A Tel Aviv, une histoire de réfugiés et de jeunes princes de la French Tech
Une jeune école de développeurs en informatique ouverte par deux olim de France forme des réfugiés soudanais et érythréens au codage

C’est une rencontre un peu improbable, une dont Tel Aviv, qui attire privilégiés comme réfugiés, a le secret.
D’un côté deux jeunes princes de la French tech : le tranquille et brillant Avner Maman, voix douce et ancien directeur e-commerce chez Ubisoft à Paris. Avner habite à Raanana depuis trois ans et l’air israélien lui a donné des envies d’entrepreneuriat. Il est à l’origine du Developers Institute, qu’il a pensé comme un « oulpan du développement ».
Autre partie du duo, la persuasive Mégane Dreyfuss, jeune prêtresse du codage – « la lecture de demain, » selon elle. Son job : « être sûre que les choses arrivent ». Elle sait dénicher profs, élèves, ou mettre sur pied une formation pour que ses bébés-codeurs maintiennent une connexion avec la réalité – « ce qui est un problème quand on passe 10 heures par jour devant un ordinateur ».
Mégane et Avner veillent aussi sur leurs recrues pour qu’elles ne finissent pas dans l’industrie frauduleuse du Forex, du Bitcoin et de toutes ces arnaques dans lesquelles un certain nombre de jeunes olim français travaillent.

Elle a déjà aperçu un recruteur aborder ses protégés lors d’une pause cigarette, sur le trottoir en face du beau bâtiment de style éclectique de la rue Ahad Aham qui abrite les locaux du Developers Institute à Tel Aviv.
Dans ses murs on a déjà enseigné le codage, du HTML, de l’IOS, du CMS à Java Script, à 120 élèves depuis sa création il y a deux ans. L’objectif est d’en former 250 en 2019.
« Selon l’Autorité israélienne de l’Innovation il manquera 15 000 développeurs informatiques sur le marché israélien dans les cinq prochaines années, » précise Avner qui s’est positionné sur ce marché.

Un troisième mousquetaire a donné corps à leur projet : le rabbin de la Tech aux 4 « exits » Jérémy Berrebi, business angel, et ex-dénicheur de start-up pour Xavier Niel. Charmé par le projet d’Avner Maman, il lui a ouvert son épais carnet d’adresses pour en extirper intervenants ultra-pointus et investisseurs. Il a également donné une touche plus religieuse au projet et lancé une formation à succès mêlant cours de Torah et de codage. En sortent ces « bébés-Berrebi une main sur le clavier, l’autre sur un livre d’étude.
Et face à ce trio, on trouve des gens qui viennent de loin, souvent à pied, et pour qui le codage représente un sésame vers une vie plus aisée. Des réfugiés sans papiers, qui habitent pour la plupart les immeubles délabrés du sud de Tel Aviv, loués par des « marchands de sommeil, » déplore Dreyfuss, ceux qui font payer cher leur tolérance à l’absence de titres de séjour en règle.
Un seul d’entre eux, Gandar, possède le statut envié de réfugié, ce graal administratif chichement accordé, et qui éloigne l’échéance d’une expulsion.
La première rencontre de ces deux mondes a eu lieu le 5 juillet 2018, se souvient Mégane. Yusuf Ali débarque un peu en retard, il vient de Holon, non loin de Tel Aviv, où il travaille dans un supermarché.
« Il avait vu sur Facebook une de nos annonces pour un bootcamp, un stage intensif de codage à un prix modéré, 3 000 shekels, » rappelle Mégane Dreyfuss.
A lui, comme aux autres qui ne tardent pas à suivre Yusuf, Mégane demande qu’ils réalisent un premier site internet, professionnel ou plus personnel, à l’aide de Wix, une plate-forme populaire israélienne qui permet de créer des sites relativement faciles à manipuler.
Ce programme de codage destiné aux réfugiés est le résultat d’une collaboration entre le Developers Institute et le Centre africain de développement des réfugiés (ARDC), une organisation à but non lucratif créée à Tel Aviv en 2004 par des demandeurs d’asile africains et des citoyens israéliens.
Une fois livrés, certains des sites ont dévoilé avec pudeur, candeur mais sans tomber dans le pathos la part de drame authentique de la vie passée de ses futurs développeurs.
« C’est en parcourant les onglets ‘about‘, ‘family’ ou ‘travel’ des sites que je me suis rendue compte de leur parcours. J’ai été hyper émue, » souligne Mégane.
Alam Godin
« Hello, je m’appelle Alam Godin, bienvenue sur mon premier website. Alam signifie ‘monde’ en arabe. J’ai fait ce site pour que vous sachiez qui je suis. Je suis un réfugié soudanais qui vit actuellement en Israël. Avant tout, nous n’avons pas choisi le nom de réfugié, la guerre l’a choisie pour nous ».

