Après avoir fui l’Ukraine, un couple d’artistes peint des miklatim près du Liban
À moins de 10 km de la frontière libanaise, Lidia et Igor Katliarski ornent des abris anti-atomiques de peintures murales, offrant à la population locale un répit durant la guerre
NAHARIYA – Récemment, un petit matin, alors que les enfants partaient à l’école, que les gens promenaient leurs chiens et qu’un agent d’assainissement balayait le trottoir, les artistes Lidia et Igor Katliarski étaient déjà à pied d’œuvre pour peindre un miklat – abri anti-atomique – dans le quartier d’Ein Sara, de la ville du nord de Nahariya.
Igor est arrivé avec une partie de leurs peintures et de leur matériel sur son vélo – qu’il appelle avec humour son âne – depuis leur appartement situé dans le nord de la ville.
Ce matin-là, Lidia portait un tee-shirt de protection solaire, expliquant que sa peau pâle ne supporte pas bien le soleil israélien. Elle a de longs cheveux clairs et une expression sérieuse. Igor, son mari depuis 33 ans, est costaud, avec une barbe rousse parsemée de gris et un doux sens de l’humour.
Les deux artistes ont quitté Minsk, en Biélorussie, pour s’installer à Nahariya, dans le nord du pays, il y a deux ans, au moment où la Russie envahissait l’Ukraine. Ils se consacrent désormais à la réalisation de peintures murales sur les 17 miklatim installés dans la ville depuis le début de la guerre entre Israël et le groupe terroriste palestinien du Hamas.

Située à moins de 10 km de la frontière avec le Liban, Nahariya est sous la menace des tirs de roquettes du Hezbollah depuis le 8 octobre, le groupe terroriste chiite libanais ayant attaqué quotidiennement les communautés israéliennes et les postes militaires situés le long de la frontière, affirmant qu’il le fait pour soutenir Gaza dans le cadre de la guerre contre le Hamas qui s’y déroule.
Jusqu’à présent, les affrontements à la frontière ont causé la mort de douze civils du côté israélien, ainsi que celle de quinze soldats et réservistes de Tsahal. Un peu au nord de Nahariya, de nombreuses attaques ont eu lieu dans des communautés dont les habitants ont été évacués.
De retour à Minsk, les Katliarski ont mené une brillante carrière dans leur domaine. Lidia a enseigné à l’Université de Culture et d’Art de Minsk et a collaboré avec le studio de design Primo Gatto. Igor a travaillé comme architecte d’intérieur.
Mais en 2020, lorsque ce que Lidia appelle « l’oppression de masse » a commencé en Biélorussie, le couple a commencé à envisager de s’installer en Israël. Puis, lorsque la Russie a attaqué l’Ukraine et que la situation en Biélorussie est devenue plus instable, le couple est parti avec son fils cadet, qui a aujourd’hui 18 ans. Leur autre fils, Ilya, architecte qui réalise également des projets d’impression 3D, vit à Tel Aviv.

Lorsque la guerre entre l’État hébreu et le groupe terroriste palestinien, suite au pogrom qu’il a perpétré le 7 octobre a éclaté – lors duquel quelques 3 000 terroristes ont massacré près de 1 200 personnes, pour la plupart des civils, et ont enlevé 251 personnes -, le couple a cherché quelque chose à faire pour aider. Ils ont fini par se porter volontaires pour peindre l’abri anti-atomique du jardin botanique de leur ville, qui paraissait si austère et sans couleur. La municipalité de Nahariya les a ensuite engagés pour peindre une fresque sur le mur d’entrée du jardin.
« Au début, nous avons peint les miklatim durant notre temps libre, juste pour aider », a expliqué Lidia. Lorsque la municipalité de Nahariya a lancé un appel d’offres pour peindre certains des 40 abris anti-atomiques temporaires de la ville, le couple l’a remporté. Leurs peintures murales représentent des tortues de mer et des coquillages, des papillons, des paons, des coccinelles et même des bouches d’incendie, lesquelles intriguent Igor.
« À Minsk, les bouches d’incendie sont toutes souterraines », a-t-il expliqué. « En Israël, il y en a partout. »
Optimiste, mais pas trop heureux
Selon Lidia, il est difficile de peindre sur des miklatim.
« Il faut que ce soit optimiste, mais pas trop joyeux. Nous souhaitons remonter le moral des gens, mais en même temps, nous savons à quoi servent ces abris anti-atomiques et nous savons que c’est la guerre. C’est la guerre, mais la vie continue », a-t-elle déclaré.
Lidia a ajouté que le couple ne reçoit pas « beaucoup d’argent pour le temps que cela prend », mais qu’ils ont reçu des réactions plus encourageantes que jamais pour leurs œuvres d’art. Elle a raconté l’histoire d’une femme bouleversée par la vue d’un miklat situé sous sa fenêtre. Après que le couple l’a peint, elle leur a dit qu’elle s’était immédiatement sentie mieux parce que les couleurs « ne sont pas celles de la guerre, mais celles de la vie ».
Les Katliarski pensent que leur désir d’aider est une façon de remercier le soutien qu’ils ont reçu en Israël depuis leur arrivée.

