attente de greffes de rein. La demande dépasse de loin l’offre.
En 2014, 17 105 transplantations rénales ont eu lieu aux États-Unis. Parmi celles-ci, 11 570 provenaient de donneurs décédés et 5 535 de donneurs en vie, selon le rapport annuel du Département américain de la Santé et des Services de collecte d’organes et de transplantations (OPTN) et le registre scientifique des greffés (SRTR).
Statistiquement, l’attente pour une greffe de rein est de 3,6 ans. Durant cet intervalle, la thérapie la plus courante est la dialyse, où les patients sont attachés à une machine trois à quatre jours par semaine pendant trois ou quatre heures à chaque session pour nettoyer le sang. Il y a de graves risques de problèmes liés aux infections et d’autres complications. Sur les 300 000 Américains en dialyse, 50 % mourront dans les cinq ans ; 80 % meurent dans les 10 ans.
En raison d’une combinaison de facteurs – y compris, selon certains, une mauvaise interprétation de la halakha [la loi juive] – les communautés juives de la Diaspora font partie des plus faibles pourcentages de donneurs d’organes, tous les dons étant d’autant plus altruistes comme celui de Yanklowitz. Par conséquent, les Juifs américains ont largement un traitement de faveur quand il s’agit de dons d’organes.
C’est une situation qui est en train de changer, surtout dans les communautés ultra-orthodoxes, qui, selon un article récent publié dans Forward, « représentaient jusqu’à 17 % des personnes qui ont fait don d’un rein à des étrangers » parmi la population générale des États-Unis.
Et avec deux organisations juives dédiées à faciliter les greffes – la Halachic Organ Donor Society [La Société de donneurs d’organes halakhique] pour les orthodoxes modernes et Renewal, qui s’est, jusqu’à récemment, concentré sur le secteur ultra-orthodoxe – ce nombre est en légère hausse.
Mais Yanklowitz représente une anomalie. Et c’est le cas aussi pour Azran, qui, malgré sa maladie rénale chronique s’est porté volontaire pour l’armée israélienne. Le dramaturge en herbe a déclaré au journal en langue hébreu Yediot América cette semaine : « Je n’arrive pas à croire qu’il y a des gens comme ça … La vérité, c’est que j’avais commencé à perdre espoir ».
« Je veux le faire mais j’ai un peu peur »
Vivant en Arizona, Yanklowitz, 33 ans, est le directeur exécutif de Valley Beit Midrash. Il est aussi le fondateur et le PDG de l’Institut juif du bien-être animal, Shamayim Varetz, et le fondateur et le président de l’organisation orthodoxe pour la justice sociale, Uri LTzedek.
Et comme si cela ne suffisait pas, il a écrit sept livres sur l’éthique, des blogs pour Times of Israel, a un master en développement moral et en psychologie de l’Université Harvard, un autre master en philosophie juive de l’université Yeshiva, et un doctorat en épistémologie, de développement moral et en psychologie du développement de l’université Columbia.
Evidemment extrêmement complet dans son éducation, Yanklowitz a également trois ordinations rabbiniques : à partir de l’école rabbinique de la Torah Yeshivat Chovevei de New York, du grand rabbin d’Efrat, le rabbin Shlomo Riskin, et une troisième smicha privée du Rabbin Nathan Lopez Cardozo de Jérusalem.

Normalement plein de santé, le mari énergique toujours souriant et père de deux enfants est juste le genre de personne qui déciderait de faire don de son rein « en trop ». C’est un végétalien passionné, un militant des droits civiques, un érudit spirituel, un enseignant et surtout, un véritable mensch.
Mais la prise de décision s’est accompagnée d’une vraie peur, a confié Yanklowitz, qui ne s’est jamais cassé un os, et qui a encore moins subi des procédures médicales ou fait un séjour à l’hôpital.
« Je sentais que ce n’était pas la crainte de savoir si j’avais pris la bonne décision, mais plus la peur de l’inconnu, de la douleur, des risques », a expliqué Yanklowitz un jour après la chirurgie. Il a ajouté que, cependant, une fois qu’il avait réalisé que sa crainte relevait du domaine physique, il comprit alors qu’il pouvait la surmonter.
