Israël en guerre - Jour 564

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Une ONG israélienne donne des cours à des employés analphabètes sur leurs lieux de travail

Sous la direction d’un professeur idéaliste, des étudiants bénévoles apprennent aux agents d’entretien des hôpitaux et des universités l’hébreu, l’anglais et les maths

Des agents d'entretien du Centre médical Wolfson à Holon assistent à un cours d'hébreu en janvier 2017 (Crédit :  Renee Ghert-Zand/TOI)
Des agents d'entretien du Centre médical Wolfson à Holon assistent à un cours d'hébreu en janvier 2017 (Crédit : Renee Ghert-Zand/TOI)

Lors d’un après-midi ensoleillé de la fin janvier, 18 hommes et femmes d’âge varié pénètrent dans la salle de classe d’une école d’infirmiers au Centre médical Wolfson, dans la ville côtière de Holon. En discutant, ils prennent place sur leurs chaises et préparent leurs cahiers et leur stylo pour suivre la classe.

Habillés en civil ou portant le sweat-shirt gris à capuche de l’hôpital enfilé sur leurs uniformes blanc, ces élèves, des immigrants venus d’Ethiopie et de l’ancienne Union soviétique pour travailler à des postes d’entretien au Centre médical, sont tous là pour apprendre l’hébreu.

Aucun d’entre eux ne peut lire ni écrire cette langue, même si cela fait parfois plusieurs décennies qu’ils habitent en Israël.

Il est probable qu’ils seraient restés fonctionnellement analphabètes sans ERETZ, traduisible en Français par Emancipation à travers l’Education, une organisation à but non-lucratif qui offre un enseignement de rattrapage aux employés les moins qualifiés d’Israël dans les hôpitaux et les universités du pays.

ERETZ était l’idée personnelle de Shai Gul, mathématicien israélien de 39 ans, qui avait remarqué un jour les agents d’entretien de l’Université Bar-Ilan dans laquelle il préparait son doctorat, en 2015.

Alors qu’il donnait des cours à des élèves de premier cycle et qu’il travaillait sur une dissertation en géométrie discrète, il avait observé les agents – en majorité des femmes arabes venues de la ville défavorisée de Jisr az-Zarqa — laver les sols, vider les poubelles et nettoyer les toilettes.

Le docteur Shai Gul, fondateur d'ERETZ (Autorisation)
Le docteur Shai Gul, fondateur d’ERETZ (Autorisation)

Gul avait ressenti de la tristesse face à ces vies parallèles à la sienne telles qu’elles étaient menées par les agents d’entretien.

Il avait réalisé que si lui et les agents étaient au même titre des employés de l’université, lui seul pouvait profiter de ses ressources éducatives.

Et il avait pensé que les personnels employés au nettoyage de l’établissement seraient enclins à apprendre si on leur donnait seulement la chance de le faire.

Et il s’est avéré que Gul avait raison. Prenant sur lui-même pour offrir un premier cours de mathématiques de base aux employés, il a ensuite recruté des étudiants bénévoles de premier cycle pour lui venir en aide. Et les agents d’entretien sont venus.

Puis un cursus d’anglais a vu le jour, suivi par l’expansion de l’initiative en direction des personnels d’entretien au Centre médical Sheba de Tel Hashomer et au Centre interdisciplinaire de Herlizya.

Les cours hebdomadaires qui sont maintenant organisés au Centre médical Wolfson sont les premiers à être consacrés à l’apprentissage de l’hébreu, et c’est la première fois également que les élèves sont de nouveaux immigrants – en contraste avec les Israéliens arabes de Jisr az-Zarqa, de Jérusalem-Est ou de villages du nord.

‘L’une des femmes à laquelle j’ai donné des cours n’était même jamais allée au cours préparatoire’

Alors que son initiative prenait de l’élan et enregistrait ses premières réussites (par exemple, une femme de ménage arabe est en train de terminer ses inscriptions au lycée et trois autres ont été acceptées dans des formations d’assistantes maternelles), Gul a recruté des membres dans son bureau et enregistré ERETZ au titre d’organisation à but non lucratif.

