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Une nouvelle loi pourrait priver les Juifs de Bosnie-Herzégovine de certains mandats

La proposition de loi, fruit des réflexions de l'autorité de surveillance européenne, renforcerait les 3 groupes ethniques majoritaires, aux détriments de 17 groupes minoritaires

Des manifestants sont rassemblés devant le Bureau du Haut Représentant de Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo, le 25 juillet 2022. (Crédit : David I. Klein / JTA)
Des manifestants sont rassemblés devant le Bureau du Haut Représentant de Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo, le 25 juillet 2022. (Crédit : David I. Klein / JTA)

SARAJEVO, Bosnie-Herzégovine (JTA) – Des milliers de personnes se sont rassemblées devant les portes du Bureau du Haut Représentant à Sarajevo lundi soir, aux slogans de « Vous ne nous diviserez pas » entrecoupés de chants de « Bosna, Bosna, Bosna », alors que le personnel, européen et américain, avait probablement déjà quitté les lieux.

Le drapeau bleu de la Bosnie-Herzégovine, dont le triangle jaune proéminent représente ses trois groupes ethniques, était omniprésent.

Ces manifestants étaient venus protester contre des informations révélées la semaine dernière selon lesquelles le Bureau du Haut Représentant, ou OHR, chercherait à imposer un nouveau système électoral au sein de la fédération qui, selon les manifestants, aurait pour effet de favoriser les partis nationalistes et marginaliser les minorités.

Parmi les groupes particulièrement préoccupés par ce projet figure la petite communauté juive du pays, dont les dirigeants luttent contre les inégalités du système électoral depuis plus de dix ans. S’ils étaient mis en œuvre, les changements annoncés interviendraient quelques mois seulement avant les prochaines élections, prévues en octobre.

Organe non élu, l’OHR a été créé à la fin de la guerre de Bosnie pour superviser la mise en œuvre de la nouvelle structure civique dans le jeune État post-yougoslave. Depuis sa création, tous les chefs de l’OHR sont choisis au sein de l’Union européenne par un Conseil international de mise en œuvre de la paix, et leurs adjoints sont américains.

Le haut représentant actuel est un diplomate allemand, Christian Schmidt, qui a la faculté de révoquer unilatéralement des élus (même s’ils ont rang de présidents), faire appliquer ou annuler des lois, et même modifier les symboles nationaux.

Le poste s’apparente, pour certains, à celui de gouverneur colonial ou vice-roi du Moyen-Âge.

Ce sont moins de 900 Juifs, pour la plupart d’origine séfarade, qui vivent en Bosnie-Herzégovine, sur une population totale de 3,2 millions d’habitants. Mais la communauté juive de Sarajevo s’est fait un nom pendant le siège de la ville, long de quatre ans, au plus fort des guerres yougoslaves des années 1990, en organisant des convois pour mettre des milliers de personnes en sécurité, convertissant la seule synagogue active en abri, pharmacie souterraine, soupe populaire et école, le tout en étant coupée du reste du monde.

Mais à la fin de la guerre, la constitution bosniaque établie en vertu de l’annexe 4 de l’Accord de paix de Dayton de 1995 a divisé la représentation de haut niveau dans le nouvel État entre ses trois principaux groupes ethniques : Bosniaques musulmans, Serbes de Bosnie et Croates de Bosnie, dénommés « peuples constitutifs ». L’accord a également divisé le pays en deux régions législatives, la fédération majoritairement bosniaque et croate, et la Republika Srpska, à majorité serbe.

Christian Schmidt, Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine, s’adresse aux médias après sa rencontre avec la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, à Sarajevo, Bosnie-Herzégovine, le 10 mars 2022. (Crédit : AP Photo/Armin Durgut)

À l’époque, on espérait que l’arrangement mettrait fin aux violences brutales qui avaient éclaté avec la chute de la Yougoslavie. Jusqu’à présent, elle l’a fait, mais la loi a également eu pour effet secondaire de dépouiller de leurs droits au moins 17 groupes nationaux minoritaires, inéligibles à une partie de la présidence tripartite de Bosnie comme à la chambre haute du parlement, la Chambre des peuples.