« Une fois que j’ai su que Dieu voulait que je fasse cela, je savais que deux reins ont été mis dans mon corps pour lui [Azran] et pas pour moi », a-t-il dit. Cependant, il a admis : « pour être honnête, je devais vraiment travailler sur moi-même spirituellement pour surmonter certaines craintes », citant certains des tests qu’il a subis pour déterminer s’il pouvait être un donneur compatible.
« La première fois que je devais faire une IRM, j’étais vraiment terrifié », a-t-il révélé. Mais tandis que la machine ronronnait et bourdonnait alors qu’il se trouvait dans son enceinte, « je pouvais sentir la présence de Dieu très proche et d’une manière unique ».
Le mardi matin, le jour de la chirurgie, Yanklowitz est allé au mikvé (le bain rituel juif) et a lu la Genèse 22, le sacrifice d’Isaac, trois fois.
Dans cet épisode biblique, Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils Isaac, un sacrifice contraire à l’intuition qui a été analysé en théologie et en philosophie. Ce passage a été appelé par le philosophe existentialiste danois Søren Kierkegaard (1813-1855) la « suspension téléologique de l’éthique ».
Yanklowitz a déclaré ce matin, en pensant à son propre sacrifice, que c’était la première fois qu’il se sentait vraiment connecté à cette histoire.
Dans un certain sens, dit-il, il sentait lui aussi « qu’on lui demandait de faire quelque chose de plus que ce dont [il était] capable de [faire]… En [s]e couchant sur la table d’opération, c’était très contre-intuitif ».
Yanklowitz révèle que sa femme Shoshana est une source de force. Dans une émouvante – et apparemment rare – publication Facebook que Shoshana a écrite alors que son mari était en chirurgie, elle ressent clairement la même chose.
« Il y a quatre ans je me suis marié à l’homme le plus magique et le plus incroyable que j’ai jamais rencontré. Tous les jours et par chacune de ses actions, il me montre ce que cela signifie de vivre selon ses idéaux. Chaque jour, il me montre comment être gentille et douce. Chaque jour, il me montre comment être réfléchie et volontaire. Chaque jour, il me montre comment être aimante et sincère. Chaque jour, il me montre comment être forte et déterminée. Tous les jours, avec chacun de ses mots et par chacune de ses actions, il me stupéfie. Aujourd’hui, ce n’est pas différent ».
Donner la vie est une chose juive
Un des épithètes de Dieu, que l’on trouve dans le livre de Jérémie, est l’ « examinateur des reins et du cœur ». Toujours dans la tradition juive et encore utilisés dans la vie quotidienne hébreu moderne, les reins sont le siège de l’émotion, de la pensée et de la conscience. Par exemple, l’expression « musar kliyot » en hébreu moderne (dérivé du Psaume 16: 7), dénote le remord ou le regret.
Les reins peuvent également être utilisés pour décrire le navire de bonheur, selon les Proverbes 23: 16-17. Et dans le Talmud, Bavli Brachot 61A, il est écrit, « L’homme a deux reins, l’un lui donne de bons conseils, et l’autre lui conseille le pire ».
La chef de la Kehila orthodoxe de Riverdale, Dina Najman, a étudié à un programme conjoint de l’université de New York et de l’école Albert Einstein de la bioéthique en médecine et sciences humaines en médecine à l’Université Yeshiva avant de recevoir une smicha du rabbin progressiste et orthodoxe, Daniel Sperber.
Lors d’un appel téléphonique matinal cette semaine, Najman, portant son chapeau d’érudit de la loi juive, a emmené le Times of Israel à travers l’histoire médicale et le processus correspondant à la loi halachique relative au don d’organes.
En tant que membre du conseil d’administration de la Halachic Organ Donor Society, ses remarques ont été précédées d’un soutien et d’une admiration pour la promotion publique de Yanklowitz pour le don.
Le « tachlis » ou une réponse halachique simple à la question de savoir si le don d’organes est autorisé est clairement qu’il l’est. Najman a emmené le Times of Israel dans un voyage répondant à une question fondamentale : le don est-il un devoir ?
A travers les siècles, les rabbins, y compris le grand médecin et philosophe Rambam (qui était pro-compensation pour les donneurs d’oragnes), ont débattu de la question avec des opinions contradictoires. Mais comme l’avancée des techniques chirurgicales a diminué les risques, les rabbins se prononcent de plus en plus pour, que ce soit une grande mitzva ou l’accomplissement d’un commandement positif.