Son objectif est d’étendre le programme d’enseignement bénévole aux autres universités et aux autres hôpitaux de tout le pays.

ERETZ travaille actuellement avec le ministère de l’Economie sur des normes de certification pour les cours de 40 heures délivrés par l’association.

Ainsi, un certificat obtenu auprès de l’ERETZ pourra qualifier un élève à une formation professionnelle ou technique.

« Le but poursuivi est simple : C’est d’offrir une éducation à ceux qui en ont besoin. Un grand nombre de ces gens n’a jamais terminé l’école élémentaire. L’une des femmes à laquelle j’ai donné des cours n’était même jamais allée au cours préparatoire », explique Gul, qui est dorénavant maître de conférences à l’Institut de Technologie de Holon.

Répondre à une nécessité réelle

La recherche sur les niveaux d’éducation et d’alphabétisation en hébreu des Arabes israéliens et des nouveaux immigrants vient soutenir ce qu’avait instinctivement compris Gul lorsqu’il avait observé pour la première fois les agents d’entretien de l’université Bar-Ilan.

Chen Shevelov (à gauche) aide une étudiante lors d'un cours d'hébreu de l'organisation ERETZ pour les équipes d'entretien au Centre médical Wolfson de Holon, en janvier 2017 (Crédit : Renee Ghert-Zand/TOI)
Chen Shevelov (à gauche) aide une étudiante lors d’un cours d’hébreu de l’organisation ERETZ pour les équipes d’entretien au Centre médical Wolfson de Holon, en janvier 2017 (Crédit : Renee Ghert-Zand/TOI)

Selon l’Institut JDC-Myers-Brookdale, deux fois plus d’Israéliens arabes que d’Israéliens juifs abandonnent l’école au lycée (16 % contre 8 % en 2009).

De plus, un pourcentage significatif de jeunes femmes arabes (même celles qui ont terminé leurs études de lycée) ne parlent ni n’écrivent l’hébreu suffisamment bien pour se mettre en quête d’un emploi rémunéré, et elles ne suivent pas de formations professionnelles, technique ou informatique.

De récents classements issus de l’OCDE et de PISA montrent également des écarts significatifs entre les Juifs et les Arabes en Israël en termes d’alphabétisation et d’acquisition de notions de calcul.

La situation est également troublante lorsqu’il s’agit de nouveaux immigrants. Un grand nombre d’entre eux – les plus âgés et ceux d’âge moyen qui sont arrivés de l’ex-Union Soviétique – ne parlent toujours pas couramment l’hébreu et l’anglais des années, voire des décennies, après leur arrivée.

Et ils sont nombreux aussi à ne pas travailler dans leur profession d’origine, selon un rapport établi en 2015 par 2015 JDC-Myers-Brookdale.

Parmi les immigrants venus d’Ethiopie, seulement 36 % de ceux qui sont arrivés à l’âge de 12 ans et plus ont terminé leurs études de lycée.

En général, les Israéliens éthiopiens se trouvent tout en bas de l’échelle en termes d’emploi, 62 % assumant des tâches exigeant des niveaux de qualification peu élevés.

Selon un rapport de politique générale rédigé en juin 2015 par Hadas Fuchs et Gilad Brand du Centre Taub, environ la moitié des immigrantes éthiopiennes et 17 % de leurs équivalents masculins arrivés après l’âge de 12 ans sont agents d’entretiens ou commis de cuisine.

Un changement de vie, petit et grand

Pour certains élèves, une ou deux sessions de cours auprès d’ERETZ peut mener à des changements majeurs.

Hadil Shihab, 25 ans, agent d’entretien au Centre médical Shebal de Tel Hashomer et originaire de Jisr az-Zarqa, s’est également inscrite dans une formation professionnelle de dix mois pour devenir assistante-éducatrice dans le secteur de l’aide à l’enfance.

