Vincent Lemire compare l’attaque des bipeurs du Hezbollah au pogrom du 7 octobre
Au micro de RTL, l’auteur d'une bande dessinée sur Jérusalem a par ailleurs comparé Benjamin Netanyahu au dictateur Vladimir Poutine puis au chef terroriste du Hamas ; Sur France Info, il a fait la distinction entre la branche politique et la branche armée du Hezbollah
Invité de l’émission Focus Dimanche sur RTL le 22 septembre, Vincent Lemire, auteur d’une bande dessinée intitulée Histoire de Jérusalem, est revenu sur l’opération des bipeurs, largement attribuée à Israël, qui a frappé les terroristes pro-Iran du Hezbollah le 17 septembre dernier. L’historien a été présenté par Mohamed Bouhafsi, ancien journaliste sportif, qui officie aussi sur France 5 et qui le recevait sur RTL, comme « le plus grand spécialiste du Moyen-Orient ».
« Ce qui est arrivé mardi et mercredi [17 et 18 septembre, au Liban], moi, je le mets en miroir avec le 7 octobre [2023] », a déclaré Vincent Lemire. Il a ainsi mis de facto en parallèle une opération israélienne anti-terroriste inédite avec un pogrom d’une ampleur inédite qui a causé la mort de plus de 1 200 personnes, en majorité des civils, et la prise en otages de 251 autres, dont près d’une centaine se trouvent toujours dans la bande de Gaza aux mains du Hamas et de ses nombreux complices civils de l’enclave.
« C’était sans doute le but de Netanyahu, effacer l’humiliation du 7 octobre ». L’historien affirme donc : « C’est une opération [celle des bipeurs] qui est montée depuis des mois, voire des années. Donc ça dit beaucoup sur la profondeur stratégique des acteurs, de même que le 6 octobre, le Hamas savait ce qui allait se passer le lendemain. » Les coulisses de cette opération inédite contre le Hezbollah n’ont été confirmées par aucune source officielle – Israël ne l’ayant pas revendiquée. De nombreux articles de presse tentent depuis de retracer le fil des événements et de comprendre qui se trouve derrière la société qui a vendu les appareils au mandataire de l’Iran.
L’historien s’est montré ensuite très critique envers Benjamin Netanyahu, accusant le Premier ministre israélien d’avoir créé un nouveau théâtre d’opérations pour se maintenir au pouvoir : « La guerre à Gaza est une impasse stratégique. La guerre de Gaza doit se terminer. Et donc, la bascule que cherche Netanyahu, c’est de passer à une autre guerre avec le Liban. »
Le spécialiste du Proche-Orient évoque ensuite – que très rapidement, en seulement une phrase ici – la véritable raison de cette guerre menée sur le front nord : les près de 60 000 Israéliens contraints de quitter leurs maisons situées près de la frontière du Liban à cause des tirs incessants de roquettes du Hezbollah qui ont commencé au lendemain du pogrom du 7 octobre mené par son allié palestinien du Hamas. Au cours des onze derniers mois, ces Israéliens sont littéralement devenus réfugiés dans leur propre pays – ce qui est le cas aussi de Libanais au sud du pays du Cèdre qui sont, depuis le 8 octobre, majoritairement opposés à l’ouverture de ce « front de soutien » au sud.
Les frappes du Hezbollah ont fait 46 victimes depuis le 8 octobre 2023 en Israël, dont douze enfants et adolescents druzes qui jouaient au football en juillet dernier.
Vincent Lemire va ensuite comparer le chef du gouvernement israélien à Vladimir Poutine. Lorsque le commentateur de RTL lui fait remarquer que Netanyahu a été démocratiquement élu, contrairement au maître du Kremlin qui est un dictateur qui change les lois électorales au gré de ses besoins, l’historien répond : « Netanyahu a le soutien d’une partie de sa population, mais pas de toute la population. Vous l’avez dit, il y a une forte opposition. » L’opposition est en effet une composante de la démocratie, contrairement à la dictature. « Je compare Netanyahu à Trump et à Poutine. C’est-à-dire qu’il faut vraiment se mettre dans l’esprit de gens qui n’ont pas de limites », explique l’historien.
