Aux US, des professionnels juifs de santé, ostracisés depuis le 7 octobre
Les professionnels juifs de la médecine disent évoluer dans un climat hostile depuis le début de la guerre à Gaza ; l'AJMA cherche à leur fournir des ressources et un soutien
NEW YORK — La docteure Shira Doron, cheffe du service de prévention des infections au sein du système de soins de santé Tufts Medicine, dit qu’au cours de ses 23 années de pratique, elle n’avait jamais réellement pensé à la question de sa judéité lorsqu’elle rencontrait ses patients, qu’elle prescrivait des examens ou qu’elle remplissait des dossiers.
« La plupart d’entre nous ne portons pas notre judéité sur le visage. Elle ne vient pas au travail avec nous. Mais tout a changé après le 7 octobre », soupire Doron.
Après le massacre commis par le Hamas sur le sol israélien le 7 octobre – les terroristes ont massacré près de 1 200 personnes et kidnappé 251 personnes prises en otage à Gaza –, Doron a pensé qu’elle recevrait des marques de soutien. Mais elle ne s’est heurtée qu’à l’indifférence ou pire, à l’obligation de se justifier.
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Elle a trouvé une écoute attentive et un soulagement au sein de l’American Jewish Medical Association (AJMA), une organisation à but non-lucratif apolitique dont la devise est : « La médecine exempte de haine. »
C’est la docteure Yael Halaas, chirurgienne plastique spécialisée dans la réparation du visage, qui a lancé l’AJMA, d’abord sous la forme d’un groupe de messagerie WhatsApp réunissant professionnels juifs et non-juifs – un groupe qui a initialement eu pour objectif d’être une source de réconfort et de créer un lien après les atrocités commises par le groupe terroriste. Quand le nombre de participants, dans la messagerie, a dépassé le millier en moins d’un mois, la créatrice du groupe a pris conscience du fait qu’une organisation plus permanente devenait nécessaire.
« C’est profondément troublant de voir l’antisémitisme relever la tête dans le secteur de la médecine et il n’y a pas eu de voix permettant de créer l’union », déclare Yael Halaas, devenue la présidente de l’AJMA. Il y a une association médicale catholique ; il y a une association de médecins américains d’origine palestinienne, il y a une association de médecins américains d’origine syrienne mais il n’y avait pas d’association de médecins juifs. »
« J’ai eu le sentiment qu’il était important qu’il y ait une organisation qui vienne célébrer les contributions apportées par les professionnels juifs de santé et qui vienne aussi combattre l’antisémitisme », ajoute-t-elle.
Seule organisation, dans tous les États-Unis, à représenter les étudiants en médecine, les praticiens et autres professionnels juifs du secteur de la santé, l’AJMA veut prendre la défense d’Israël, faire la promotion des valeurs et de l’éthique juives dans la médecine, mettre en place des programmes de lutte contre l’antisémitisme qui seront adaptés au secteur et, si cela s’avère nécessaire, assumer une fonction de conseil auprès du Congrès. L’AJMA est aussi l’un des nombreux sous-groupes juifs à avoir vu le jour dans le sillage du 7 octobre – avec notamment de nouvelles associations d’avocats ou d’anciens élèves juifs.
Espérant donner une voix aux professionnels juifs de son secteur, l’AJMA a aussi pour objectif de « rétablir l’humanité » dans une communauté médicale où le sentiment anti-Israël est en forte recrudescence – un sentiment qui franchit souvent allègrement la frontière avec l’antisémitisme, selon de nombreux observateurs. Il y a eu notamment des publications, sur les réseaux sociaux, disant qu’un sioniste n’avait pas sa place dans la médecine ; des doutes exprimés sur les violences sexuelles survenues le 7 octobre et probablement après, à un moment où des otages restent en captivité. Il y a eu aussi des groupes de travail du secteur qui ont explicitement accusé Israël de commettre un génocide médical.
Par exemple, le 10 mai, un événement virtuel avait lieu avec la faculté de médecine de l’université Cornell, à New York, qui était intitulé « Séances scientifiques : le génocide médical à Gaza ». Cette discussion de panel a été organisée par l’Association des étudiants musulmans de Weill et par l’Association nationale des étudiants en médecine.