« J’ai suivi les cours de maths à Tel Hashomer et j’ai eu une note de 100 % lors de l’examen final », dit Shihab avec fierté.

« Je n’aurais jamais pensé continuer ainsi mes études », ajoute-t-elle.

Tamara Morduchayev (là gauche,), agent d'entretien au Centre médical Wolfson de Holon, ors d'un cours d'hébreu de l'organisation ERETZ en janvier 2017 (Crédit : Renee Ghert-Zand/TOI)
Tamara Morduchayev (là gauche,), agent d’entretien au Centre médical Wolfson de Holon, lors d’un cours d’hébreu de l’organisation ERETZ en janvier 2017 (Crédit : Renee Ghert-Zand/TOI)

D’autres veulent juste gagner des compétences en maths ou en alphabétisation de manière à vivre une vie plus facile en Israël.

Hamda Jubran, 30 ans, qui vient aussi de Jisr az-Zarqa, a dû quitter son emploi de femme de ménage à l’université Bar-Ilan pour s’occuper de sa mère malade. Elle rêve de pouvoir un jour suivre le même chemin que Shihab et s’occuper, elle aussi, de l’enfance malheureuse.

Mais, en même temps, elle est contente d’avoir acquis de nouvelles compétences en mathématiques à utiliser lorsqu’elle fait des achats ou pour aider son oncle analphabète à payer ses factures.

Tamara Morduchayev, qui travaille au Centre médical Wolfson, a pour sa part quitté Tashkent en Ouzbékistan en 1992. Elle n’a pas suivi le programme Ulpan (des classes d’immersion en hébreu en direction des immigrants) pour pouvoir immédiatement travailler et subvenir aux besoins de sa famille.

Elle n’avait donc jamais appris à lire ni à écrire l’hébreu. A l’âge de 51 ans, elle ne s’attend pas à des changements majeurs.

Chana (Wigayu) Tilahon, agent d'entretien au Centre médical Wolfson de Holon, lors d'un cours d'hébreu de l'organisation ERETZ en janvier 2017 (Crédit : Renee Ghert-Zand/TOI)
Chana (Wigayu) Tilahon, agent d’entretien au Centre médical Wolfson de Holon, lors d’un cours d’hébreu de l’organisation ERETZ en janvier 2017 (Crédit : Renee Ghert-Zand/TOI)

« J’ai voulu juste faire ça pour moi, pour n’avoir pas besoin de demander en permanence à ma fille de traduire et des lettres et des documents pour moi », explique-t-elle.

Certains jeunes camarades de cours de Morduchayev espèrent toujours pouvoir poursuivre des études supérieures.

« Je veux suivre tout le cursus. Je rêve d’aller à l’université et d’étudier la gestion », dit Lakachew Mulu, 36 ans, de Jaffa. Il a quitté l’école en CM2 et sait qu’il a énormément de choses à rattraper.

Et il doit, avant tout, subvenir aux besoins de son épouse et de leurs quatre enfants.

Chana (Wigayu) Tilahon veut être, elle aussi, réaliste.

Mais elle fête également les victoires quotidiennes remportées lors de son apprentissage de la lecture et de l’écriture, pour la première fois de sa vie. Mère de trois enfants, âgée de 33 ans, elle ne savait ni écrire son nom, ni écrire un chiffre avant d’assister à ces cours.

Tilahon rayonne alors que son professeur, Chen Shevelov (l’épouse de Gul et active au sein de l’organisation ERETZ), montre à la classe une feuille de présence que Tilahon a remplie pour son patron à l’hôpital.

« C’est étonnant de voir le sérieux affiché par ces étudiants et la manière dont ils apprennent les choses, en particulier si on considère que certains immigrants éthiopiens ne savaient même pas comment tenir correctement un stylo ou écrire leur numéro de téléphone avant cela », dit Shevelov.