Puis, Lemire met sur le même plan le chef du gouvernement israélien… et le chef du Hamas Yahya Sinwar. « Du point de vue de leurs intérêts propres, Sinwar et Netanyahu sont rationnels, complices et solidaires, ils ont tout intérêt à ce que cette guerre se poursuive, c’est pourquoi le cessez-le-feu est sans arrêt retardé. » Il a également repris cette idée dans une tribune récente pour Le Monde, intitulée « Il faut construire un ‘camp de l’apaisement’ contre la complicité criminelle qui unit Yahya Sinouar et Benyamin Nétanyahou », publiée quelques mois après une autre dans le même journal écrite avec l’avocat français Arié Alimi consacrée à « l’antisémitisme de gauche [qui] connaît une résurgence incontestable et [qui] est instrumentalisé pour décrédibiliser le Nouveau Front populaire ».
La semaine dernière, lors d’une autre interview sur France Info, Vincent Lemire a là salué les efforts de la diplomatie française en faveur d’un cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël. Il estime que l’Iran et le Hezbollah ont un intérêt à la « désescalade », sans évoquer l’attaque inédite iranienne directe sur Israël le 13 avril dernier, suivie d’une nouvelle ce 1er octobre (l’interview en question ici s’est tenue avant cette dernière attaque iranienne). Il a insisté sur le fait que le Hezbollah n’était « pas un mouvement terroriste du point de vue de la communauté internationale » : « C’est un mouvement politique qui a des élus dans le gouvernement libanais, et seule la branche militaire du Hezbollah est considérée comme terroriste par la communauté internationale », dont l’Union européenne, a-t-il affirmé, comme si Israël était préoccupé par un parti politique libanais. « Ce qui n’est pas le cas du Hamas, branche militaire comme politique = terroriste, selon le droit international. »
Il semble à nouveau également minimiser les frappes lancées du Liban par le Hezbollah sur Israël depuis le 8 octobre 2023, qu’il décrit comme « limitées », alors qu’en moyenne 25 roquettes ont été tirées par jour dans ce contexte depuis un an, traumatisant la population du nord d’Israël, sans compter les innombrables attaques plus récentes ces derniers jours. Il évoque en revanche largement les déplacés et les morts libanais.
Il accuse Israël de mener des « opérations de communication » avec les appels des autorités israéliennes aux civils libanais à fuir certaines zones, afin uniquement « d’éviter ou limiter le risque de se faire taxer de crimes de guerre ». Tout en reconnaissant que le Hamas et le Hezbollah stockent des armes et attaquent depuis des zones civiles, il affirme qu’un « État démocratique qui considère qu’il se conforme au droit international n’a pas le droit de frapper des zones civiles même s’il y a des armes dedans ».
Selon la Convention de Genève de 1949, qui a pour but de « fixer des limites à la barbarie de la guerre », « ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques » et « les attaques sans discrimination sont interdites », expression qui comprend notamment des attaques qui ne seraient pas dirigées « contre un objectif militaire déterminé ». Les attaques par bombardement, quels que soient les méthodes ou moyens utilisés, « qui traitent comme un objectif militaire unique un certain nombre d’objectifs militaires nettement espacés et distincts situés dans une ville, un village ou toute autre zone contenant une concentration analogue de personnes civiles ou de biens de caractère civil » sont ainsi interdites, ainsi que « les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ». Selon ces textes, un domicile privé où un ennemi stockerait des armes peut ainsi devenir un « objectif militaire » légitime, et son bombardement n’est pas interdit par la Convention, si celui-ci se limite au lieu ennemi en question et ne touche pas les autres domiciles et infrastructures civiles alentours.
