Alain Finkielkraut, accueilli à l’Académie Française en immortel
"Défenseur exalté de l’identité nationale," le philosophe juif français a été élu au 1er tour à 16 voix sur 28

Alain Finkielkraut a été reçu hier à l’Académie française. Muni de son épée surmontée d’une vache et de la lettre hébraïque ‘Aleph’, le philosophe français a présenté son discours de remerciement devant les académiciens et un parterre de personnalités.
Le grand rabbin de France était présent, Haim Korsia, ainsi que le Premier ministre français, Manuel Valls.
Comme le veut la tradition, Alain Finkielkraut, en guise de préface a rendu hommage à son prédécesseur sous la Coupole, Félicien Marceau.
« Nous sommes en janvier 2016, et un nom cacophonique, un nom dissuasif, un nom invendable, un nom tout hérissé de consonnes rébarbatives (…), un nom à éternuer en somme, et même un nom, osons-le dire, à coucher dehors, est reçu aujourd’hui sous la coupole, institution fondée, il y aura bientôt quatre siècles par le cardinal de Richelieu, » a déclaré en introduction, Finkielkraut.
S’appeler Alain Finkielkraut « et être accueilli parmi vous au son du tambour, c’est à n’y pas croire ». Le philosophe, descendant de juifs polonais victimes de la Shoah, « défenseur exalté de l’identité nationale », a été reçu jeudi à l’Académie française.
L’arrivée sous la coupole de ce brillant intellectuel de 66 ans, taxé de « néo-réac » et inlassable pourfendeur du politiquement correct, avait suscité des grincements de dents. Alain Finkielkraut avait été élu en 2014 au premier tour par 16 voix sur 28.
Se définissant volontiers comme un « héritier des Lumières », l’essayiste, habitué des plateaux de télévision, a dit penser à ses parents qui « ne sont pas là pour connaître ce bonheur : l’entrée de leur fils à l’Académie française alors que le mérite leur en revient ».
Ils « auraient été désolés de me voir m’assimiler à la nation en lui sacrifiant mon identité juive même si cette identité ne se traduisait plus, pour eux ni donc pour moi, par les gestes rituels de la tradition », a poursuivi l’auteur du « Juif imaginaire », rappelant que « c’est de France et avec la complicité de l’Etat français que (son) père a été déporté » à Auschwitz.
Dans sa jeunesse, « le fait d’être français ne représentait rien de spécial à mes yeux », a avoué le philosophe. « J’ai découvert que j’aimais la France le jour où j’ai pris conscience qu’elle aussi était mortelle, » confesse-t-il. Un amour que « j’ai essayé d’exprimer dans plusieurs de mes livres et dans des interventions récentes ». « Cela me vaut d’être traité de passéiste, de réactionnaire, voire pire », a-t-il lancé.
Issu de la gauche, Alain Finkielkraut s’est dit « trahi et même menacé par les justiciers présomptueux qui peuplent la scène intellectuelle ».
« Ceux qui 70 ans après reprennent à leur compte dans leur nécrologie, le jugement du Conseil de guerre de Bruxelles, commettent un contre sens analogue. Leur référence à eux c’est Hitler, Maurras, c’est la Deuxième guerre mondiale, il juge tout à cette aune, ils ne voient pas que depuis la conférence de Durban organisée par les Nations unies en septembre 2001, l’antisémitisme parle la langue immaculée de l’antiracisme. Et dès lors que les juifs, ne sont plus en but au fascisme ou à la réaction, mais doivent répondre du comportement d’Israël, ils minimisent leur tourment ou les abandonnent carrément à leur sort, en tant que complices d’une politique criminelle, » a dénoncé le philosophe.
Selon lui, « on met au pinacle le nom de Primo Levi, mais c’est Quentin Tarantino qui mène le jeu, c’est sur le modèle d’Inglorious Basterds que tout un chacun se fait son film ».
Au lendemain de la journée internationale de la Shoah, Alain Finkielkraut a conclu son discours en déclarant que « la morale de toute cette histoire, ce n’est pas que le temps est venu de tourner la page et d’enterrer le devoir de mémoire, mais qu’il faut impérativement sortir celui-ci de l’oeuf, ou il a pris ses quartiers, pour lui rendre sa dignité et sa vérité perdue. »
« La Compagnie vous a ouvert les bras, vous allez connaître avec elle ce que c’est qu’une identité heureuse », a déclaré l’historien Pierre Nora dans son discours d’accueil, allusion au livre à succès d’Alain Finkielkraut « L’Identité malheureuse ».
L’historien a également ironisé sur le privilège qu’il avait, par cette prérogative de ce discours d’accueil à l’Académie française, de pouvoir parler sans être interrompu par Alain Finkielkraut.
« Pour une raison particulière et qui n’appartient qu’à vous : pendant une heure, vous allez devoir m’écouter sans m’interrompre ! » a-t-il ironisé avant d’ajouter « rassurez-vous, je n’abuserai pas du privilège momentané. »
Pierre Nora a tenu à souligner les divergences d’opinions entre les deux académiciens.
« D’accord avec vous sur le constat – la désintégration de l’ensemble national, historique et social et même sur le naufrage d’une culture dans laquelle nous avons tous les deux grandi – j’exprimai mon désaccord sur les causes de cette décomposition. Vous aviez tendance à en faire porter la responsabilité principale sur l’immigration et à réduire le phénomène à la confrontation avec l’islam. À mon sens, le mal vient de plus loin », a estimé Pierre Nora.
L’historien est également revenu sur « l’omniprésence médiatique » du philosophe, « quel personnage télévisuel vous êtes devenu ! Survolté, convulsif, habité d’une gestuelle, disons, bien identifiable ».
Cette phrase fait écho à la présence du philosophe sur de nombreux plateaux de télévision. A l’occasion de l’émission Des Paroles et Des Actes, le dernier en date, le philosophe s’était fait interpellé par une invitée présente dans le public. Wiam Berhouma, professeure d’anglais à Noisy-le-Sec, qui a démenti être attachée au parti les Indigènes, lui a intimé l’ordre de « se taire pour le bien de la France ».
« C’est aux miens que je pense », les mots de l’académicien Alain Finkielkraut sous la « Coupole »