En 2003, Alam Godin a fui un Sud-Soudan en flammes où s’éternisait une guerre initiée en 1983, achevée en 2005, mais qui s’encadre en réalité entre une première guerre civile (1955-1972) et une troisième, toujours en cours (2013-…).
Cette deuxième guerre fut l’une des plus longues du 20e siècle, une guerre au bilan sanglant : 2 millions de morts, principalement civils, et plus de
4 millions d’habitants du sud forcés d’abandonner leur maison. Parmi
eux : les Godin.
« J’espère y retourner un jour pour en faire un endroit meilleur, et plus sûr, écrit Alam Godin. Ce site va vous montrer les petites choses de la vie qui me rendent plus fort mentalement et physiquement, et plus joyeux ».
Dans la rubrique « travel » du site d’Alam, pas de destination de rêve, aux paysages instagram-friendly, – si ce n’est son village d’origine – mais son parcours depuis le Soudan jusqu’à Israël.
« Je ne suis jamais allé dans des pays que je voulais visiter, j’ai juste fui des pays à cause de la guerre et du racisme ».
Ce fut d’abord le départ du village de sa mère, situé dans l’état soudanais du Nil Bleu, « à cause des bombardements par le Nord-Soudan ». Direction la capitale, Khartoum, où les conditions de vie des réfugiés, qui proviennent d’une partie du pays en guerre avec cette capitale, sont difficiles. Leur fuite les emmène en Egypte, qu’ils finissent par quitter au bout de deux ans « à cause du racisme des locaux qui ont commencé à tuer les nôtres, » témoigne-t-il.
Alam et sa mère sont arrivés en Israël par le Sinaï et Eilat en 2005. Passionné de basket, il a intégré un club de Tel Aviv et travaille dans un restaurant le reste du temps. Il témoigne que son frère depuis le « départ » de son père – il n’en dira pas plus – n’est plus tout à fait le même. « Il a du mal à exprimer ses émotions, » décrit-il, « mais c’est un esprit brillant ». Deux autre frère et soeur sont nés depuis leur arrivée en Israël. Il les présente fièrement sur son site.
Selon l’Autorité de la population, depuis le début des années 2000, 64 850 personnes ont franchi la frontière entre l’Égypte et Israël sans la permission d’Israël.
Selon le ministère de l’Intérieur, environ 38 000 demandeurs d’asile africains se trouvent actuellement en Israël. Environ 72 % des migrants sont érythréens et 20 % sont soudanais.
La majorité des demandeurs d’asile africains sont arrivés en Israël entre 2006 et 2012. En 2010, au plus fort de la vague de demandeurs d’asile passant du Sinaï à Israël, 1 300 personnes ont franchi illégalement la frontière chaque mois.
En 2014, Israël a achevé la construction d’une clôture électronique de 242 kilomètres le long de la frontière avec le Sinaï. L’entrée illégale par le Sinaï a chuté à seulement 11 cas en 2016 et à 0 en 2017.
En novembre 2017, un projet de loi controversé a mis les réfugiés face au dilemme suivant : quitter Israël ou être emprisonné. Le plan sera finalement abandonné, faute d’avoir trouvé des pays tiers pour accueillir des personnes qui risqueraient leur vie en rentrant dans leur pays d’origine.
« Tout le monde choisira la prison, affirmait alors Alam au Washington Post qui l’avait suivi avec son frère en novembre 2017, lors des manifestations de réfugiés africains. L’article et la vidéo figurent sur le site d’Alam.

« Ils me donnent une énergie de fou, » avoue Mégane qui a organisé des classes communes avec ses « petits Français » pour favoriser les rencontres et le partage d’expériences.
Une idée intéressante pour ses réfugiés souvent ostracisés, notamment à Tel Aviv, où ils sont pour beaucoup un symbole de l’insécurité.
En 2017, les débats sur l’expulsion des réfugiés avaient échauffé les esprits. « Les Israéliens disent qu’ils ont peur de sortir le soir à cause des Soudanais et des Érythréens qui traînent dans la rue, déplore Alam Godin. Mais c’est à cause de la couleur de notre peau, les gens disent qu’ils ne sont pas racistes, mais ils ont peur de la couleur de notre peau ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel