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Un siècle avant Claudine Gay, Harvard avait aidé à améliorer l’image de l’Allemagne nazie

Le sujet de la "collaboration" entre Harvard et l'Allemagne de Hitler gagne en pertinence alors que l'institution américaine estime que la rhétorique antisémite sur son campus relève de la "liberté d'expression"

Le docteur Ernst 'Putzi' Hanfstaengl, ancien responsable de la presse étrangère pour le chancelier allemand Adolf Hitler, à son domicile de Londres, le 7 juillet 1937. (Crédit : AP Photo/ Eddie Worth)
Le docteur Ernst 'Putzi' Hanfstaengl, ancien responsable de la presse étrangère pour le chancelier allemand Adolf Hitler, à son domicile de Londres, le 7 juillet 1937. (Crédit : AP Photo/ Eddie Worth)

A l’université de Harvard, il y a 90 ans, les administrateurs du campus entretenaient, selon certains historiens, des liens « d’amitié » avec l’Allemagne nazie.

Que la démission de la présidente de la prestigieuse institution d’enseignement supérieur, Claudine Gay, ait été motivée par le scandale entraîné par les accusations de plagiat lancées à son encontre, ou pour son absence – très critiquée – de réponse aux appels lancés en faveur du génocide des étudiants juifs, l’université a d’ores et déjà un demi-siècle d’histoire d’antisémitisme réprimé, explique l’historien Rafael Medoff au Times of Israel.

« Ce que l’administration de Harvard d’aujourd’hui a en commun avec celle des années 1930, c’est cette réticence à rejeter un régime malveillant et ses soutiens », dit Medoff, le directeur de l’Institut d’études de la Shoah David S. Wyman.

« Dans son récent témoignage devant le Congrès, la réponse instinctive de Gay a été de tergiverser lorsqu’elle a été interrogée sur les sanctions à appliquer à ceux qui prônent le génocide des Juifs », note encore Medoff.

« Aujourd’hui, des groupes pro-Hamas non-universitaires ont le droit de défiler sur le campus de Harvard », indique Medoff, dont le centre a fait des recherches sur les liens entretenus par les leaders des universités américaines avec l’Allemagne nazie depuis deux décennies.

Au cours des dernières années, Harvard a fait des efforts visant à racheter son histoire en matière d’esclavage, renommant notamment ses bâtiments et installant des plaques historiques. Toutefois, l’université possède encore une chaire qui porte le nom d’Alfried Krupp, un industriel nazi de premier ordre.

La présidente de l’université de Harvard, Claudine Gay (à gauche), à côté de la présidente de l’université de Pennsylvanie Liz Magill lors d’une session de la commission d’Éducation au Capitole, à Washington, le 5 décembre 2023. (Crédit : Mark Schiefelbein/AP Photo)

Selon certains critiques, et notamment selon l’Institute for the Global Study of Antisemitism and Policy, la réponse apportée par Harvard à la problématique de l’antisémitisme ne peut pas être dissociée des milliards de dollars donnés par des régimes du Moyen-Orient – parfois totalitaires – qui ont été versés au cours des dernières décennies. Parmi les donateurs les plus importants, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar, où vivent les chefs du Hamas.

Le 27 décembre, un partenaire international déterminant de l’institution – la Lauder Business School de Vienne, en Autriche – a fait savoir qu’elle avait rompu les liens avec Harvard « en signe de solidarité avec la communauté de ses étudiants juifs », selon un communiqué.

« Putzi » retourne à Harvard

Dans un éditorial écrit en 1934, les étudiants du journal Harvard Crimson avaient dit être favorables à l’idée d’accueillir un responsable nazi de premier plan, ancien de Harvard, Ernst F.S. Hanfstaengl.

Surnommé « Putzi, » Hanfstaengl était chargé de la presse étrangère pour Hitler et il avait été diplômé de Harvard en 1909. L’éditorial avait été publié alors que les nazis étaient au pouvoir depuis un an et qu’ils avaient adopté des lois qui avaient autorisé Hitler à devenir le dictateur de l’Allemagne.

