Une juge juive américaine s’interroge sur le financement public des écoles religieuses
Alors que la Cour suprême s'apprête à élargir le soutien de l'état à une école catholique de l'Oklahoma, Elena Kagan s'interroge : L'état de New York doit-il financer des établissements ultra-orthodoxes qui n'enseignent ni l'anglais ni les mathématiques ?

JTA – La juge de la Cour suprême Elena Kagan a fait part de son inquiétude, lors d’une audience qui a eu lieu mercredi, à l’idée que l’état de New York puisse être forcé à financer entièrement les écoles juives qui n’enseignent que peu les matières laïques de base – comme l’anglais ou les mathématiques – dans le sillage d’un dossier historique sur lequel la Cour se prononcera bientôt.
L’enjeu est de savoir si l’église catholique de l’Oklahoma doit être autorisée à créer la première école religieuse à charte du pays. Ces écoles sont des établissements financés par les états et elles sont plus autonomes que les écoles publiques traditionnelles. Elles n’induisent pas de frais de scolarité.
En raison de la séparation entre l’Église et l’État qui est stipulée par le Premier amendement de la Constitution américaine, les écoles à charte ne peuvent pas être affiliées à une institution religieuse – un état de fait que l’école virtuelle catholique St Isidore de Séville veut très précisément changer dans son affaire devant les tribunaux.
Si la Cour suprême donne raison à l’école catholique, elle pourrait alors ouvrir la voie à des écoles juives qui seront financées par les états dans tous les États-Unis. La Cour suprême est composée d’une majorité conservatrice – six magistrats contre trois juges libéraux. D’après les questions qu’ils ont posées aux avocats des deux parties, les juges, dans leur majorité, semblent ouverts à l’idée que l’exclusion des institutions religieuses du système des écoles à charte de l’Oklahoma est à la fois discriminatoire et anticonstitutionnelle.
Kagan et les deux autres juges libéraux ont, de leur côté, exprimé leur scepticisme dans ce dossier. Kagan, la seule juge juive de la Cour, a évoqué les écoles hassidiques de New York lorsqu’elle a interrogé l’avocat de St Isidore, Michael McGinley, sur les implications de son argumentaire. Elle a voulu savoir s’il pensait que les écoles religieuses à charte devraient être autorisées à s’exempter des exigences du programme scolaire en fonction de leurs doctrines.
« Imaginons que nous sommes à New York et qu’il y a une communauté hassidique qui a une école juive, et que c’est une yeshiva très sérieuse, ce qui signifie que presque tout l’enseignement est lié à l’étude du Talmud et d’autres textes religieux », a dit Kagan.

« Très peu de ces enseignements ont à voir avec les matières laïques du programme », a-t-elle poursuivi. « Presque aucun enseignement n’est dispensé en anglais. Presque tout est en yiddish ou dans d’autres langues comme l’hébreu ancien et l’araméen ».
« New York doit-elle dire ‘oui’ même si ce programme est très différent de celui que nous proposons dans nos écoles publiques ordinaires ? » a demandé Kagan à McGinley.
Les questions posées par la juge à la Cour suprême sont survenues alors que l’état de New York a récemment procédé à la fermeture de plusieurs écoles juives qui ne respectaient pas une loi de l’état exigeant que toutes les écoles – privées et publiques – enseignent de manière adéquate les matières laïques de base. Les mesures de répression qui ont été mises en place par l’état se sont concentrées sur les écoles hassidiques – que les critiques décrivent dans les mêmes termes que ceux qui ont été utilisés par Kagan dans son exemple.
McGinley a répondu que le scénario évoqué par Kagan ne devait pas influencer la décision de la Cour dans l’affaire Saint-Isidore.
« On ne peut pas se poser de telles questions hypothétiques et imaginaires en aval en les laissant justifier la discrimination religieuse en amont », a répondu McGinley, qui a cité une série d’affaires antérieures qui concernaient les clauses religieuses du Premier amendement.

Ce à quoi la magistrate a rétorqué qu’en raison de la nature de la religion, les conflits avec les autorités laïques deviendraient inévitables avec l’existence d’écoles à charte religieuses. Elle a également déclaré que les états avaient créé les écoles à charte afin de stimuler l’innovation dans le contexte typique des écoles publiques, et qu’ils n’avaient pas l’intention de commencer à financer l’éducation religieuse.
« Et voilà que maintenant, vous dites à cet état : ‘Vous savez, oui, vous devez financer la yeshiva que j’ai décrite ; oui, vous devez financer la madrasa … si vous voulez vraiment avoir ce que vous proposez », a-t-elle fait remarquer, faisant également référence aux écoles religieuses islamiques.
La décision qui sera prise dans cette affaire pourrait avoir une incidence sur les 47 États qui autorisent les écoles à charte, qui sont financées par l’État mais qui sont gérées par le secteur privé. Certains États, dont New York, ont fixé des plafonds qui limitent les nouvelles écoles à charte, entre autres restrictions.
La majorité des Juifs américains, en tant que petite minorité religieuse dans un pays majoritairement chrétien, ont toujours soutenu le principe de la séparation de l’Église et de l’État, et les principaux groupes juifs se sont toujours battus pour que la religion ne fasse pas son entrée dans la sphère publique.
Les organisations représentant les Juifs orthodoxes, qui envoient presque tous leurs enfants dans des écoles religieuses, constituent une exception, et plusieurs d’entre elles sont intervenues pour soutenir Saint-Isidore. Les groupes orthodoxes ont également fait pression en faveur de l’adoption d’autres mesures, telles que les bons de scolarité, qui rendent l’éducation religieuse plus abordable.
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.