À Antioche, les derniers Juifs de la ville observent la fin d’une ère
Dans cette ville située à la frontière turco-syrienne, la communauté juive est vieille de 2 300 ans - mais après l'exode vers les zones urbaines, ils ne sont plus qu'une dizaine
ANTIOCHE, Turquie (JTA) — Cela fait 23 siècles que les Juifs vivent dans la ville d’Antioche. Et la localité veut que ses visiteurs le sachent.
Un symbole composé d’une étoile de David entremêlée à une croix chrétienne et au croissant islamique semble être devenu le logo de la ville – il a été installé dans toute la localité, en particulier sur les restaurants proposant la cuisine très épicée et prisée dans le sud de la province de Hatay.
« Je suis né à Antioche et je mourrai à Antioche », déclare Selim Cemel, marchand juif de prêt-à-porter dont la boutique est installée dans le fameux Bazar de la ville – un labyrinthe datant de l’époque du caravansérail ottoman avec des magasins encore plus anciens, qui rivalise avec le Grand Bazar d’Istanbul ou avec le Souk arabe de Jérusalem. Tout est proposé à la vente dans ce dédale : textiles, épices et même certains des meilleurs houmous de Turquie.
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L’image de l’étoile de David est tellement présente qu’il est facile d’en déduire que les Juifs forment une partie significative de 200 000 habitants d’Antioche. Ce qui est une conclusion erronée : En réalité, il reste à peine un peu plus d’une dizaine de membres de la communauté.
Le plus jeune membre de la communauté juive locale est aujourd’hui sexagénaire et un grand nombre de Juifs évoquent la possibilité d’aller retrouver leurs enfants partis construire leur vie ailleurs dans le monde.
Comme c’est le cas de nombreuses autres villes turques, Antioche a perdu ses jeunes de toutes confessions et de toutes origines au cours du siècle dernier. Ils sont partis vers les métropoles, à Istanbul ou à Ankara. Aujourd’hui, un Turc sur quatre vit à Istanbul.
Pour les Juifs d’Antioche, l’exode avait commencé dans les années 1970 quand la Turquie avait traversé une période d’instabilité politique particulière. La Turquie s’était retrouvée plongée dans la guerre civile à Chypre pendant la première moitié de la décennie et au cours de la deuxième, un éclatement de violences sectaires entre nationalistes turcs et séparatistes kurdes – qui devait culminer avec un coup d’état militaire, en 1980 – avait balayé le pays.
« Certains sont morts, certains se sont installés à Istanbul, et les jeunes sont partis un par un. C’est ainsi que la population juive s’est dispersée », explique Daoud Cemel, un proche de Selim qui possède, lui aussi, une boutique dans le Bazar. Il vend des serviettes et d’autres textiles.
Daoud vit à Antioche avec son épouse, Olga, une Juive syrienne qui a quitté Damas il y a 25 ans pour s’installer avec lui. Comme de nombreux habitants d’Antioche, une ville plus étroitement associée à la Syrie voisine qu’à la Turquie, le couple parle arabe chez lui.
Leurs enfants – comme de nombreux autres – sont partis depuis longtemps. Avant le dîner du Shabbat, Olga montre avec fierté une photographie de la fête d’anniversaire de sa petite-fille, à Tel Aviv, et la photo de l’un de ses fils qui est devenu médecin en Allemagne.
Daoud a tenté de vivre en Israël et il a même pris des cours à l’Oulpan pour apprendre l’hébreu, mais il a trouvé que la vie, là-bas, était trop différente et qu’il était difficile d’y gagner son pain. Pourtant, lui, Olga et même sa mère de 90 ans, Adile, nourrissent l’espoir de partir en Israël définitivement un jour.
Malgré sa déclaration faite avec fierté au début de notre discussion, Selim explique finalement que lui aussi envisage d’autres options.
