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À Essaouira, le travail de mémoire commune des Juifs et des musulmans

Nichée dans une ruelle étroite du vieux quartier juif, la Maison de la mémoire d'Essaouira "témoigne d'une période où islam et judaïsme ont eu une proximité"

Andre Azoulay, conseiller du roi marocain, au musée juif "Bayt Dakira" (Maison de la Mémoire), dans la ville côtière marocaine d'Essaouira, le 14 décembre 2019.  (Crédit : FADEL SENNA / AFP)
Andre Azoulay, conseiller du roi marocain, au musée juif "Bayt Dakira" (Maison de la Mémoire), dans la ville côtière marocaine d'Essaouira, le 14 décembre 2019. (Crédit : FADEL SENNA / AFP)

« Salam Lekoulam, Shalom Alaykoum » : cette devise tissant l’arabe et l’hébreu pour saluer le visiteur résume l’esprit de la Maison de la mémoire d’Essaouira, consacrée à la longue « coexistence sereine » des communautés juives et musulmanes dans cette ville du sud du Maroc.

Il faut se perdre dans les dédales de la cité bleue et blanche postée au bord de l’Atlantique pour trouver cette maison aménagée dans l’ancienne demeure d’une famille de commerçants, assez prospères pour la doter d’une petite synagogue décorée de boiseries et de meubles sculptés importés de Grande-Bretagne.

Nichée dans une ruelle étroite du Mellah, le vieux quartier juif d’Essaouira, l’édifice tout juste ouvert « témoigne d’une période où islam et judaïsme ont eu une proximité, une complicité et une intimité exceptionnelles », confie André Azoulay, conseiller du roi Mohammed VI, à l’origine du projet mémoriel de « Bayt Dakira », en partenariat avec le ministère de la Culture.

« On s’est dit : on va faire parler notre patrimoine et protéger ce qui a été l’art du vivre-ensemble », explique cet homme de réseaux lui-même issu de la communauté juive d’Essaouira.

Sa fille Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, s’est déplacée mercredi pour une visite officielle du monarque, en présence d’autres personnalités comme l’humoriste franco-canado-marocain Gad Elmaleh. 

Andre Azoulay, conseiller du roi marocain, au musée juif « Bayt Dakira » (Maison de la Mémoire), dans la ville côtière marocaine d’Essaouira, le 14 décembre 2019. (Crédit : FADEL SENNA / AFP)

« Vieilles pierres »

La Maison réunit des objets offerts par des familles locales et permet de découvrir des destinées hors du commun de Juifs d’Essaouira. Comme celle de Leslie Belisha (1893-1957), tour à tour ministre britannique des Finances, des Transports et de la Guerre. On lui doit les « belisha beacons », ces balises en forme de globes montées sur des poteaux noir et blanc, qu’on trouve encore aux abords des passages piétons de Londres.

Autre sujet de fierté, le « premier Juif élu de l’histoire des Etats-Unis », David Yulee Levy (1810-86) est issu d’une famille de l’ancienne « Mogador » partie aux Etats-Unis au début du XIXe siècle. 

Signe d’une singulière histoire, un panneau liste les conseillers royaux juifs issus d’Essaouira. Le nom d’André Azoulay figure en bas, avec la date de son arrivée au Palais à l’appel d’Hassan II, père de l’actuel roi, en 1991.

L’exposition présente des photographies anciennes, des films d’archives, des enregistrements musicaux, des costumes traditionnels et objets religieux. À l’étage, un centre de recherches doit accueillir des résidences de chercheurs et des travaux sur l’histoire entre islam et judaïsme.

À l’époque du sultan Mohamed III, qui transforma au XVIIIe siècle le petit port en centre diplomatique et commercial, l’ancienne colonie portugaise « était la seule ville en terre d’islam avec une population à majorité juive », rappelle le conseiller royal de 78 ans.

« Ce n’était pas une posture : des siècles d’échange et de rencontres ont témoigné avec force d’une relation judéo-musulmane exaltante, dense, substantielle », assure l’ancien banquier, journaliste de formation. Son but est de faire de l’histoire de sa ville « un symbole de l’art du possible » pour « résister à l’amnésie, à la régression et à l’archaïsme ».

Essaouira a abrité à une époque 37 synagogues, pour la plupart tombées en ruine. Celle de « Bayt Dakira » a été entièrement rénovée. 

« Diplomatie de terrain »

Durant le protectorat français (1912-1956), la cité est tombée dans l’oubli, avant de renaître progressivement à partir du début des années 1990 pour devenir une destination touristique et culturelle phare.

Avec l’association « Essaouira-Mogador » qu’il préside, André Azoulay a remodelé son fief en faisant de « la diplomatie de terrain », tout en maintenant le lien avec l’importante communauté juive marocaine disséminée dans le monde.

Présente au Maroc depuis l’Antiquité, la communauté juive a augmenté au cours des siècles, avec notamment l’arrivée de ceux que les rois catholiques avaient expulsés d’Espagne à partir de 1492.

Dans les années 1940, environ 200 000 Juifs vivaient au Maroc (2,5 % de la population), selon des chiffres rapportés par Yitzhak Gershon dans un article sur les réfugiés juifs du Maroc pendant la Seconde Guerre mondiale publié en 2016 dans la Revue d’histoire de la Shoah. Mais beaucoup sont partis après la fondation d’Israël en 1948 et la communauté compte aujourd’hui environ 3 000 personnes (0,008 %), soit la plus importante d’Afrique du Nord.

Essaouira n’est pas le seul lieu mémoriel dédié à l’héritage judéo-marocain, que le roi Mohammed VI met souvent en exergue, avec différents programmes de réhabilitation de cimetières, de synagogues et de quartiers historiques juifs.

Casablanca abrite depuis 1997 un musée du « judaïsme marocain », le seul de son genre dans le monde arabe. À Fès, la capitale spirituelle, un musée dédiée à la mémoire juive est en cours de construction.

Si le royaume n’entretient officiellement aucune relation avec Israël, des milliers de Juifs d’origine marocaine viennent chaque année – y compris en provenance de l’Etat hébreu – retrouver la terre de leurs ancêtres, célébrer des fêtes religieuses ou effectuer des pèlerinages comme la « hiloula » – un hommage au rabbin Haim Pinto, natif d’Essaouira.

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