Touché mais pas coulé, le quartier juif de Venise s’estime heureux après la crue
Le déluge record de novembre a causé des dégâts estimés à un milliard d'euros dans toute la ville, mais l'enclave historique s'en est relativement bien tirée
VENISE — Par un samedi matin ensoleillé mais glacial de la fin décembre, une mouette se pose à quai et fouille pour trouver de la nourriture parmi les biens ménagers endommagés et autres débris accumulés le long des ruelles du quartier juif de Venise.
Les séquelles de l’inondation record du 12 novembre sont encore visibles. Un certain nombre d’appareils abandonnés sont entassés le long des rues latérales, probablement en raison des dégâts irréparables causés par l’eau qui les destinent à la décharge.
Un peu plus loin, dans le Campo del Ghetto Nuovo, le centre religieux et commerçant du quartier, l’atmosphère est sereine. Le samedi marque le Shabbat, le jour de repos, et la communauté juive s’abstient de travailler. Ce matin-là, c’est le Shabbat de Hanoukka, la fête des lumières, et une grande ménorah, ou candélabre, se dresse au centre de la place.
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Le Campo del Ghetto Nuovo abrite plusieurs synagogues, une chambre d’hôtes casher, le Musée Juif, une bibliothèque, et plusieurs magasins et hôtels, ainsi que la garnison militaire et policière.
Ici, des Juifs du monde entier, souvent invités par la communauté hassidique Habad de Venise, se réunissent pour prier et vivre le Shabbat dans l’une des villes les plus fascinantes du monde.
Le quartier accueille également des résidents, des commerçants et des hôteliers qui ne sont pas juifs et qui travaillent le samedi. Certains d’entre eux n’ont rouvert leurs portes que récemment en raison des dégâts causés par l’acqua alta, ou haute mer, un phénomène propre à Venise.
« Différentes religions et cultures coexistent dans le quartier, mais je crois qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui a en quelque sorte protégé les maisons et les magasins de cette partie de la ville contre l’inondation, limitant les dégâts par rapport à d’autres quartiers », estime Fabio Penazzo, un chrétien qui se décrit comme non pratiquant et qui gère l’hôtel juif Locanda del Ghetto.
Le ghetto sur la colline
La survie du ghetto est l’une des rares nouvelles positives pour Venise après le déluge de novembre ; au cours de ses 500 ans d’existence, le ghetto a été largement épargné par les marées hautes en raison de sa situation sur l’une des zones les plus élevées de la lagune. L’expérience a également appris aux Vénitiens à se préparer à faire face à de telles catastrophes naturelles rapidement et efficacement en recourant à des moyens tels que des réservoirs de confinement, des pompes hydrauliques et des cloisons.
Bien qu’il s’agisse du jour de repos, les locaux répondent poliment aux questions du Times of Israel.
« L’eau s’est infiltrée au rez-de-chaussée de certains magasins, mais la plupart des bâtiments ont été épargnés par la crue », explique un commerçant juif.
Une poignée de familles et quelques entrepreneurs aux racines juives résident encore dans le ghetto, mais la plupart des 450 membres de la communauté juive vivent en dehors. Néanmoins, ceux échangeant avec le Times of Israel en ce samedi matin précisent que la communauté dans son ensemble est très soudée.
« La plupart de nos coreligionnaires vivent dans les autres quartiers de Venise et de Mestre. La crue a sérieusement endommagé la maison d’une famille vivant en dehors du ghetto », commente Paolo Navarro Dina, l’un des dirigeants de la communauté juive.
Selon lui, le ghetto est un quartier populaire, très recherché en raison de sa situation centrale. « On ne ressent pas la désertification qui progresse dans d’autres quartiers de la ville », explique-t-il.
L’eau à l’intérieur du ghetto a atteint un niveau exceptionnel en novembre, se souvient Navarro Dina. Le Campo del Ghetto Nuovo s’est retrouvé inondé lorsque la marée a atteint une hauteur record de 187 centimètres le 12 novembre dernier.
« Habituellement, l’eau ne va pas aussi loin », précise-t-il. « Si la marée reste entre 120 et 150 centimètres, nous sommes prêts. Nous avons réalisé que la bibliothèque, située près des synagogues du Campo del Ghetto Nuovo, serait en grand danger si l’eau dépassait une hauteur de 190 centimètres. De nombreux livres précieux et anciens seraient endommagés ».
Le Lido, une île-barrière de la lagune de Venise, abrite deux cimetières juifs, l’un ancien et l’autre moderne. Des vents de plus de 100 kilomètres à l’heure ont arraché des branches d’arbre, lesquelles ont ensuite endommagé certaines des pierres tombales.
Selon Paolo Navarro Dina, l’organisation à but non lucratif américaine Save Venice [Sauvez Venise], qui travaille à la conservation du patrimoine culturel de la ville lagunaire, a versé 18 000 euros à la communauté juive pour réparer les dégâts apparus dans les cimetières.