Ernst « Putzi » Hanfstaengl, à droite, revient à Harvard en 1934. (Crédit : Domaine public)

« Si Herr Hanfstaengl doit être reçu, alors il faut que ce soit avec les honneurs appropriés, en accord avec le rang éminent qu’il occupe au sein du gouvernement d’un pays ami… au sein d’une grande puissance mondiale », avaient écrit les étudiants qui rédigeaient alors le journal.

A l’époque, les administrateurs de Harvard avaient indiqué que l’invitation lancée à Hanfstaengl avait été une initiative prise par un groupe d’anciens élèves, et non par l’université. Toutefois, des Opinions parues dans le Crimson avaient démontré que les étudiants comme les professeurs étaient heureux d’accueillir Hanfstaengl.

Hanfstaengl était arrivé à Harvard en juin 1934, se rendant à des réceptions données en son honneur dans les habitations d’anciens étudiants et d’administrateurs de l’institution – notamment chez son président.

« Un grand nombre d’anciens élèves de Hanfstaengl semblent avoir considéré cette présence comme un gag, transformant cette visite en thème central de la parade », écrit l’historien Peter Conradi.

« Selon des récits contemporains, certains participants avaient défilé au pas militaire dans tout le stade, portant des costumes de paysans bavarois. Hanfstaengl avait été acclamé lorsqu’il avait fait le salut nazi en direction de plusieurs amis qui se trouvaient dans la foule », ajoute Conradi, l’auteur de Hitler’s Piano Player: The Rise and Fall of Ernst Hanfstaengl.

Dans la Cour de Harvard, la journée de la visite de Hanfstaengl, plusieurs étudiants avaient été arrêtés pour avoir manifesté contre le nazisme et contre l’accueil réservé sur le campus à Hanfstaengl.

« Sept d’entre eux avaient été reconnus coupables de troubles à l’ordre public et condamnés à six mois de travail forcé à la maison de correction de Middlesex. Six d’entre eux avaient été graciés un mois après toutefois, devenant immédiatement les héros de Harvard », explique Conradi dans son ouvrage.

Le Premier ministre britannique Ramsay MacDonald discute avec le docteur Ernst ‘Putzi’ Hanfstaengl, responsable de la presse étrangère pour le chancelier Adolf Hitler et délégué de Berlin, à l’ouverture de la Conférence économique mondiale au Geological Museum, à Londres, le 12 juin 1933. (Crédit : AP Photo)

« Un encouragement important pour Hitler »

A. Lawrence Lowell, président de Harvard de 1 909 à 1933, n’avait, pour sa part, pas mâché ses mots lorsqu’il avait confié à un ami que « le sang se déverserait » si les Juifs américains n’apprenaient pas à s’assimiler.

En 1922, Lowell avait proposé un quota portant sur le nombre de Juifs autorisés à entrer à Harvard – pas plus de 15 % des étudiants devaient ainsi être Juifs. Une mesure qui n’avait jamais été officiellement mise en vigueur mais à laquelle le successeur de Lowell, le président James B. Conant, devait accorder ses faveurs en 1933 [un grand nombre d’universités américaines avaient maintenu des systèmes de quota jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale].

Le dernier président pré-Hitler de Harvard, A. Lauwrence Lowell. (Crédit : Domaine public)

Aujourd’hui, la Lowell House est une résidence destinée aux étudiants de premier cycle sur le campus, tandis que la magnifique salle de conférence Lowell a été rebaptisée en 1959 pour rendre hommage à ce président de Harvard qui était favorable aux systèmes de quota.

Et quand Lowell a passé le flambeau à Conant, en 1933, ce dernier a fait le choix clair de soutenir les nazis, continue Medoff.

Par exemple, Harvard avait envoyé un délégué de premier plan à l’université de Heidelberg à l’occasion de célébrations qui avaient été tenues alors que l’établissement allemand avait purgé son corps professoral de tous ses enseignants juifs. Oxford et Cambridge, de leur côté, avaient refusé d’envoyer des représentants.

