A Rahat, les Bédouins font le deuil des victimes du 7 octobre à l’abri des regards
21 membres de la communauté ont été tués et six ont été enlevés ; si les familles de certains otages ont lancé des campagnes, eux n'ont pas de représentant sur la scène mondiale - et ils n'en veulent pas
RAHAT — Depuis que quatre membres de leur clan ont été pris en otage par le Hamas, le 7 octobre, les hommes de la famille Ziyadne se retrouvent tous les jours à l’occasion d’une veillée.
Assis en large cercle dans la cour d’Ali, située devant sa maison – Ali est le frère de l’un des captifs et l’oncle des trois autres – les hommes observent une pratique musulmane typique des rituels de deuil.
La maison d’Ali, une structure fabriquée à l’aide d’un assemblage de béton et de métal ondulé, est située à une vingtaine de minutes en voiture de Rahat, la plus grande implantation bédouine en Israël. La route qui y mène est poussiéreuse, n’est pas pavée et traverse le désert du Neguev, bordée par des acacias et des tas de déchets plastique.
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Ali est assis dans le cercle, avec une photo des trois otages de sa famille – son frère Youssef, 53 ans et les fils de ce dernier, Bilal, 18 ans et Hamza, 23 ans. Ils ont été kidnappés par le Hamas dans la matinée de 7 octobre alors qu’ils travaillaient dans les étables du kibboutz Holit, à environ un kilomètre de la bande de Gaza.
La fille de Youssef, Aisha, 17 ans, était également avec eux ce matin-là et elle aussi a été enlevée par les hommes armés du Hamas. La famille a été récemment informée par l’armée israélienne que le statut des quatre manquants était officiellement passé de « portés-disparus » à « kidnappés ».
« Rester dans l’attente, c’est la chose la plus dure qu’il soit possible d’imaginer », explique Ali. « Ne pas connaître le sort qui leur est réservé est un supplice. Notre seul espoir, c’est que les négociations puissent continuer. Des informations ont laissé entendre que le Qatar jouait les intermédiaires et qu’il y avait des avancées ».
« Tout ce que nous voulons, c’est qu’ils nous reviennent sains et saufs », ajoute-t-il.
« Nous appelons tous les peuples du monde, tous les pays du monde à intervenir et à exercer des pressions en faveur de leur libération », continue-t-il.
Malgré l’appel lancé par Ali et les visites répétées, lors des veillées familiales, des journalistes israéliens et étrangers, la communauté bédouine est plutôt restée discrète sur ses portés-disparus. Six Bédouins ont été pris en otage par le Hamas, selon des sources locales, et 21 membres de la communauté ont été tués pendant l’assaut barbare mené par le groupe terroriste sur le sol israélien, le 7 octobre, et lors des tirs de roquette émanant de l’enclave côtière depuis.
« Nous n’avons pas de voix qui nous représente à l’international s’agissant de nos otages », déplore le maire de Rahat, Ata Abu Madighem, lors d’un entretien avec le Times of Israel. « Notre voix, c’est celle de l’État d’Israël ».
Ce manque d’exposition est dû, en partie, à l’absence de leviers d’influence dont bénéficient par ailleurs d’autres otages israéliens. Par exemple, les Israéliens qui ont été enlevés le 7 octobre et qui ont la double nationalité peuvent compter sur les pressions exercées par les ministères des Affaires étrangères des pays dont ils ont aussi la citoyenneté.
Mais ce silence entre partiellement également dans le cadre de caractéristiques d’ordre culturel, explique Jamal Alkirnawi, psychologue et activiste social à Rahat – avec notamment une méfiance nourrie à l’encontre des étrangers et une préférence pour la discrétion dans les épreuves, dans le chagrin et dans le deuil.
Ainsi, la famille d’un soldat bédouin tombé au combat a choisi d’inhumer son fils pendant la nuit, craignant, le cas échéant, de s’exposer au sein de la communauté et dans les médias, raconte Alkirnawi, qui dirige une organisation prônant la coexistence entre Bédouins et Juifs qui s’appelle « Nouvelle aube dans le désert ».
« Les Bédouins ont été frappés par cette tragédie tout autant que leurs frères juifs », fait remarquer le psychologue.
« Nous sommes une communauté traumatisée. Nous avons perdu tellement de gens. De nombreux habitants de Rahat travaillaient dans les kibboutzim, le long de la frontière avec Gaza. L’Ouest du Neguev est une petite région et nous sommes tous frères ici – Juifs, Arabes ou chrétiens. Nous sommes tous des êtres humains. Et nous avons tous été touchés au cœur par ces horreurs. Elles ont tué l’humanité que nous avons en nous », continue Alkirnawi.