Les affaires tournent au ralenti
Certains commerçants, hôteliers et gondoliers sont moins heureux de voir un journaliste. Le tourisme a souffert, déplorent-ils, à cause des reportages et articles exagérés sur les inondations et leurs conséquences, et de nombreuses réservations pour les mois à venir ont été annulées. Dans les semaines ayant suivi la crue, les annulations ont atteint un pic de 45 %, et le Nouvel An a également connu une forte baisse d’activité.
« Beaucoup d’étrangers pensent que Venise est toujours inondée. En réalité, la crue est un phénomène ordinaire qui va et vient – c’est un élément familier de la vie des Vénitiens », explique un commerçant local.
Les inondations ont causé des millions d’euros de dégâts à la Cité des Doges, un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, mais le coût a été aggravé par les images de la ville submergée, qui ont poussé de nombreux touristes à renoncer à leurs projets de vacances.
Le rabbin Ramy Banin dirige la communauté Habad de Venise, une secte hassidique connue pour son hospitalité et son rayonnement religieux, qui gère également un restaurant casher très populaire.
« Après le 12 novembre, la ville a été désertée pendant quelques semaines », relate Ramy Banin. « Nous accueillons des Juifs du monde entier, mais de nombreux touristes ont renoncé ».
Selon Michael Calimani, secrétaire général de la communauté juive, « la crue n’a pas atteint les synagogues et la bibliothèque, mais le musée juif a subi des dommages au rez-de-chaussée, notamment dans la librairie où une quantité considérable d’objets ont été submergés ».
Dans la maison de retraite de la communauté, qui abrite également le Giardino dei Melograni, la chambre d’hôtes casher, le rez-de-chaussée a été complètement inondé.
« Nous sommes encore en train de calculer les dégâts et n’avons pas de chiffres précis », indique Michael Calimani. « D’après une première estimation, ils pourraient s’élever à plus de 60 000 euros ».
La municipalité vénitienne a fait savoir au Times of Israel qu’il était trop tôt pour estimer le montant total des dommages causés aux bâtisses privées du ghetto, car on est encore loin de la date limite du 30 janvier pour soumettre les demandes d’indemnisation. [NB : cet article a été rédigé fin décembre 2019]
Jusqu’à présent, dans les quartiers de Cannaregio – où se trouve le ghetto – de San Marco et de Castello, environ 2 800 demandes ont été déposées pour un montant total de 41 millions d’euros. Les dommages causés aux musées, aux infrastructures et au système de transport de la ville s’élèvent à 354 millions d’euros, et le total des dommages causés à la ville oscille autour du milliard d’euros.
Le gouvernement tarde à renflouer la ville inondée
L’artiste d’origine israélienne Allon Baker, qui dirige avec sa femme Michal Meron le Studio in Venice, une galerie d’art du ghetto, s’en prend à la classe politique avec une acerbité typique du Moyen-Orient.
« J’aimerais que ceux qui ont accepté des pots-de-vin pour la construction du Mose viennent nettoyer et sécher l’eau de mon atelier », dénonce-t-il auprès du Times of Israel.
L’artiste faisait référence à une enquête portant sur des soupçons de corruption autour d’un projet d’ingénierie d’envergure – et encore incomplet – qui protégerait la ville et la lagune contre les marées hautes.
Heureusement, si l’eau est entrée dans la galerie d’art d’Allon Baker, elle n’a pas atteint la splendide Torah illustrée et rédigée en hébreu et en anglais par sa femme.
Alvise Ceccato dirige Antica Adelaide, un restaurant de Cannaregio qui propose des plats typiquement vénitiens et, sur demande, des spécialités casher.
« L’inondation a causé de sérieux dégâts », confirme-t-il. « Si l’eau stagnante n’est pas séchée immédiatement, elle pénètre et déforme le sol, c’est ce qui nous est arrivé. Il faudrait 60 000 euros pour le réparer ».
Lorsqu’on lui pose la question, Alvise Ceccato répond que l’idée de fermer le restaurant lui avait effectivement traversé l’esprit.
« Tout le monde en ville y a pensé », dit-il. « Mais il est difficile de trouver quelqu’un pour reprendre l’affaire. Il faudrait qu’ils aient beaucoup d’argent, et c’est un investissement très exigeant ».
Le gouvernement italien a mis de côté une somme initiale de 20 millions d’euros qui pourrait être ajustée ultérieurement en fonction des demandes faites par les citoyens auprès de la municipalité de Venise. Beaucoup ont qualifié ce montant d’insuffisant. Alors que les hauts dirigeants italiens distribuent des fonds d’urgence pour répondre aux inondations, aux tremblements de terre, aux glissements de terrain et au dégel glaciaire – qui ont tous frappé ce pays vulnérable – la Sérénissime, bien qu’importante, n’est pas la seule ville à demander de l’aide.
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