Allégations de sévices : Un débat s’ouvre sur la moralité militaire en temps de guerre
Alors que le tribunal militaire de Beit Lid fait figure de point chaud idéologique, les familles des réservistes accusés estiment qu'ils devraient être remerciés et non poursuivis
Par un après-midi caniculaire devant les tribunaux militaires de la base de Beit Lid, à proximité de Netanya, des dizaines de manifestants se sont rassemblés mardi pour exprimer leur opposition à l’arrestation de neuf soldats israéliens accusés d’avoir torturé un prisonnier palestinien.
Lorsque les manifestants et les parents des suspects se sont rassemblés devant le tribunal militaire de Beit Lid pour savoir si les soldats seraient traduits en justice, beaucoup se sont concentrés sur l’innocence professée par les suspects, dont deux ont été libérés mardi, et sur les mauvais traitements qu’ils auraient subis.
Alors que les militants de gauche se sont regroupés pour défendre la suprématie de l’État de droit, l’espace à l’extérieur de Beit Lid, mardi, est rapidement devenu un microcosme du débat national plus large portant sur les obligations morales et éthiques d’Israël, en tant que démocratie aux prises avec le terrorisme djihadiste et des ennemis qui ne sont pas liés par les normes juridiques de l’Occident.
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La manifestation de mardi a été relativement calme par rapport aux jours précédents, lorsque des manifestants déchaînés avaient brièvement franchi le périmètre de Beit Lid et d’une autre base militaire à Sde Teiman, où les neuf personnes ont été arrêtées.
Des politiciens de droite, dont le ministre du Patrimoine Amichaï Eliyahu et Zvi Sokot du parti HaTzionout HaDatit, ont alimenté et participé à ces manifestations chaotiques dimanche, suscitant de vives critiques de la part d’autres politiciens, dont Yaïr Lapid, qui les a qualifiés de « voyous criminels ».
Les arrestations des réservistes et les émeutes qui ont suivi ont mis en évidence les tensions au sein de la société israélienne entre les ultra-nationalistes et les membres de la gauche de l’échiquier politique qui ont une vision plus humaniste du monde. Elles ont également mis en lumière les divisions au sein de la coalition de droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, du parti d’extrême droite Otzma Yehudit, a condamné les arrestations, les qualifiant de « honteuses ». Le ministre de la Défense Yoav Gallant et les autorités militaires devraient « soutenir les combattants » et « mettre fin aux camps d’été et à la patience pour les terroristes », a-t-il écrit dans un communiqué.
Mardi, Gallant et Ben Gvir ont tous deux envoyé des lettres à Netanyahu pour lui demander de réexaminer leurs actions respectives : Gallant a affirmé que Ben Gvir pourrait avoir ordonné à la police de ne pas intervenir lors des émeutes de Sde Teiman, et Ben Gvir a exprimé ses inquiétudes quant au fait que Gallant a maintenu ses troupes hors de la zone frontalière de Gaza le 7 octobre. Gallant a également condamné le rôle des fonctionnaires dans les émeutes et l’intrusion dans les bases militaires.
Netanyahu a publié une brève déclaration lundi, condamnant les tentatives d’intrusion dans les bases de Tsahal. Le président Isaac Herzog, ancien dirigeant du parti Avoda, s’est également prononcé contre les émeutes. Mardi, il a demandé que soit réexaminée la manière dont les réservistes ont été interpellés – des officiers de la police militaire portant des cagoules ont fait une descente à Sde Teiman pour les arrêter, un geste que beaucoup ont jugé inutile – mais a souligné la nécessité d’une enquête.
« La moralité de Tsahal a toujours été notre fierté, tant sur le plan interne que vis-à-vis de la famille des nations et du droit international. Notre moralité est constamment mise à l’épreuve parce que de nombreux ennemis dans le monde entier essaient de nous nuire, y compris par le biais du droit international : pour persécuter nos officiers, nos troupes et nos représentants élus. Nous devons donc agir de manière morale et responsable », a écrit Herzog dans un communiqué.
Plusieurs dizaines de manifestants appartenant au mouvement de protestation anti-gouvernement de centre-gauche se sont présentés près de Beit Lid mardi soir avec des pancartes soutenant l’enquête sur les soldats. « L’État de droit protège les troupes israéliennes », pouvait-on lire sur l’une des pancartes.
Pour les manifestants anti-gouvernement, les arrestations sont une étape nécessaire vers la responsabilité et la justice. À droite, ceux qui protestaient contre les arrestations ont été de nouveau courroucés mardi par le dernier rebondissement de la saga juridique : des procureurs militaires auraient téléphoné à des anciens détenus affiliés au Hamas, remis en liberté dans la bande de Gaza, pour savoir s’ils avaient été torturés.
