Une victime de l’agression antisémite à Créteil en 2014 se confie
"Ce genre de choses-là ça ne disparaît pas," affirme Jonathan, 24 ans, au micro d'Europe 1 ; le procès s'ouvre mardi ; verdict attendu le 6 juillet

« Il y a eu beaucoup de violence ». Si les faits s’enfoncent peu à peu dans le passé, le traumatisme reste là, pour Jonathan, victime d’une violente agression antisémite il y a quatre ans.
L’affaire, très médiatisée à l’époque, remonte à décembre 2014. Laurine et Jonathan, 19 et 21 ans, se trouvent dans l’appartement des parents du jeune homme. Peu après midi, on sonne à la porte et Laurine ouvre, croyant reconnaître un cousin de son compagnon. Surgissent trois hommes, cagoulés et gantés, dont deux munis d’armes de poing.
Elle et son compagnon sont maîtrisés, maintenus sur le canapé du salon. Deux agresseurs fouillent l’appartement, un autre appuie son arme sur le front de Jonathan. Nerveux, il l’invective : « Me prends pas pour un con », lui lance-t-il quand Jonathan assure qu’il n’y a pas d’argent liquide caché dans l’appartement. « Les Juifs, ça ne met pas d’argent à la banque ».
« Ce genre de choses-là ça ne disparaît pas, » raconte Jonathan à Europe 1.
« Encore aujourd’hui, ça me fait encore trembler quand j’en parle (…). Une agression comme ça, ça vous détruit puisque ça chamboule toute votre vie, votre couple… Des fois, vous avez juste envie de vous isoler, vous avez des idées assez noires qui vous traversent l’esprit, ce genre de choses-là, ça ne disparaît pas ».
Il détaille les faits : « J’arrive, je trouve la porte grande ouverte, ma copine qui a été projetée par terre… Je vois trois hommes cagoulés, gantés, habillés de noir, qui pointent leurs armes vers moi. Ils nous ont tout de suite dit ‘si jamais vous criez, on vous tue' », se souvient-il. « Il y a eu beaucoup de violence, des armes dans la bouche, sur le front… Et le viol de ma compagne. »

« Ils ont repéré l’appartement grâce à la mezouzah, » explique la victime. « Très vite, on s’est aperçus qu’en plus de chercher de l’argent, des bijoux ou autres, ils ont commencé à décrocher les cadres religieux. Ils m’ont dit ‘on sait que ton père porte un rond sur la tête’, en faisant référence à la kippa, ‘on sait qu’il a telle voiture, on sait que le samedi il va faire sa prière, on est au courant, et on sait que les Juifs ont de l’argent’ « .
Après une heure de fouille infructueuse, l’un des agresseurs demande sa carte bleue et son code à Jonathan en menaçant de « prendre sa copine » s’il n’obtempère pas. Lui et sa compagne sont ligotés avec de l’adhésif, qu’on leur plaque aussi sur la bouche.
Un des agresseurs se retrouve seul avec la jeune femme dans une chambre. Il la force à déplier ses jambes et lui impose des caresses sur la poitrine et une pénétration digitale.
Les agresseurs finissent par quitter les lieux avec près de 400 euros retirés au distributeur et des biens trouvés dans l’appartement, dont des bijoux et des appareils électroniques.

Un suspect en fuite
Deux d’entre eux, 19 et 22 ans à l’époque et originaires du département, seront rapidement interpellés. Le troisième, toujours en fuite, fait l’objet d’un mandat d’arrêt. Deux autres complices présumés seront jugés en même temps qu’eux.
Tous nient avoir ciblé leurs victimes en raison de leur judéité présumée et attribuent les propos antisémites à l’accusé en fuite. Celui qui est renvoyé pour le viol de la jeune femme nie également les faits.
Leur mise en examen les mettait notamment en cause pour « violences en raison de l’appartenance religieuse » mais la juge d’instruction avait abandonné le caractère antisémite au terme de son enquête, avant de finalement la rétablir après appel du parquet.
Des « revirements successifs » qui « démontrent la fragilité » d’un dossier « construit médiatiquement » et « instrumentalisé politiquement », avait dénoncé Me Marie Dosé, qui défend l’un des accusés.
« Ce crime n’est pas compréhensible sans la dimension antisémite », estime de son côté Patrick Klugman, l’un des avocats des victimes.
« On est dans un immeuble quelconque, d’une banlieue peu réputée pour sa bourgeoisie, chez une famille peu fortunée. On part d’un préjugé juif = argent », dit-il, parlant d’une affaire symptomatique de « l’antisémitisme d’aujourd’hui ».

Dans un contexte de forte hausse des actes et menaces antisémites, l’agression avait provoqué une vive émotion dans le pays et la communauté juive, et avait été dénoncée par le président François Hollande comme symbole du « pire » et du « mal » qui traversent la société française.
Il ne s’agit pas d’un « simple fait divers », avait déclaré le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, dans un discours à Créteil, quelques jours après les faits.
« Derrière ce crime, il y a un mal qui ronge la République et que nous devons combattre à tout prix », avait-il dit, annonçant que le gouvernement ferait de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme une « cause nationale ».
Le verdict est attendu le 6 juillet.