A Damas et Beyrouth, des habitants partagés quant à une normalisation avec Israël
L'intérêt d'Israël pour la normalisation intervient après que nombre de ses ennemis ont été affaiblis lors des guerres au Liban, à Gaza et en Iran

Dans les rues de Damas et de Beyrouth, l’annonce par Israël de son intérêt pour une normalisation des relations avec ses voisins syrien et libanais suscite des réactions contrastées sur une question sensible.
Lundi, le ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Saar a affirmé que son pays avait intérêt à ajouter la Syrie et le Liban au « cercle de paix et de normalisation », une déclaration qui intervient sur fond de bouleversements régionaux.
Des islamistes sont arrivés au pouvoir en décembre en Syrie, mettant fin à des décennies de règne du clan Assad, et Israël a mené ces derniers mois des frappes d’une puissance inédite contre ses principaux adversaires dans la région, affaiblissant notamment le Hezbollah, groupe terroriste libanais pro-iranien.
Les Etats-Unis, alliés d’Israël, exercent également des pressions en faveur de la paix.
En Syrie, théâtre d’un conflit dévastateur pendant 13 ans, Rania el-Fawakheri estime que son pays n’a « ni les moyens ni la volonté de mener une guerre » contre Israël.
« Normalisation conditionnelle »
« Il n’y a pas de problème à mener des négociations de paix, tant que cela se fait dans le respect de la dignité de la Syrie », indique à l’AFP cette femme au foyer rencontrée dans un café de Damas, se disant en faveur d’une « normalisation conditionnelle », qui ne touche pas aux « droits » des Syriens.
Les nouvelles autorités ont reconnu mener des négociations indirectes avec Israël.
Elles disent vouloir contenir l’escalade, l’armée israélienne ayant mené des centaines de frappes contre les infrastructures militaires syriennes depuis la chute de Bachar al-Assad, et déployé des forces dans la zone tampon démilitarisée du Golan entre les deux pays.
Depuis décembre, le président intérimaire Ahmad al-Chareh assure que la Syrie ne souhaite pas entrer en conflit avec ses voisins.

S’il appelle la communauté internationale à faire pression sur Israël pour qu’il arrête ses opérations militaires, il a rompu avec la rhétorique de Bachar al-Assad, qui considérait notamment Israël comme une « entité usurpatrice ».
Pendant des décennies, les programmes scolaires syriens ont présenté Israël comme un « ennemi » et le conflit avec ce pays y était dépeint comme un affrontement existentiel.
Selon l’avocat Awad al-Hamad, la paix avec Israël ne peut être réalisée sans conditions.
« Toute paix qui rendrait leurs droits aux Syriens serait soutenue par l’ensemble du peuple. Nous voulons récupérer notre terre, une terre occupée », affirme-t-il, faisant référence à la partie du plateau du Golan syrien occupée et annexée par Israël.

M. Saar a lui souligné que ce secteur resterait « partie intégrante » d’Israël dans tout éventuel accord de paix.
« Jusqu’à la fin des temps »
Du temps des Assad, la Syrie a plusieurs fois exigé la restitution complète du Golan en échange de la paix avec Israël.
Israël a pris le contrôle du plateau du Golan pendant la guerre de 1967, puis l’a annexé en 1981, une décision qui n’a pas été reconnue par la plupart des membres de la communauté internationale.
Dans sa déclaration, Saar a déclaré que le plateau du Golan « restera partie intégrante de l’État d’Israël » dans tout accord de paix futur. Environ 50 000 personnes vivent dans le Golan, et il est très improbable qu’Israël accepte un jour de céder une partie quelconque de ce territoire. Sous la première administration Trump, les États-Unis ont officiellement reconnu la souveraineté israélienne sur cette région.
La Syrie et Israël sont techniquement en état de guerre depuis 1948. Sous Assad, la Syrie a demandé à plusieurs reprises la restitution du plateau du Golan en échange de la paix.
Avant les pourparlers indirects actuels, aucune négociation n’avait eu lieu depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, qui a vu l’Iran et ses mandataires terroristes étendre leurs réseaux dans le pays.
L’intérêt d’Israël pour la normalisation intervient après que nombre de ses ennemis ont été affaiblis lors des guerres au Liban, à Gaza et en Iran.
L’émissaire américain pour la Syrie, Tom Barrack, a estimé dimanche que des accords de paix avec Israël étaient nécessaires pour la Syrie et le Liban. Il a rapporté que M. Chareh lui avait confié ne « pas détester Israël » et vouloir « la paix » à la frontière.
Le diplomate américain a également demandé aux responsables libanais de s’engager à désarmer le Hezbollah, ressorti très affaibli de la dernière guerre avec Israël.

Mais les autorités libanaises, qui affirment vouloir le monopole des armes, réclament elles le retrait israélien de cinq positions stratégiques dans le sud du pays.
La guerre entre Israël et le Hezbollah à l’automne dernier a causé la mort de milliers de personnes au Liban, infligé de lourds dégâts à plusieurs régions et aggravé la crise économique.
« La priorité, c’est la sécurité du Liban. Si elle passe par la normalisation (…) alors on peut signer un traité de paix, pour reconstruire notre pays », déclare Naïm Qassir, septuagénaire originaire du Sud, interrogé dans le quartier de Hamra à Beyrouth.
Cet homme âgé de 71 ans estime toutefois que la normalisation « se fait entre gouvernements, pas entre les peuples ».
Dans la même rue, le chauffeur de taxi Ahmad Chams, 46 ans, est lui catégorique : « Même si le monde entier normalise avec Israël, nous, les habitants du Sud, de la Bekaa et de la banlieue sud, ne le ferons jamais », dit-il en référence à des bastions du Hezbollah.
Et d’ajouter : « Nous continuerons à combattre ce pays jusqu’à la fin des temps. »