« [Harvard] a contribué aux efforts qui ont été livrés par l’Allemagne pour améliorer son image en Occident », écrit ainsi l’historien Stephen Norwood dans son livre The Third Reich in the Ivory Tower: Complicity and Conflict on American Campuses.

« L’administration de Harvard et un grand nombre de ses leaders étudiants ont encouragé de manière importante le régime de Hitler alors que ce dernier intensifiait ses persécutions à l’encontre des Juifs et qu’il élargissait sa puissance militaire », fait remarquer Norwood.

Il fait aussi remarquer que Conant ne s’était pas contenté « de garder le silence » face à l’antisémitisme, « mais qu’il a activement collaboré » au phénomène.

Au mois de mai 1934, Conant était resté muet pendant la visite du navire de guerre nazi Karlsruhe à Boston, dont certains membres d’équipage étaient aussi venus à Harvard.

L’année suivante, Conant avait permis au plus haut-diplomate allemand de Boston de venir déposer une gerbe dans une chapelle de Harvard, arborant une croix gammée, selon Norwood.

Pendant toutes les années 1930, Harvard avait essayé d’éloigner les réfugiés juifs – et en particulier les professeurs – comme des recherches sur des savants européens qui avaient tenté de fuir le régime de Hitler en attestent.

Conant n’avait pas dénoncé le nazisme lors du pogrom de la Nuit de Cristal, de novembre 1938. Cela faisait alors déjà trois ans que les lois raciales de Nuremberg avaient privé les Juifs allemands de citoyenneté.

Un étudiant en train de lire l’annonce d’une réunion à l’Université de Harvard consacrée aux persécutions des Juifs en Allemagne, le 16 novembre 1938. (Crédit : AP Photo/Fox)

« Tout le monde le faisait »

En réponse à la sortie du livre de Norwook, publié en 2004, Harvard avait émis une réprimande, déclarant que le président Conant avec fait preuve d’une « opposition constante » face au national-socialisme.

« L’université était et elle est toujours révulsée par tout ce que représente Hitler et le spectre du nazisme inspire à juste titre l’horreur et la répugnance encore à ce jour », avait commenté le porte-parole de l’institution, Joe Wrinn, en 2004.

Toutefois, Norwood souligne les relations personnelles que Conant avait tissées avec des responsables nazis d’universités allemandes dans toutes les disciplines académiques – notamment dans les tristement célèbres sciences de la race.

Le président de Harvard James B. Conant (Crédit : Domaine public)

« Conant était déterminé à tisser des liens amicaux avec les universités de Heidelberg et de Goettingen, même si ces dernières avaient renvoyé les Juifs et qu’elles avaient minutieusement ‘nazifié’ leurs programmes, mettant en place une Fondation ‘académique’ de vulgarisation de l’antisémitisme qui était enseigné à ce moment-là sous le nom de ‘science radicale’, » dit Norwood.

Et Conant n’avait pas été – de loin – la seule personnalité de Harvard à trouver une source d’inspiration dans le nouveau Reich de Hitler.

En 1934, le doyen de la faculté de droit, Roscoe Pound, s’était rendu en Allemagne et en Autriche et il avait produit des écrits élogieux sur la gouvernance de Hitler. Pound avait remarqué le potentiel de Hitler de s’imposer face aux groupes « d’agitateurs » qui se faisaient remarquer dans l’Allemagne de l’époque libérale de Weimar.

Dans son ouvrage, Norwood souligne l’influence et les moyens des présidents des universités américaines pendant les années qui avaient précédé la Seconde Guerre mondiale.

« L’excuse du ‘tout le monde le faisait’ dans les années 1930 n’est pas convaincante », affirme Medoff.

« Le Williams College avait mis un terme à ses programmes d’échange d’étudiants avec l’Allemagne nazie ; les universités britanniques avaient refusé de participer à des événements dans des universités placées sous le contrôle des nazis et la New School for Social Research avait chaleureusement accueilli les professeurs juifs réfugiés. Harvard, pour sa part, avait fait un choix – celui du mauvais côté de l’Histoire », s’exclame Medoff.

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