Une expo sur les femmes victimes de la Shoah et le parallèle avec Israël aujourd’hui
Présentée dans le Massachusetts, l’exposition "Lives Eliminated, Dreams Illuminated", qui imagine un avenir meilleur pour les victimes, voyagera ensuite à Miami et au Mexique
WALTHAM, Massachusetts – Une photo à première vue banale montre trois jeunes femmes câlinant un chien. Pourtant, sur cette image, le regard obsédant de Tema Schneiderman et de ses deux amies se distingue et retient l’attention. Car ces trois femmes ont fait partie des partisans en Lituanie et en Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale. En janvier 1943, Tema Schneiderman va être capturée dans le ghetto de Varsovie, puis tuée par les nazis à Treblinka. Elle n’avait que 26 ans.
Schneiderman fait partie d’un groupe de jeunes femmes et jeunes filles juives victimes de la Shoah qui font l’objet d’un hommage unique : une exposition multimédia intitulée « Lives Eliminated, Dreams Illuminated » [Vies éliminées, rêves illuminés] (LEDI), qui était présentée à l’institut Hadassah-Brandeis de l’université de Brandeis (Massachusetts) ce mois-ci. Fruit d’une collaboration entre l’artiste Lauren Bergman, basée aux États-Unis, et la compositrice israélienne Ella Milch-Sheriff, l’exposition a mêlé art, musique et documents historiques. Elle a été présentée pour la première fois à la galerie Kniznick de l’école en septembre. L’exposition doit maintenant voyager et être présentée au Musée juif de Floride à Miami et au musée de la Mémoire et de la tolérance de Mexico.
Alors que l’exposition était en cours à Brandeis, Israël a été le théâtre d’un véritable déchaînement terroriste. Le Hamas a lancé un assaut brutal le 7 octobre, envoyant 2 500 terroristes en Israël sous un barrage de roquettes, tuant, brûlant et torturant 1 400 Israéliens – pour la plupart des civils – et prenant plus de 220 otages. Un immeuble situé en face du domicile de Milch-Sheriff à Tel Aviv a été directement touché par une roquette du Hamas.
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Parmi les victimes figurent de nombreuses femmes et jeunes filles, comme la Franco-Israélienne Mia Shem, 21 ans, qui a été capturée lors du massacre sanglant de la rave-party près du kibboutz Reim. À des fins de guerre psychologique, le Hamas a diffusé une vidéo de Mia Shem en captivité.
« La LEDI se passe aujourd’hui », a indiqué Milch-Sheriff. « Ce n’est pas un chapitre dans l’histoire, ni quelque chose qui a eu lieu il y a 70 ou 80 ans. C’est maintenant que cela se passe. Cela s’est passé il y a seulement [neuf] jours, et cela s’est passé dans l’État juif. »
Lors d’interviews réalisées au lendemain des attentats, Milch-Sheriff et Bergman ont tous deux affirmé au Times of Israel que l’exposition était encore plus pertinente aujourd’hui.
Composé de 23 peintures associées à des compositions musicales, le projet est né d’une photo d’archive d’une jeune fille tuée pendant la Shoah, que Bergman a vue en ligne il y a environ cinq ans. À l’époque, elle était préoccupée par des événements contemporains tels que les émeutes suprémacistes blanches Unite the Right de 2017 à Charlottesville (Virginie), et la fusillade de masse de 2018 à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh (Pennsylvanie).
« J’ai fait un petit croquis dans lequel je voulais donner à cette petite fille un monde plus heureux », explique Bergman au Times of Israel, « pour que le monde se souvienne d’elle… d’une vie qui n’a pas pu être vécue ».
« Toute ma carrière artistique est axée sur le narratif féminin », continue-t-elle. « Les questions sociales ou tout simplement la vie à travers le prisme féminin. Fondamentalement, c’est ainsi que je vis le monde, c’est ainsi que je vois le monde, en grande partie en tant que femme. »
Elle explique que selon elle, « les femmes ont vécu la Shoah différemment, de manière horrible… Je ne veux pas dire par là qu’il y aurait une compétition pour savoir qui a le plus souffert. C’est juste un point de vue différent ».
À partir d’images réelles de femmes victimes, Lauren Bergman a créé des peintures qui imaginent des avenirs alternatifs pour leurs sujets, en y incorporant des couleurs vives et toutes sortes de jouets et d’animaux.
Comme l’explique l’artiste, dans son portrait de Schneiderman, le chien de compagnie devient un loup, un animal qui symbolise la dureté et le courage collectif, des traits de caractère partagés par les partisans. La dureté de Schneiderman est également illustrée par les bottes de moto que Bergman lui a fait porter.
Certaines des images historiques ont été envoyées à Bergman par des membres des familles des victimes. D’autres ont été trouvées dans des archives, notamment de Yad Vashem.