« La Chambre des peuples sera composée de 15 délégués, les deux tiers de la Fédération (dont cinq Croates et cinq Bosniaques) et un tiers de la Republika Srpska (cinq Serbes) », peut-on lire dans l’accord de Dayton, spécifications entre parenthèses incluses. « Le quorum sera acquis avec neuf membres de la Chambre des peuples, à condition qu’au moins trois délégués bosniaques, trois croates et trois délégués serbes soient présents. »

L’accord énumère ensuite nombre d’autres cas dans lesquels au moins un Bosniaque, un Croate et un Serbe doivent être présents ou consultés.

Au-delà de la seule communauté juive, l’arrangement prive également la population rom de Bosnie – sa principale minorité non constituante, près de 60 000 personnes – de toute représentation politique de haut niveau.

Au total, ce sont plus de 100 000 citoyens de Bosnie-Herzégovine qui seraient privés de certaines fonctions parce qu’ils n’appartiennent à aucun des peuples constitutifs. Et 300 000 autres personnes ne faisant pas partie des groupes minoritaires sont également exclues parce qu’elles vivent dans la mauvaise partie du pays au regard de leur population constituante, précise Human Rights Watch. En Republika Srpska, par exemple, les personnes d’origine croate peuvent voter, mais elles ne peuvent pas prétendre à la présidence d’une région.

Jakob Finci, président de la communauté juive bosniaque, et Dervo Sejdic, éminent dirigeant rom, ont porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) au milieu des années 2000 et ont obtenu gain de cause en 2009. La CEDH a exigé que la réforme constitutionnelle soit un jalon sur le chemin de la Bosnie pour être admissible au statut de candidat à l’adhésion à l’UE.

Jakob Finci, président de la communauté juive de Sarajevo, dans son bureau, le 4 février 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz / Times of Israel)

« Quand toutes les conditions seront réunies, alors seulement nous serons sur la voie européenne », a déclaré Finci aux médias bosniaques cette semaine. « Montrer à l’Europe que nous sommes prêts pour les changements nécessaires pour, au final, devenir candidat, et un jour j’espère, membre de l’Union européenne. »

Dix ans plus tard, force est de constater que rien n’a été fait pour modifier les lois. Près de trente ans après la fin de la guerre, de nombreux Bosniaques de toutes origines estiment que les quotas ethniques ne sont plus un critère pertinent pour élire leur gouvernement.

« Les politiciens bosniaques n’ont toujours pas mis fin au statut de seconde classe réservé aux Juifs, Roms et autres minorités, dix ans après la décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui a conclu que la constitution bosniaque violait leurs droits », affirmait Human Rights Watch dans un communiqué de 2019.

C’est Sejdic qui a appelé à manifester devant l’OHR.

« Si nous, les citoyens de Bosnie-Herzégovine, ne faisons pas front commun contre Schmidt et sa loi électorale raciste imposée d’en haut, pour lutter contre le fascisme et le racisme, personne d’autre ne le fera », a écrit Seijdic sur sa page Facebook. « Rassemblons-nous et manifestons devant l’OHR jusqu’à ce que le haut représentant renonce à cette loi. »

Le centre communautaire juif de Sarajevo, le 4 février 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz / Times of Israel)

À l’heure actuelle, les postes de haut niveau au sein du gouvernement national bosniaque, et même certains de niveau local, sont également répartis entre membres de ses trois peuples constitutifs, quelle que soit la population de ces peuples dans la circonscription locale. Le changement proposé par l’OHR pèserait sur la démographie locale, ce qui, à son tour, aurait pour effet de renforcer le pouvoir des partis ethno-nationalistes au pouvoir.