Within Our Lifetime, une organisation anti-Israël qui prône la violence à l’encontre d’Israël et qui appelle à l’abolition du sionisme, a organisé des manifestations fréquentes avec le groupe Healthcare Workers for Palestine, qui réunit des employés du secteur de la santé pro-palestiniens. Au mois de janvier, les deux mouvements ont pris pour cible le Memorial Sloan Kettering Cancer Center de Manhattan, un rassemblement qui a été l’occasion, pour les malades hospitalisés au sein de l’institution, de voir les protestataires crier « Honte ! » depuis les fenêtres de leurs chambres.
De plus, au mois de décembre, une organisation appelée Doctors Against Genocide a tenté d’organiser une manifestation anti-Israël aux abords du Musée de commémoration de la Shoah américain de Washington. Décrivant leur initiative comme « une action urgente », le prospectus mis en ligne par le groupe implorait les médecins de tous les États-Unis à aider à « arrêter le génocide en cours à Gaza ».
Le mouvement a renoncé à son événement après le tollé qu’il a suscité et a émis un communiqué où il affirmait qu’il avait voulu, en réalité, organiser une visite au musée dans le but d’éduquer et de sensibiliser la communauté médicale.
Le docteur Nir Hoftman, anesthésiste à l’UCLA et membre de l’AJMA, indique au Times of Israel qu’il a constaté un changement dans son atmosphère de travail depuis le 7 octobre, un changement qui le met dorénavant très mal à l’aise.
« Au cours de mes vingt ans et plus de carrière, j’ai pris en charge plusieurs milliers de patients – des acteurs célèbres, des athlètes, des politiciens et des hommes d’affaires qui ont mis leur vie entre mes mains, qui ont accepté de me faire confiance au moment où c’était le plus difficile pour eux », explique Hoftman. « À l’UCLA, j’étais un médecin, un scientifique et un professeur respecté – jusqu’au 7 octobre 2023. Aujourd’hui, les étudiants s’en prennent à moi sur les réseaux sociaux et je me fais physiquement agresser par les étudiants de premier cycle sur le campus. Pourquoi ? Parce que je suis Juif et que je suis sioniste. »
« C’est quelque chose de malaisant, c’est le moins qu’on puisse dire », dit Yael Halaas, qui est diplômée de l’université de Columbia et de la faculté de médecine Weill Cornell. « Nous ne voulons pas que les patients puissent penser qu’ils obtiendront moins d’un fournisseur de soins de santé en raison de leurs convictions. Nous ne voulons pas que les étudiants et les internes puissent exprimer ouvertement leur haine à l’encontre d’un groupe minoritaire, quel qu’il soit. C’est l’Allemagne nazie encore et encore. »
Dans l’Allemagne des années 1930, un nombre disproportionnellement élevé de médecins et d’infirmiers ont rejoint le parti nazi en comparaison avec la population générale – et ils ont été parmi les premiers à le faire, avec plus de la moitié de tous les médecins allemands qui ont adhéré au parti en 1942. Aux États-Unis, à la même époque, la majorité des facultés de médecine ont mis en place des quotas limitant le nombre d’étudiants juifs autorisés à s’inscrire, des quotas qui sont restés en place jusque dans les années 1970.
Alors que l’antisémitisme continue à se renforcer dans le secteur des soins de santé – comme lors d’un débat qui a eu lieu à la faculté de médecine de l’université George Washington, au mois de décembre, où les intervenants ont justifié les atrocités du Hamas tout en omettant de parler des otages israéliens et américains qui se trouvaient encore en captivité – Doron déclare qu’elle continuera à rechercher du soutien auprès de l’AJMA.
« Je me sens si seule en ce moment, l’antisémitisme me pèse tellement… Je le vois s’exprimer tous les jours et en tant que Juive, je ne peux pas m’offrir le luxe de détourner le regard. L’AJMA est le seul moyen qui nous aide à tenir le coup », explique-t-elle.
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