Une « alyah-Metz » ou bien une « alyah-Israël » ?
La campagne des Juifs messins pour attirer ceux de la banlieue parisienne et la polémique sur "l'épuration ethnique" relancent le débat sur les difficultés d’intégration en Israël
L’affaire a ému courant mai le noyau dur du judaïsme organisé francophone, en particulier les militants sionistes, puis de nombreux olim [immigrants en Israël] actuels ou potentiels.
Point de départ du débat : une campagne de communication originale et audacieuse lancée par le Consistoire de Moselle, présidé par le docteur Jean-Claude Michel. Elle est intitulée « Alyah Metz ».
Double objectif : permettre aux Juifs victimes de harcèlement antisémite en banlieue parisienne ou ailleurs de trouver un havre de paix conjuguant services cultuels (synagogue, école confessionnelle…) et facilités économiques, tout en repeuplant la communauté messine, en perte de vitesse.
La campagne en question date d’il y a dix-huit mois environ mais n’a touché que les lecteurs de l’hebdomadaire Actualité Juive, par le biais d’encarts publicitaires, et est passée plutôt inaperçue à l’époque. Mais elle a été réactivée ce printemps par voie numérique via Facebook. Studio Qualita, la radio web israélienne des nouveaux immigrants venus de France, s’est emparé du sujet et la presse de Tel-Aviv en hébreu s’en est fait l’écho. Sur les réseaux sociaux, les commentaires ont fusé, l’Agence juive (chargée de l’alyah) a réagi…

« En Seine-Saint-Denis ou dans le Val-d’Oise, nous dit le grand rabbin de Metz, Bruno Fiszon, il est désormais très difficile d’arborer la kippa dans la rue. A l’inverse, rien de plus normal ici. Nous sommes gratifiés du régime concordataire en vigueur en Alsace-Moselle et d’aides publiques pour le culte. Notre groupe scolaire accueille environ soixante-dix élèves jusqu’au collège dans un cadre pédagogique d’excellence. Sa pérennité devrait assurer notre avenir, même si les plus pratiquants n’ont d’autre choix que d’envoyer leurs enfants dans les établissements confessionnels strasbourgeois après la classe de troisième. Nous bénéficions aussi d’un cimetière juif vieux de plus de deux siècles et géré exclusivement par le Consistoire, d’une shehita [abattage rituel – NDLR] régionale et de trois offices à la synagogue : ashkénaze rhénan, polonais et séfarade. Au total, cent cinquante personnes participent à la prière du Shabbat matin ». Enfin, la très ancienne communauté messine – déjà florissante au Moyen-Age et forte aujourd’hui de trois mille membres – et son président Philippe Wolff mettent en avant l’argument suivant : la proximité du Luxembourg où les emplois bien rémunérés sont légion, notamment pour les professionnels de la banque, du Droit ou de la comptabilité.
« Il ne s’agit pas de concurrencer Israël »
Comme l’a expliqué Philippe Wolff dans Actualité Juive du 13 mai, « il ne s’agit en aucun cas de concurrencer Israël. Nous sommes extrêmement sionistes (…). Il s’agit de proposer une alternative à ceux qui souhaitent déménager sans vouloir ou pouvoir vivre en Israël ». Une vingtaine de familles auraient contacté l’un des élus de son conseil d’administration, depuis le début de la campagne numérique, en vue d’une éventuelle « alyah » dans la métropole lorraine.
Les responsables juifs de Colmar, en Alsace, affichent la même ambition (sans publicité à ce stade). Le grand rabbin de cette ville paisible et socialement privilégiée, Yaacov Fhima, déplore le déclin de sa communauté. Il resterait tout de même un petit millier de ses coreligionnaires dans la préfecture du Haut-Rhin et surtout, quelques donateurs fortunés natifs de la cité mais installés à Strasbourg seraient prêts à aider Yaacov Fhima à dynamiser la vie juive locale.