« Nous sommes en train de monter un dossier contre ces réservistes, en demandant à des terroristes d’écrire une critique Yelp sur la façon dont ils ont été traités ! Avons-nous perdu toute once de raison ? », a demandé Orian Ben Chitrit, la sœur de l’un des soldats inculpés, lors du rassemblement de mardi.
Les soldats sont soupçonnés d’avoir abusé d’un détenu palestinien sous leur garde et de lui avoir causé des lésions corporelles en introduisant un objet dans le rectum du prisonnier. Ils sont accusés de sodomie aggravée, d’abus dans des circonstances aggravantes et de conduite indigne d’un soldat. Certains des suspects sont également soupçonnés d’agression et d’entrave au travail des fonctionnaires, selon Tsahal.
Les détenus sont des réservistes de l’unité 100 qui ont été formés spécifiquement pour surveiller des terroristes, selon un avocat représentant l’un des soldats.
Une enquête secrète menée à Sde Teiman, où des dizaines de terroristes présumés du Hamas sont détenus depuis le pogrom du 7 octobre, a conduit à ces arrestations. Cette action a suscité de nombreuses critiques, estimant qu’il s’agissait d’une mesure excessive à l’encontre de réservistes qui servaient leur pays depuis des mois dans une base éloignée en temps de guerre.
« Tous les Israéliens qui veulent éviter le clivage croissant dans notre société devraient venir à Beit Lid pour protester contre ces arrestations, qui sont infondées, mais nous ne voulons ni violence ni troubles, car cela ne ferait qu’aggraver le clivage », a déclaré Ben Chitrit lors du rassemblement.
Interrogée sur le fait de savoir si elle pensait que son frère avait commis les actes qui lui sont reprochés, elle a répondu : « Pas du tout. Nous sommes Juifs. Ce n’est pas notre façon de faire. »
Me Ephraïm Dimri, un avocat représentant l’un des suspects, dont les noms sont tus pour des raisons de sécurité, a déclaré aux journalistes que son client et tous les autres détenus dans l’affaire niaient tout acte répréhensible. Il a reconnu que le terroriste présumé avait des blessures au rectum, ce qui a conduit à soupçonner des soldats de l’avoir agressé.
« Nous savons comment les blessures ont été causées, la vérité éclatera, mais nous n’allons pas révéler notre défense juridique ici aux médias », a déclaré Me Dimri.
Une manifestante, Hila, dont le mari fait partie des détenus, a déclaré : « Nos maris, nos fils, nos frères ne sont pas des criminels, ce sont des héros. Ils risquent leur vie tous les jours pour nous protéger du terrorisme. C’est ainsi que nous leur rendons la pareille ? En les jetant en prison sur la base des paroles de nos ennemis ? »
La controverse entourant l’arrestation des soldats est plus qu’une simple question juridique ; elle touche au cœur de l’identité d’Israël et de ses obligations morales, a déclaré Eliahu Behruz Yosian, un ancien analyste du renseignement dont les appels à tuer « au moins 50 000 habitants de Gaza » dans les jours qui ont immédiatement suivi le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre dans le sud d’Israël ont attiré l’attention dans le pays.
Yosian, qui est né en Iran, semble avoir puisé dans un sentiment populaire en Israël après le 7 octobre, qui a rejeté les apparentes subtilités du droit pénal international en faveur d’une réponse qui, selon lui, est plus authentiquement moyen-orientale.
Le système juridique, le système militaire et le système diplomatique « font du tort à ceux qui se battent pour Israël », a déclaré Yosian au Times of Israel lors de la manifestation de mardi, où les manifestants l’ont accueilli avec enthousiasme et ont demandé à poser avec lui pour des photos.
L’affaire Sde Teiman montre qu’il est difficile de garantir le concept de « pureté des armes », les codes moraux qui guident Tsahal. Mais pour Yosian, le 7 octobre a montré la non-pertinence de ce concept pour l’expérience israélienne. Les poursuites engagées contre Israël devant la Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de justice (CIJ), a-t-il ajouté, montrent l’inefficacité du code pour contrecarrer de telles attaques juridiques.
« Comment peut-on se battre au Moyen-Orient avec la morale de l’Europe occidentale ? Regardez la Belgique, la France. Pour leurs valeurs libérales, ils sont en train de perdre leur patrie », a déclaré Yosian.
À la question de savoir si les Israéliens acceptent une réalité où les soldats sont autorisés à imiter les dépravations de leurs ennemis, y compris le viol anal de prisonniers, Yosian s’est montré sans équivoque : « Mon engagement envers les soldats israéliens est bien plus important que mon engagement envers le rectum du Hamas. »
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