« À Minsk, il ne vous viendrait jamais à l’esprit d’aller à la mairie pour demander quelque chose », a expliqué Igor. « Ici, nous recevons plus d’aide que nous ne l’aurions jamais imaginé. »
Igor a raconté que lorsqu’il travaillait comme architecte d’intérieur à Minsk, il faisait toujours des visualisations des projets pour les donner à ses clients. Rapidement, ceux-ci ont commencé à lui commander davantage de peintures. Au bout d’un certain temps, il a commencé à « faire plus de dessins que de projets ».
Pour chaque miklat, les artistes esquissent plusieurs possibilités et la municipalité de Nahariya en approuve une. Les artistes utilisent de la peinture acrylique pour l’extérieur, mais il y a toujours des surprises.
Lorsque le couple est arrivé à l’abri anti-atomique d’Ein Sara un matin, il a découvert que les dispositifs, installés pour arroser l’herbe, avaient trempé un côté du miklat, effaçant toutes les lignes tracées au crayon par Igor.
Chaque après-midi, lorsqu’ils ont fini de peindre, Lidia et Igor rangent leur escabeau pliant. « Au moins, je n’ai pas à le porter sur mon âne », dit Igor, avant de récupérer les peintures.
Une nuit, ils ont laissé leurs peintures à l’intérieur de l’abri anti-atomique et, au matin, ils ont découvert que des enfants du voisinage les avaient utilisées pour faire des stries de toutes les couleurs sur l’herbe d’un terrain de football voisin. Igor a raconté que certains après-midi, lorsque le couple travaille sur un miklat, les enfants qui jouent à proximité viennent les aider.

Des saveurs d’Israël par petites bouchées
Le couple a collaboré à de nombreux projets artistiques au cours des 25 dernières années. Lorsqu’ils sont arrivés en Israël, Igor raconte qu’ils ont été surpris par les fruits tropicaux et par leur différence avec les fruits de Biélorussie. Ils ont décidé de représenter le même fruit – des bananes et des figues, par exemple – sur des supports différents. Igor travaille avec des crayons de couleur et Lidia avec de la peinture à l’huile, ce qui a donné lieu à une série d’œuvres communes intitulée « Tastes of Israel » (« Des saveurs d’Israël »).
Saatchi Art présente actuellement les peintures d’Igor. Les œuvres du couple ont fait l’objet de nombreuses expositions collectives, dont une à Nahariya avec un autre artiste russe, Alexander Makarov, dans le cadre d’une exposition consacrée à « l’Histoire de trois artistes qui ont trouvé leur voie en Israël ». Les Katliarski ont également exposé dans la galerie de la ville, avec le soutien de la mairie.
Le couple espère créer un centre d’art à Nahariya où il pourra organiser des expositions d’artistes différents et donner des cours.

Les Katliarski se consacrent à la création d’œuvres d’art destinées à rendre la réalité visuelle des gens un peu plus douce.
« J’aimerais beaucoup que les miklatim ne soient jamais utilisés aux fins pour lesquelles ils ont été conçus », a déclaré Lidia.
L’intérieur d’un miklat ressemble à tous les abris : sinistre, sombre et inquiétant. Mais à l’extérieur, il y a une scène tropicale fleurie aux couleurs vives. Les passants peuvent faire semblant, ne serait-ce qu’un instant, d’être en présence du dernier cri en matière d’art urbain mobile.