Rahat, une ville de 80 000 habitants, est la plus grande de toutes les implantations bédouines qui sont reconnues par l’État dans le Neguev. La population bédouine en Israël est de 300 000 personnes – un grand nombre vivent dans des villages qui ne sont pas reconnus, sans infrastructures, privés d’écoles, de centres médicaux et, ce qui est crucial, sans abri antiaérien.
Mais même dans des communautés établies comme Rahat, la période est difficile. « Nous avons 27 000 enfants qui ne sont pas à l’école et il faut s’occuper d’eux. De nombreux logements, à Rahat, n’ont pas d’abri et personne ne nous donne un shekel pour régler ce problème, ni le gouvernement, ni l’armée », regrette le maire de Rahat, Madighem.
Les officiels israéliens n’ont toutefois pas négligé la communauté bédouine, ces dernières semaines. Elle a ainsi reçu la visite du président Isaac Herzog, du ministre du cabinet de guerre, Benny Gantz et du ministre de la Diaspora, Amichai Chikli. D’autres se sont engagés à venir rapidement.
« Tout ça pourrait ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre l’État d’Israël et la communauté des Bédouins et, avec le temps, pourrait permettre de trouver une solution aux nombreux problèmes que notre communauté doit affronter depuis 1948 », déclare le maire, se référant à l’année de la fondation de l’État d’Israël. Les Bédouins qui se trouvaient à l’intérieur de ses frontières avaient obtenu directement la citoyenneté.
En plus d’être exposées aux terroristes du Hamas et aux tirs de roquette, de nombreuses familles de la région ont perdu leur principale source de revenu depuis le début de la guerre. De nombreux résidents locaux travaillaient dans l’agriculture, dans les exploitations situées le long de la bande de Gaza. Mais tout s’est arrêté.
Dans les jours qui ont suivi l’assaut barbare qui a été perpétré par le Hamas, des organisations locales variées ont établi une base logistique dans le principal centre communautaire de Rahat, qui est prise en charge par des bénévoles juifs et arabes. Objectif : collecter et distribuer des dons en direction des familles nécessiteuses de tout le secteur, juives et arabes là encore. Commentant cette initiative de terrain, Hanan al-Sanea, qui a eu l’idée avec d’autres de ce projet, explique que « les meurtriers n’ont fait aucune distinction entre le sang juif et le sang arabe et les missiles, eux aussi, ne font pas la différence ».
« Nous sommes dans le Neguev ; notre tissu social est formé de toute une mosaïque de différentes identités avec un dénominateur commun : nous croyons dans l’attention portée à l’autre, dans la réciprocité, dans la solidarité et dans l’acceptation d’autrui », explique Fouad al-Ziyadne, qui gère le centre communautaire de Rahat où a lieu cette initiative.
Au-delà des besoins matériels, la ville fait aussi face aux répercussions psychologiques des horreurs qui ont été commises le 7 octobre.
« Il s’agit du trauma collectif le plus important que nous avons pu vivre en tant que communauté. Depuis le premier jour, nous avons ouvert un centre de soutien psychologique d’urgence de manière à pouvoir aider les gens à dépasser ce qu’ils ont vécu – un centre qui s’adresse en particulier aux nombreux Bédouins qui ont été les témoins directs du massacre », note Alkirnawi.
« Nous aidons les familles qui ont perdu un proche, enlevé ou tué. Nous avons mis en place un réseau d’organisations qui sont chargées d’écouter les résidents, de les aider à traverser leur deuil, à intégrer le fait que des gens ont pu aller travailler, un matin, et ne jamais revenir ou qu’ils ont été tués par une roquette alors qu’ils étaient là, assis dans leur maison, et qu’ils sont morts sur le coup ».
De son côté, son organisation œuvre à créer des groupes de soutien de façon à aider les gens à s’exprimer sur ce qu’ils ont vécu et à « construire leur propre narratif de ce qui s’est produit en cette funeste matinée de samedi, de manière à ce qu’ils soient en mesure de maintenir un semblant de vie normale dans ces circonstances qui ne le sont guère », dit Alkirnawi.
« Nous sommes encore sous le coup de tout ce qui s’est passé et nous n’avons pas vraiment eu le temps de rattraper en cela le reste du monde ou de demander aux médias internationaux de raconter les histoires qui sont les nôtres », ajoute le psychologue. « Nous nous sentons encore trop à distance de tout ça. »
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