La question du droit à frapper les hôpitaux s’était posée lorsque l’armée israélienne prenait pour cible des hôpitaux de Gaza pris d’assaut par le Hamas. De nouveau, selon la Convention de Genève, « les belligérants ont l’obligation générale de tout faire pour épargner les hôpitaux ». Elle précise : « La protection due aux hôpitaux civils ne pourra cesser que s’il en est fait usage pour commettre, en dehors des devoirs humanitaires, des actes nuisibles à l’ennemi. » Ainsi, les hôpitaux perdent leur protection en droit humanitaire s’ils sont utilisés pour appuyer une offensive militaire. Si tel est le cas, l’article 19 prévoit que la protection due aux hôpitaux ne peut prendre fin « qu’après une sommation fixant, dans tous les cas opportuns, un délai raisonnable et demeurée sans effet ». L’article 8 du Statut de Rome de 1998, qui régit la Cour pénale internationale (CPI), stipule lui notamment qu’il est interdit « de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés ». Mais il précise : « à condition (que ces bâtiments) ne soient pas des objectifs militaires. » Si un acte nuisible est commis depuis un hôpital civil, l’hôpital peut ainsi perdre sa protection spéciale.
Le propos de Vincent Lemire sur le « droit international » qui interdit « de frapper des zones civiles même s’il y a des armes dedans » vient ainsi déformer de façon mensongère des concepts qui ne peuvent être réduits et résumés de façon si simpliste.
Il n’a pas été contredit par les journalistes de France Info, qui n’ont fait que lui poser une liste de questions déjà préparées, sans vraiment entrer dans un débat et sans sembler en maîtriser le sujet.
Enfin, sur le sujet du Liban, il se trompe également en pariant que l’armée israélienne ne ferait pas entrer de troupes terrestres au sud-Liban. Il affirme faussement que le Hezbollah, c’est « 150 ou 200 000 combattants », alors que le Hezbollah lui-même en revendiquait 100 000 en 2021.
L’historien a estimé également qu’il y avait une « intention génocidaire » d’Israël à Gaza. « À partir du moment où il y a ce qu’on appelle une intention génocidaire, c’est-à-dire des responsables politiques ou sécuritaires qui appellent, par exemple, à la déportation massive des habitants de Gaza, comme l’ont fait Ben Gvir, Smotrich, et même, à demi-mots, Netanyahu, il y a une intention génocidaire. Et ‘génocide’ ça ne veut pas dire ‘Shoah’ en droit international ; c’est beaucoup plus large que ça ; c’est une définition très extensive », a-t-il déclaré, jugeant que la justice internationale avait le devoir de s’impliquer. Il ne rappelle pas néanmoins que Ben Gvir et Smotrich n’ont aucun rôle dans la gestion de la guerre.
Se réjouissant du départ de Benjamin Netanyahu à l’ONU à New York fin septembre, Vincent Lemire, espérant des percées diplomatiques, explique que, pendant l’absence du Premier ministre du territoire israélien, « il y a un Premier ministre par intérim qui a été nommé, mais c’est le ministre des Affaires étrangères. Ce n’est même pas Gallant, le ministre de la Défense. Donc, là aussi, il y a eu un signal qui peut rendre un peu optimiste ». Or, Netanyahu n’a jamais nommé Yoav Gallant en cas d’absence du pays, mais toujours Yariv Levin depuis 2022 – en tant que Premier ministre adjoint, qui est aussi ministre de la Justice et non pas ministre des Affaires étrangères comme l’affirme Lemire.
Très présent sur les plateaux de télé et à la radio, Vincent Lemire a dirigé le Centre de recherche français à Jérusalem de 2019 à 2023. Il est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université expérimentale Gustave-Eiffel.
En 2022, Vincent Lemire avait affirmé dans un ouvrage polémique, qu’après la guerre des Six Jours en 1967, Israël avait « planifié » la « destruction » du quartier maghrébin de Jérusalem, établi depuis huit siècles devant le mur Occidental, et tenté de « dissimuler » son geste.