« J’ai trois filles. Elles vivent toutes dans différents pays : Une se trouve en Hollande, la deuxième en Amérique et la troisième au Canada », indique-t-il. « Nous réfléchissons à partir depuis longtemps. Nous préparons les bases nécessaires à notre départ ».
Les Juifs ont vécu à Antioche depuis la fondation de la ville par Seleucos Ier, l’un des diadoques – les généraux d’Alexandre le Grand et les dirigeants de l’état qui avait suivi. Toutefois, la ville devait tout d’abord croiser l’Histoire juive par une anecdote qui continue encore à résonner auprès des Juifs du monde entier à ce jour. Pendant l’ère des Séleucides, c’était la base de l’empereur Antioche IV Epiphane qui, aujourd’hui, reste encore le scélérat du récit de Hanoukka.
Le Talmud devait ensuite enregistrer les visites faites par les sages juifs à Antioche, et notamment celle du célèbre rabbin Akiva, et il utilise généralement Antioche comme norme définissant ce qu’est une métropole. La présence juive dans la ville a depuis – et de loin – dépassé Antioche et ses Séleucides, sans même parler des Romains, des Byzantins, des États croisés, des Mameloukes, des Ottomans et de tous les autres empires qui ont pu gouverner la ville au cours des deux derniers millénaires. Et les Juifs restés à Antioche sont, pour leur part, restés très attachés à la tradition juive qu’ils peuvent pratiquer dans une si petite communauté.
Même s’il n’y a pas assez de Juifs pratiquants pour réunir régulièrement un minyan [quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office ou de toute cérémonie (NDT)] tous les Juifs locaux ont la clé de la seule synagogue de la ville et ils y font souvent un arrêt. Dans la mesure où Antioche a été construite dans la ligne droite du nord de Jérusalem, la synagogue est l’une des rares encore ouvertes à avoir été édifiée de telle manière à ce que son arche se trouve non sur son mur oriental, mais sur son mur sud.
Parmi les Juifs de la localité, onze sur quatorze s’abstiennent de manger de la viande non-casher, se nourrissant de poisson et de légumes pendant la plus grande partie de l’année.
« Je ne suis pas très pratiquant », a déclaré au grand rabbin ashkénaze turc Mendy Chitrik, cet été, Azi Cenudioglu, qui affirme que sa famille vit à Antioche depuis l’antiquité. « Mais j’assume ma part. Je prie le matin et je dis les prières du soir, et nous faisons tout ce que nous pouvons ».
Il y a encore seulement quelques décennies, la ville – et la région – étaient très différentes.
Daoud est le fils de l’ancien boucher casher et hazan [chantre à la synagogue] d’Antioche. Il explique que son père se rendait souvent à Alep (une ville qui est aujourd’hui à deux heures de voiture) quand c’était un centre majeur de savoir pour les Juifs. Il y avait là-bas au moins 6 000 membres de la communauté, ainsi que de nombreuses synagogues et écoles religieuses. Il était allé apprendre l’abattage rituel, ainsi que l’hébreu, pour se mettre au service de la communauté juive d’Antioche. A l’époque, Antioche ne faisait pas partie de la Turquie mais du mandat français qui incluait la Syrie et le Liban.
« Il y avait 450 Juifs ici », se souvient Daoud, se rappelant de ses jeunes années. « Pendant les fêtes, c’était impossible de trouver une place où s’asseoir à la synagogue ».
« A l’époque, il y avait le Shabbat, les fêtes, Yom Kippour, Rosh HaShana, toutes ces célébrations étaient respectées », ajoute-t-il. « Il y avait Pourim avec la lecture de la Megilah. On observait toutes les fêtes ».
Aujourd’hui, c’est le commerce plus que la nostalgie qui relie la communauté à la ville.
« Pourquoi est-ce que je reste là, me demandez-vous ? Toutes mes affaires et mon commerce sont ici. A cause du travail que je fais, je reste ici », dit Selim.
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