Une situation gagnant-gagnant

Pendant les deux premières années, Gul est parvenu à faire fonctionner l’organisation sans budget. Lui, Shevelov et d’autres ont dirigé ERETZ en plus de leurs emplois à plein-temps au sein de l’université ou en entreprise.

Les élèves de premier cycle n’ont reçu aucune indemnisation pour leur temps d’enseignement et les agents d’entretien étudiants ont sacrifié leurs pauses déjeuners ou leurs moments de loisir pour suivre les cours.

‘Si nous investissons dans nos employés, ils nous donneront plus et feront mieux leur travail’

Tout a changé lorsque Gul a approché le docteur Yitzhak Berlovich, directeur général du Centre medical Wolfson, qui a offert de payer pour organiser les cours d’hébreu d’ERETZ dans son établissement.

Au lieu de donner les cours hors des horaires de travail comme c’était le cas dans d’autres lieux, ils ont été introduits dans le temps de travail officiel des agents qui, de surcroît, sont rémunérés pour le temps passé en classe.

De plus, les trois étudiants de premier cycle qui aident Shevelov à donner son cours reçoivent une rétribution.

« Nous avons reconnu que nous avions un problème. Nos employés ne possèdent pas les compétences basiques en alphabétisation et en maths et nous sommes en mesure d’améliorer leur vie et leur intégration au sein de la société en les aidant à acquérir ces compétences », dit Berlovich.

Le directeur considère que cet accord est gagnant-gagnant.

« Si nous investissons dans nos employés, ils nous donneront plus et feront mieux leur travail », estime Berlovich.

Le professeur bénévole Julia Aharon (à droite), étudiante à l'Institut de technologie, regarde l'une de ses élèves, un agent d'entretien du Centre médical Wolfson, écrire sur le tableau lors d'un cours d'hébreu de l'organisation ERETZ en janvier 2017 (Crédit : (Renee Ghert-Zand/TOI)
Le professeur bénévole Julia Aharon (à droite), étudiante à l’Institut de technologie, regarde l’une de ses élèves, un agent d’entretien du Centre médical Wolfson, écrire sur le tableau lors d’un cours d’hébreu de l’organisation ERETZ en janvier 2017 (Crédit : (Renee Ghert-Zand/TOI)

Berlovich indique qu’il va donner la priorité à l’ouverture de davantage de classes ERETZ au sein de son institution.

Le tout premier cursus avait été pris d’assaut : 50 employés des services de nettoyage et de blanchisserie s’étaient présentés pour seulement 18 places disponibles.

Le directeur continuera à envisager de nouvelles pistes budgétaires pour faciliter l’expansion des cours.

‘Le tout premier cursus avait été pris d’assaut : 50 employés des services de nettoyage et de blanchisserie s’étaient présentés pour seulement 18 places disponibles’

« Nous n’avons jamais eu une ligne budgétaire pour cela. J’ai simplement alloué des fonds destinés à l’origine au développement professionnel pour les personnels hospitaliers », dit-il.

« J’ai confiance dans le fait que les médecins et les infirmières trouveront une autre façon de mener à bien leur formation continue », ajoute-t-il.

Et ce financement, avec un peu de chance, attirera de nouveaux étudiants intéressés à l’idée de gagner de l’argent supplémentaire en donnant des cours.

Mais pour certains, comme c’est le cas de Julia Aharon, 23 ans, cela ne sera jamais une histoire d’argent.

Etudiante en première année de sciences informatiques à l’Institut de Technologie de Holon, fille d’immigrants venus de l’ex-Union soviétique, elle a décidé d’assister Shevelov dans la classe de Wolfson même si elle a appris qu’elle n’était pas éligible à une rétribution financière.

« J’ai eu le sentiment que je pourrais beaucoup donner et faire une vraie différence. Il y a des gens ici qui ont beaucoup de potentiel », dit-elle.

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