Venise : A l’avenir, le Musée juif ramènera ses visiteurs au 16e siècle
Le projet de dix millions de dollars, financé par la communauté juive de la ville, injectera une nouvelle vie au complexe qui comprendra la réplique de la vie dans le ghetto
MANTUA, Italie — Imaginez que vous faites un voyage à travers le temps et que vous vous immergez dans le ghetto juif de Venise, au 16e siècle. Vous observerez alors le monde à travers le regard des Juifs vivant à l’intérieur des bâtiments qui surplombaient les ruelles et les places de la ville.
Les logements sont surchargés ; les plafonds s’élèvent à moins d’un mètre 15 de haut. Il fait froid l’hiver et chaud l’été dans les bâtisses, qui sont dépourvues de fenêtres, ne laissant presque pas entrer la lumière. En raison de la médiocrité des conditions d’hygiène, l’odeur, dans les pièces, est forte et difficile à supporter. Les Juifs sont, dans les faits, placés dans l’obligation de vivre une vie marquée par la misère.
Visiter ces lieux sera bientôt possible grâce à un projet de développement initié par le Musée juif de la communauté juive de Venise, qui se situe à Campo del Ghetto Nuovo, la place qui se trouvait alors au cœur du ghetto. Les visiteurs pénétreront dans un appartement installé sous la Synagogue allemande historique et qui sera reconstruit sur la base des modèles des logements juifs, tels qu’ils se présentaient au 16e siècle.
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« Les touristes pourront se rendre compte de combien la vie était difficile pour les Juifs à cette époque-là », dit David Landau, historien des arts israélien et responsable du projet. « Le ghetto était une prison, mais il était aussi une protection – tant que les résidents restaient à l’intérieur, personne ne pouvait leur faire de mal ».
Le musée juif est un complexe architectural qui intègre certaines des synagogues et demeures juives les plus importantes datant du début de la Renaissance. Il inclut les plus vieilles synagogues de Venise – la Synagogue allemande, construite en 1528, et la Synagogue Canton, édifiée en 1532.
Les synagogues Levantine et Espagnole, qui ont aussi été construites au milieu du 16e siècle, sont situées à l’extérieur du Campo del Ghetto Nuovo, ou « nouveau ghetto » – un terme par ailleurs inapproprié dans la mesure où le Camp del Ghetto Nuovo est, en réalité, plus ancien que le Ghetto Vecchio ou « vieux ghetto ».
« Les anciens résidents quittaient leurs logement, et, en empruntant les passages intérieurs, ils grimpaient vers les synagogues – bien plus élevées, plus ventilées et plus éclairées que ne l’étaient leurs habitations », déclare Landau.
« Et la possibilité de trouver un confort dans la prière renforçait leur foi et leur sens d’appartenance à la communauté », explique-t-il.
Le projet de rénovation du musée avait déjà commencé il y a cinq ans.
« Cette exposition est unique au monde », note la directrice du musée, Marcella Ansaldi. Ce dernier a été fondé en 1954, ajoute-t-elle, pour témoigner de l’héritage laissé par les survivants de la Shoah et pour préserver la culture juive.
« Nous avons reconnu la nécessité de réorganiser et de moderniser le musée, qui est visité par 90 000 personnes par an », ajoute-t-elle.
Actuellement, certaines fenêtres de la structure sont scellées pour des raisons de sécurité – ce qui empêche la lumière naturelle d’entrer dans le bâtiment. L’éclairage est artificiel. L’objectif est de rouvrir les fenêtres faisant face au ghetto pour relier les visiteurs à ce secteur important de la ville – comme c’était le cas de la bâtisse, il y a 500 ans.
« Il y aura plusieurs endroits d’où le Campo del Ghetto Nuovo, où la communauté ashkénaze s’était installée, sera visible, » dit Ansaldi. « Le parcours permettra aux visiteurs de se rendre dans les trois synagogues qui font partie du musée par des couloirs et des escaliers intérieurs, sans sortir dans la rue ».