Pour ces dernières, il a été pratiquement impossible de contacter les membres survivants de la famille pour les informer du projet.
« C’est un véritable problème », explique Bergman, « Je n’ai aucune idée de la manière de procéder… Nous serions ravis que quelqu’un le fasse ». Elle ajoute : « Dans beaucoup d’archives, il n’y a aucune information sur l’origine de la photographie. Yad Vashem a la liste des personnes qui les ont envoyées, mais il n’y a pas de coordonnées ou quoi que ce soit d’autre. »
Milch-Sheriff a composé des morceaux pour chacune des femmes et des filles, en y intégrant souvent des morceaux de musique liés à l’histoire du sujet. Elle a accompagné la toile de Schneiderman de « Zog nit keyn mol » (« Ne jamais dire »), la chanson associée aux partisans du ghetto de Varsovie. Élevée par des parents qui ont tous les deux survécus à la Shoah, Milch-Sheriff se souvient que son père lui chantait cette chanson lorsqu’elle était enfant. Il a perdu sa première femme et leur fils de trois ans dans la Shoah.
Bergman a relevé deux récits de victimes particulièrement troublants dans l’exposition – deux jeunes femmes dont l’identité reste inconnue et dont les histoires sont représentées l’une en face de l’autre dans l’espace de la galerie.
« She Dreams of Flowers » est le premier tableau de la série peinte par Bergman. Elle imagine un avenir meilleur pour une femme représentée sur une pellicule 8 mm non datée, trouvée par les troupes américaines dans une caserne SS. On y voit une femme nue assise sur un trottoir de la ville de Lwόw, qui se trouvait alors en Pologne, entourée d’une foule dont les membres apparaissent jusqu’à hauteur de la taille. On y voit une main anonyme se tendre pour toucher la tête de la femme.
Dans le tableau de Bergman, la femme se repose dans une prairie paisible, accompagnée d’un lynx. La composition de Milch-Sheriff comporte une mélodie proche d’une marche américaine, dont le volume augmente progressivement tout au long de la pièce, représentant les soldats américains qui ont découvert les images du film.
En face, il y a « Sunflowers and Butterflies » qui aborde un récit tout aussi déchirant : une femme représentée sur une photo de 1941, le visage en sang, le corps à moitié dévêtu, fuyant une foule parmi laquelle on voit un garçon brandissant un bâton.
C’est l’expérience la plus horrible que l’humanité puisse vivre en termes de dépravation », commente Bergman dans les entretiens audio d’elle et de Milch-Sheriff qui complètent l’exposition. « Photographiée par un passant, battue par un enfant, poursuivie par des membres de sa communauté… C’est tout ce qui reste de la vie de cette femme. »
Bergman a créé une peinture dans laquelle la femme s’élance dans un champ de tournesols, de coquelicots et de papillons. Milch-Sheriff a créé une composition dans laquelle l’envol de la femme est transmis par des percussions et des instruments à vent.
Bergman décrit les femmes de ces deux histoires comme des « femmes qui ont été déshabillées, pourchassées et battues dans les rues par des foules de civils. Je regarde les images de ce qui est arrivé aux filles lors de la rave-party et… j’y vois un parallèle très net ».
Évoquant Schneiderman la partisane, Milch-Sheriff rappelle qu’aujourd’hui en Israël « nous avons entendu des témoignages de jeunes soldates, âgées de 18 ou 19 ans, qui ont été si courageuses et qui ont sauvé la vie de tant de personnes [lors de l’assaut du 7 octobre] ». Certaines d’entre elles ont été tuées, d’autres ont survécu pour raconter l’histoire ». En les comparant à Schneiderman, la compositrice a déclaré : « C’étaient les mêmes personnes. »
La plupart des sujets de l’exposition ont péri dans la Shoah. Il y a cependant une survivante connue : Lusia Rosenzweig Milch, aujourd’hui âgée de 90 ans, mère du Dr. David M. Milch, dont la Fondation éponyme Dr. David M. Milch a été le fer de lance de l’exposition. Âgée de huit ans au début de la guerre, elle est le seul membre de sa famille proche à avoir réussi à s’échapper et a perdu plus de 100 membres de sa famille élargie. Dans le tableau de Bergman, elle est invitée à un pique-nique familial le jour de Rosh Hashana, au son de l’hymne de Milch-Sheriff à sa tante, qui reprend une chanson yiddish, « Rozhinkes Mit Mandlen » ou « Raisins secs aux amandes ».
« Je n’aurais jamais pu imaginer, venant d’une famille nombreuse, aimante et aisée, fêtant ensemble, partageant la vie ensemble, que je serais celle qui survivrait, qui continuerait à vivre », confie Bergman dans l’interview audio qu’elle a accordée. Citant le tableau, elle a ajouté : « Sa famille est derrière elle. Ils seront à ses côtés pour toujours… comme nous portons tous nos ancêtres vers le futur. »
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