Une opinion minoritaire, cependant, affirme que cela devrait être une obligation – comme le fondateur du parti politique Shas et le juge halachique de renom, le rabbin Ovadia Yossef qui est récemment décédé.
Dans un article qui sera prochainement publié dans The International Rabbinic Fellowship sur le sujet, Najman a écrit : « R. Ovadia Yosef prétend qu’une personne est obligée de faire don de son rein basé sur le verset : ‘Tu ne resteras pas sans rien faire devant le sang de ton prochain’ (Lev 19:16.). Quand bien même R. Yosef fait partie de l’opinion minoritaire, Cela illustre néanmoins l’importance du don d’organes ».
La promotion de Yosef du don d’organes n’a pas, malheureusement, élevé le nombre de dons d’organes en Israël au même niveau que celui des autres pays occidentaux.
Les questions halachiques sont vastes. On peut si l’on peut se faire du mal pour une autre, est-ce que l’on pourrait – ou devrait – recevoir une compensation pour cela. Mais une grande partie du débat tourne autour de l’idée de pikouah nefech, ou sauver une vie.
Essentiellement, les rabbins affirment que le pikouah nefech remplace tous les autres commandements, y compris le respect du Shabbat, par exemple, à l’exception de trois commandements : l’interdiction du culte des idoles, l’inceste ou des relations sexuelles inappropriées, et verser le sang, qui poursuit Najman, comprend son propre sang.
En outre, une mauvaise interprétation de la loi juive, y compris l’idée que l’on doit être enterré avec tous ses organes pour pouvoir être ressuscité à la fin de nos jours, conduit les Juifs – les religieux comme les laïcs – à éviter même le débat sur le don d’organes post-mortem.
Ce manque de don juif se fait le plus sentir en Israël, où il y a 31 dons pour chaque million d’Israéliens. En comparaison, aux États-Unis il y en a 90 par million de citoyens. Il y a actuellement quelque 720 citoyens qui ont besoin d’une greffe de rein, dont 100 qui devraient décéder chaque année en attendant un donneur.
« En Israël, les besoins dépassent la volonté du pays de faire un don », a déclaré Najman. Beaucoup de ceux qui peuvent se permettre vont à l’étranger créant une situation où seulement ceux qui peuvent se permettre un rein en recevront un.
« En Amérique, nous [les Juifs] pouvons bénéficier de la bonté des autres », a déclaré Najman.
Ceci est la raison pour laquelle les efforts des organisations juives comme Renewal, qui a facilité le don de Yanklowitz, sont si importantes. Actuellement, une très petite organisation à but non lucratif avec seulement huit personnes qui y travaillent, depuis sa fondation en 2006, a réussi à faire correspondre et à faire aboutir 50 à 60 greffes par an.
Dans une brève conversation cette semaine avec le fondateur de Renewal, Mendy Reiner, il a souligné le rythme lent mais constant du travail de l’organisation, dans laquelle il y a deux coordinateurs pour chaque donneur et le receveur pendant le processus menant vers une greffe réussie.
Envahi de demandes des receveurs potentiels suite à l’article paru dans le Forward soulignant le travail de son organisation, il a expliqué diplomatiquement qu’avec la main d’œuvre actuelle de l’organisation, « nous ne pouvons pas faire plus que ce que nous faisons actuellement ».
En attendant, il demande aux communautés de se renseigner sur les dons.
« Impliquez-vous. Il y a des gens dans chaque communauté qui ont besoin de reins et cela pourrait faire la différence si les gens étaient renseignés à ce sujet, déplore Reiner, ajoutant que, Renewal est là pour les aider, et nous allons essayer de les aider dans tous les sens. Espérons que nous pourrons sauver des vies ».
Et fondamentalement c’est ce que représente le don – sauver des vies.
En terminant notre conversation, Najman a de nouveau salué Yanklowitz pour ses débats publics pour promouvoir le don d’une manière authentique sur ses plates-formes des médias sociaux. « La halakha souligne l’importance de sauver une vie », a déclaré Najman.
Le don d’organes est « un acte noble pour sauver une vie ».
« Shmuly vit cette idée de pikouah nefesh », a-t-elle conclu.
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