Dans les districts présentant de faibles pourcentages de l’un des principaux groupes ethniques, le siège politique attribué à l’origine ethnique de ce groupe se déplacerait vers un district avec un pourcentage plus élevé de personnes de cette origine ethnique. Par exemple, un district avec très peu de personnes d’origine croate verrait le siège croate transféré dans un autre district, pour soutenir la majorité croate au parlement.

Les districts qui perdront de l’influence sont ceux qui ont des pourcentages similaires aux trois groupes majoritaires. En effet, les enclaves monoethniques obtiendront un pouvoir démesuré, tandis que les cantons plus diversifiés, ou circonscriptions législatives, perdront leur représentation.

Juifs de Bosnie, Roms et autres minorités non constituantes ne dépassent pas 3 % – le seuil proposé – dans un seul des 10 cantons du pays.

Mercredi, Schmidt aurait réuni les chefs des principaux partis politiques bosniaques et leur aurait donné six semaines pour résoudre eux-mêmes ce qui est présenté comme la « question des 3 % » avant d’imposer le changement, en sa qualité de haut représentant. Les manifestations se sont poursuivies devant son bureau tout au long de la semaine.

Le cimetière juif de Sarajevo, le 4 février 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz / Times of Israel)

« Avec cette loi, il y aura plus de discrimination que jamais », a affirmé à la JTA Vladimir Andrle, Juif de Bosnie et président de la branche philanthropique de la communauté, La Benevolencija, lors du rassemblement de lundi. « En vertu de cela, les minorités n’obtiendront jamais de droits et cela nous préoccupe tous. »

« Avec cette loi, il [Schmidt] ignore tous les verdicts de la cour des droits de l’homme », a ajouté Anderle, faisant référence à l’affaire Finci, entre autres.

L’ironie de la situation n’échappe à personne en Bosnie : que Schmidt soit un citoyen de l’UE, qu’il occupe un poste établi en vertu d’un accord que l’UE a contribué à négocier, et qu’il agisse pour renforcer un système qui, selon les décisions des tribunaux européens, viole les droits de l’homme. Beaucoup craignent que les changements proposés n’effacent le bénéfice de décennies de stabilité et relancent des mouvements sécessionnistes qui pourraient ramener le pays sur le chemin d’une guerre qu’il n’a pas connue depuis les années 1990.

Cependant, il est des partis que ce projet réjouit, comme les partis croates HDZ (Union démocratique croate) et SNSD (Alliance des sociaux-démocrates), à majorité serbe, qui ont le plus à y gagner. Andrej Plenkovic, Premier ministre de la Croatie voisine, a également exprimé son plein soutien.

À l’opposé, ont participé à la manifestation les dirigeants des partis politiques dits « pro-bosniaques » – ceux qui soutiennent le passage à une identité civique nationale de « Bosniaques-Herzégovines », plutôt que les identités ethniques des Bosniaques, des Croates et des Serbes.

Synagogue à l’intérieur du centre communautaire juif de Sarajevo, le 4 février 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz / Times of Israel)

La Bosnie-Herzégovine est une identité déjà détenue par bon nombre des 100 000 citoyens qui ne sont pas membres des peuples constitutifs, dont la communauté juive.

En leur qualité de dirigeants de grandes organisations communautaires juives en Bosnie, Anderle et Finci se sont joints à 30 autres dirigeants « pro-bosniaques », dont ceux de certains grands partis politiques, pour signer une déclaration opposée au projet de loi.

« C’est complètement fou si vous considérez cette question du point de vue du citoyen. Les Juifs, comme d’autres minorités, sont profondément discriminés », a écrit Anderle après la manifestation dans un message WhatsApp.

« L’ironie de la situation politique en Bosnie-Herzégovine réside dans le fait que les BOSNIAQUES ET LES HERZÉGOVINES [sic] sont des minorités. »

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