Le parcours permettra aux visiteurs de se rendre dans les trois synagogues qui font partie du musée par des couloirs et des escaliers intérieurs, sans sortir dans la rue
La synagogue allemande et la synagogue Canton sont d’ores et déjà structurellement liées au Musée juif. La synagogue italienne n’est pas accessible actuellement parce qu’elle se situe à l’intérieur d’une maison mais, grâce au projet de redéveloppement, elle intégrera une nouvelle fois l’exposition permanente proposée par le musée. Le musée a également fait l’acquisition d’un appartement, au rez-de-chaussée de l’immeuble où se trouve la Synagogue allemande, et qui accueillera dorénavant une librairie et une cafétéria.
L’accès aux archives et à la bibliothèque – à l’abri de l’assaut des eaux, jusqu’à 2,2 mètres de hauteur – sera gratuit pour les universitaires. Des événements et des réunions seront organisés dans certains espaces supplémentaires. Le rez-de-chaussée sera structuré pour garantir la préservation des taux d’humidité et de température nécessaires à la conservation des volumes historiques.
Lorsque les rénovations seront terminées, plus de 4 000 livres et manuscrits, propriétés de la communauté juive, seront alors mis à la disposition du public. L’objectif est de recréer la relation ancienne entre les bâtiments présents au sein du complexe du musée – qui avaient, autrefois, des fonctions essentielles – avec la place du ghetto et avec la ville de manière plus large.
Le musée contient les trois synagogues, leurs ameublements et décorations du 16e siècle et leurs rénovations effectuées au 18e siècle, des objets liturgiques en argent datant du 17e siècle et tout un trésor de livres anciens, avec une section riche qui contient des textes imprimés et des manuscrits écrits entre l’an 1400 et l’an 1800.
Il y a aussi des textiles et des artefacts fabriqués entre l’an 1300 et 1700. Les « strazzaria » (chiffons) étaient une industrie très répandue parmi les Juifs de la république de Venise. L’un des secteurs économiques les plus développés, dans le ghetto, était l’achat de tissus déjà utilisés, et la production et la vente de vêtements.
« Nous voulons renverser le temps », déclare Ansaldi. « Nous allons raconter l’histoire du ghetto en partant de l’ère contemporaine et en remontant au 16e siècle ».
« Le projet de construction, qui débutera au mois d’octobre et qui s’étendra sur trois ans, est le plus important entrepris à Venise après l’urgence du coronavirus », ajoute-t-elle. « C’est un signe de renaissance après les inondations de l’année dernière et la récente pandémie. Le musée restera ouvert pendant les travaux ».
Le Musée juif est le cœur historique et culturel du secteur.
« C’est une prestigieuse institution », estime Davide De Vettor Aboaf, l’un des quelques Juifs seulement qui vivent encore dans le ghetto et employé par la communauté juive. « Grâce à sa présence, nous sommes également connus à l’étranger. Et très certainement, cette initiative est bonne », s’exclame-t-il.
L’augmentation des prix de l’immobilier a amené la majorité des 500 Juifs qui vivent aujourd’hui à Venise à aller s’installer ailleurs, mais le quartier du ghetto accueille encore la plus grande partie des institutions juives, notamment les écoles, et reste un centre de vie juive.
Ce projet de redéveloppement, conçu par le studio APML à Venise, a été approuvé par la municipalité et par la commission archéologique de la ville. Les restaurations entières seront auto-financées par la communauté juive et elles coûteront neuf millions d’euros. Six millions d’euros ont été collectés, jusqu’à présent, par le biais d’une campagne de financement lancée par Landau.
J’ai demandé de l’argent dans le monde entier
« J’ai demandé de l’argent dans le monde entier », raconte Landau. « Aujourd’hui, nous sommes à 60% du montant total nécessaire et je conserve l’espoir que nous trouverons encore davantage de fonds »
Landau dit que des philanthropes et des organisations juives ont apporté une forte contribution à la campagne.
« Ronald Lauder, homme d’affaires et président du Congrès juif mondial, a fait un don personnel de deux millions de dollars et la Fondation Leon Levy nous a accordé plus d’un million de dollars », poursuit Landau.
Parmi les bienfaiteurs américains et européens participant au projet, la célèbre famille Rothschild, l’organisation du Fonds Venise en péril et l’organisation à but non-lucratif américaine Save Venice.
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