Il existe d’autres points de chute possibles, dans l’Hexagone, pour des Juifs désireux de fuir les zones dites « sensibles » des agglomérations et recherchant un environnement sécurisé où l’on peut fréquenter la synagogue, marcher en kippa… sans peur d’être agressé : les quartiers centraux de Nice ou Strasbourg, par exemple.
La vraie problématique a été soulevée par Dov Maïmon le 24 avril à l’antenne de Studio Qualita.
Ce directeur de recherche au Jewish People Policy Institute (JPPI) de Jérusalem, à la fois ingénieur, historien, conseiller occasionnel du gouvernement Netanyahu et théologien, a mis les pieds dans le plat en affirmant qu’Israël était incapable d’offrir une existence digne et une protection sociale minimale à des Juifs français sans patrimoine ni assez jeunes pour tenter l’aventure de l’alyah – et pris au piège de la fameuse « épuration ethnique » sévissant en banlieue.
A lire : Manifeste contre le « nouvel antisémitisme » et « l’épuration ethnique à bas bruit »
« Nous parlons de dizaines de milliers de personnes de la couronne parisienne qui n’ont pas les moyens de déménager dans le 17ème arrondissement ou dans l’ouest francilien en général, a précisé Dov Maïmon. A terme, Israël est la solution mais en attendant ? Nous devons les sauver car ils sont trop faibles pour se protéger là où ils sont… S’ils choisissent Metz, ils disposeront du trio « avoda, baït, kehila » [travail, maison, communauté organisée – NDLR], de la tranquillité à laquelle ils aspirent, enfin des aides sociales à la française qui leur sont indispensables et qui font défaut dans l’Etat juif ».
Réaction dans l’hebdomadaire franco-israélien Haguesher de Daniel Benhaïm, directeur de l’antenne hexagonale de l’Agence juive : « La question est dérisoire et le débat déplacé. Un simple déménagement n’a rien de commun avec l’engagement que représente l’alyah ! Il est normal que les responsables provinciaux qui voient fondre leur population juive aient envie de recevoir de jeunes couples pour dynamiser notamment le culte, mais cela intéresse un nombre insignifiant d’individus. Comparer cette démarche marginale à la montée en Israël, c’est étrange et quelque peu démagogique à mon avis. Ne mélangeons pas tout… »
Philippe Wolff et Bruno Fiszon se défendent en expliquant que l’expression « Alyah Metz » est un clin d’œil sans arrière-pensée, le but étant de proposer au moins un « sas » intermédiaire entre une vie communautaire devenue dangereuse et appelée sans doute à disparaître dans les quartiers les plus tendus, sur les plans interethnique et interconfessionnel, et la future – et véritable – alyah dans les conditions optimales que chacun espère.

La question sociale au cœur du débat
Comme l’ont noté Dov Maïmon et Philippe Wolff, l’amorce de polémique sur cette affaire a eu le mérite de rappeler au gouvernement de Jérusalem et au ministère de l’Intégration que les Juifs de France n’étaient pas tous économiquement privilégiés et qu’il était peut-être nécessaire d’envisager pour certains d’entre eux un soutien social spécifique – « comme on l’a fait pour les Ethiopiens », dixit Dov Maïmon.
Adrien P., Juif pratiquant d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), se souvient qu’en 2002-2003, pendant la seconde Intifada, les agressions étaient déjà quotidiennes pour ceux qui fréquentaient – et fréquentent toujours – pour l’office la célèbre yeshiva (institut d’études talmudiques – NDLR) du rabbin Daniel Heymann.
« La situation est plus calme aujourd’hui, remarque-t-il, mais le malaise est palpable à chaque poussée de fièvre sur le front proche-oriental, comme pendant la guerre de l’été 2014 entre Tsahal et le Hamas. La plupart des Juifs résidant encore ici partiront mais une alyah sans argent semble extrêmement difficile passé un certain âge. La problématique est celle-ci : les communautés provinciales qui aimeraient nous accueillir, et qui ont raison de chercher un nouveau souffle démographique, en ont-elles les moyens ? Sont-elles prêtes à investir pour créer des places dans leurs écoles, pour nous aider à trouver du travail… ? Metz est un cas particulier car au Luxembourg voisin, le chômage est inconnu. Et encore : les emplois proposés là-bas ne concernent que des diplômés. Cela ne répond pas à nos préoccupations sociales. Il y a donc un potentiel pour une « alyah » en province mais les conditions ne paraissent pas réunies à l’heure actuelle ».
Il est vrai que les foyers originaires d’Ile-de-France mis en avant par le Consistoire mosellan dans le cadre de sa campagne n’ont eu aucun mal à s’insérer économiquement.
Anna E. a quitté Créteil (Val-de-Marne) avec son époux et ses quatre enfants il y a trois ans, excédée par les tensions anti-juives qui ont suivi l’opération « Plomb durci » de 2014 à Gaza.
« A l’école Ozar Hatorah, mes petits étaient comme dans un ghetto, entourés de militaires et des brigades de « parents protecteurs », des bénévoles chargés de la sécurité, raconte-t-elle. Nous envisagions une alyah rapide mais n’avons pu vendre notre appartement. Mon mari est directeur financier et a bénéficié d’une opportunité de travail au Luxembourg. Nous avons déménagé à Metz car il n’existe aucune communauté organisée là-bas. J’ai découvert une ambiance familiale, le groupe scolaire est convivial, d’une qualité exceptionnelle, il y a peu d’élèves par classe alors qu’ils étaient une trentaine devant leurs professeurs de Créteil… Et tous sont bien élevés ! C’est le jour et la nuit et nous sommes parfaitement intégrés. Nous n’avons pas renoncé à un départ pour Israël mais nous ne ressentons plus la même urgence ».
Un couple de retraités habitant en HLM à Pantin ou de modestes employés de Noisy-le-Grand partiront-ils aussi aisément dans la ville lorraine ?
Il n’empêche que l’avertissement pressant de Dov Maïmon est fondé sur une réalité : des milliers de Juifs défavorisés sont bel et bien pris au piège du « nouvel antisémitisme » et du déclassement social qui gangrènent certains quartiers. Pour eux, aucune solution facile ne semble se dessiner.
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