A Haïfa, les Israélo-Américains évacués, tiraillés entre leur famille et leur pays
Les circonstances personnelles, les préoccupations sécuritaires et les obligations familiales sont autant de facteurs qui ont poussé ces binationaux à embarquer pour Chypre
Une valise à la main dans le port de Haïfa, Barbara Zwillick songe à ses ancêtres qui ont fui l’Europe pour se rendre dans son pays natal, les États-Unis.
« Des Juifs qui attendent de monter à bord d’un bateau pour l’Amérique en temps de guerre. Comment pourrais-je ne pas penser à eux ? » explique Zwillick, 71 ans, en tirant une bouffée de sa cigarette sur le port.
Zwillick, experte en teinture textile à la retraite, est l’une des dizaines de citoyens américains qui ont embarqué lundi sur un bateau à destination de Chypre, organisé pour eux par l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, suite à l’annulation de nombreux vols au départ d’Israël en raison des combats entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza. Depuis Chypre, les passagers devraient s’envoler pour les États-Unis.
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Le 7 octobre, lors d’un assaut transfrontalier brutal, les terroristes du Hamas ont tué au moins 1 400 Israéliens, dont la grande majorité étaient des civils, y compris de nombreux enfants et femmes, et en ont kidnappé quelque 200 autres.
Israël a déclaré son intention de supprimer le groupe terroriste. Le Hamas parle d’au moins 2 600 morts dans la bande de Gaza à la suite des frappes aériennes.
Au nord d’Israël, le groupe terroriste du Hezbollah, basé au Liban, a déclenché des tirs qui ont tué plusieurs personnes des deux côtés de la frontière, ce qui a conduit à une situation tendue et fait craindre un deuxième front dévastateur.
« J’ai l’impression d’être une réfugiée. Que dis-je ? Je suis une réfugiée », a déclaré Zwillick, qui vit à Yesud HaMaala, un village situé à environ sept kilomètres du Sud-Liban et à 25 kilomètres de la Syrie.
Elle voyageait avec sa petite-fille de 10 ans, qu’elle emmenait chez le père de cette dernière, qui vit à New York. Alana, la maman de la petite fille, est infirmière et travaille à Safed. Elle n’a pas voulu quitter Israël par sens du devoir, mais a voulu assurer la sécurité de sa fille unique.
« Quelqu’un doit emmener ma petite-fille, alors j’y vais », a dit Zwilleck. Sa petite-fille, a-t-elle ajouté, est triste de partir. « C’est vraiment bouleversant pour elle. »
De nombreux passagers partaient le cœur lourd.
« J’ai des sentiments mitigés à ce sujet », a déclaré Ariella Keshet, une thérapeute de 45 ans originaire de Katzrin, une ville du Golan, qui voyage avec son mari et cinq de leurs enfants. Née à Philadelphie, elle a immigré en Israël en 2017 après avoir vécu au Royaume-Uni.
« Je me sens mal à l’aise de partir juste au moment où un malheur peut s’abattre sur quelqu’un de ma communauté et je ne serai même pas là », a-t-elle déclaré. « Du genre, où étais-je ? Vous ne voudriez pas partir si votre maison était en feu, vous voudriez rester, aussi douloureux que cela soit. »
Les Keshet ont décidé de partir dimanche en raison d’une « combinaison de facteurs », a déclaré Ariella. Ils devaient se rendre aux États-Unis cette semaine, mais leur vol a été annulé. Sa belle-fille vit à Tel Aviv sans abri antiatomique et elle a peur de rester, a-t-elle ajouté.
Les passagers se trouvaient sur une rampe qui, en temps normal, accueille les touristes embarquant sur des bateaux de croisière à destination de la Grèce, de Chypre, de la Turquie et d’ailleurs. C’est la également que les passagers débarquent pour découvrir Haïfa, la troisième ville d’Israël, que beaucoup considèrent comme un joyau touristique caché et un modèle de coexistence pacifique entre les musulmans, les chrétiens et les Juifs.
De nombreux passagers sont partis de Jérusalem et de Tel Aviv à l’aube pour être sur place à 8 heures du matin, heure fixée par l’ambassade pour l’embarquement. Autour de la rampe d’embarquement, les familles avaient empilé leurs valises pour permettre à leurs enfants de rattraper leur sommeil interrompu.
Ariella remet en question sa décision de partir alors même qu’elle fait la queue pour entrer dans le port.
« Les soldats risquent leur vie pour protéger les civils. Est-il préférable de rester et de soutenir ce pays ou de partir ? Je ne suis pas un soldat. Mon unique arme est la gentillesse. Je me bats en aidant », explique Keshet, qui a passé la première semaine de la guerre comme bénévole pour aider les soldats et les familles dont les maris avaient été appelés à faire leur service de réserve.
« Mais aujourd’hui, quelle est l’utilité de tout cela ? Je ne sais pas », a-t-elle ajouté.
Heda Amir faisait la queue avec un drapeau israélien qui se trouve dans sa voiture depuis les manifestations antigouvernementales. Elle tenait une boîte de pizza tachée de graisse sur laquelle elle avait écrit « Ramenez-les » au marqueur bleu.
« Je ne vais nulle part, j’envoie juste un message », a déclaré Amir, une résidente de Haïfa qui n’est pas citoyenne américaine. « Je veux que ceux qui partent demandent aux États-Unis de libérer nos otages », a-t-elle ajouté, faisant référence aux Israéliens et aux étrangers enlevés et détenus par le Hamas à Gaza.
Saleh Jabarin, un Arabe israélien de 84 ans qui a quitté Israël en 1962 et vit dans l’Ohio, a décidé de monter à bord du navire d’évacuation parce qu’il craignait de ne pas pouvoir prendre l’avion pour rentrer chez lui comme prévu le 1er novembre. « Je n’ai pas peur et je ne pense pas que le Hezbollah va tirer sur Haïfa, mais j’ai des obligations familiales, alors je pars », a-t-il déclaré.
Jabarin, qui est musulman, a déclaré que les « extrémistes des deux côtés » poussaient à l’escalade, mais qu’il priait Allah pour la paix. Il a ajouté qu’il était « inquiet mais qu’il espérait » que le pire de la violence était passé.
L’embarquement s’est déroulé dans le chaos. De nombreux passagers qui n’avaient pas reçu de confirmation ont été contraints de partir. Des employés portant des gilets rouges avec l’inscription « US Embassy » ont crié à la petite foule que leur rassemblement en plein air était dangereux en termes de sécurité. Les personnes n’ayant pas reçu de confirmation ont été invitées à revenir dans l’après-midi, ils seraient alors autorisés à embarquer s’il restait de la place pour eux.
Jabarin, qui n’avait pas reçu de confirmation, était frustré et a protesté auprès d’un membre du personnel. « Je pensais que vous étiez censés être l’ambassade américaine. Pourquoi ne pouvez-vous pas être plus américains ? » s’est-il emporté.
Zwillick, qui a quitté New York pour s’installer en Israël après le décès de son mari il y a 12 ans, était inquiète pour le sort de sa maison de Yesud Hamaalah en son absence.
« J’espère que je reviendrai rapidement. J’espère que ma maison sera toujours là », a-t-elle déclaré.
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