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Analyse

Attaque aux bipeurs : 48 heures qui marqueront l’histoire des services israéliens

L'opération bipeurs "ne change pas l'équation, ce n'est pas une victoire décisive. Mais elle envoie un signal" : Israël "est probablement prêt à être plus entrepreneur, sinon plus agressif", explique un ancien agent devenu chercheur à l'INSS

Image non datée d'un bipeur Apollo, semblable à ceux qui ont explosé le 17 septembre 2024 dans plusieurs villes du Liban et de la Syrie, lors d'une attaque sans précédent contre les terroristes du Hezbollah, largement imputée à Israël. (Crédit : Balkis Press/ABACAPRESS.COM/Reuters)
Image non datée d'un bipeur Apollo, semblable à ceux qui ont explosé le 17 septembre 2024 dans plusieurs villes du Liban et de la Syrie, lors d'une attaque sans précédent contre les terroristes du Hezbollah, largement imputée à Israël. (Crédit : Balkis Press/ABACAPRESS.COM/Reuters)

Pendant deux jours, au Liban et en Syrie, des centaines de bipeurs puis des talkies-walkies, banals outils de communication, ont été transformés en moteurs explosifs.

La signature n’est, comme souvent en pareil circonstances, pas prouvée. Comme bien des opérations qui ont marqué l’histoire des services secrets, celle-ci permet à son auteur de rester dans le « déni plausible ».

Cependant, nul expert, militaire, agent ni Etat pour émettre le moindre doute : l’opération porte la marque du Mossad, le puissant service de renseignement extérieur israélien, en charge notamment des opérations spéciales à l’étranger.

Un service dont la réputation a pâti de l’échec à prévenir l’attaque lancée le 7 octobre par le Hamas sur Israël. Mais qui a aussi assassiné en juillet, au cœur de Téhéran, le responsable politique du groupe terroriste islamiste palestinien du Hamas, rappelant son extraordinaire capacité à infiltrer les rangs ennemis.

17 septembre, début d’après-midi. Des centaines de membres du Hezbollah, organisation terroriste islamiste libanaise pro-iranienne, sont blessés dans l’explosion de leurs bipeurs.

Ces petits boitiers, survie d’un autre âge, permettent de recevoir des messages et alertes sonores en utilisant leur propre fréquence radio, hors réseaux de téléphonie mobile. Donc sans risquer d’être écouté.

Les explosions persistent au cœur de plusieurs lieux forts du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, dans le sud du Liban, dans la plaine orientale de la Bekaa. Et jusqu’en Syrie.

Des secouristes libanais transportant un blessé après l’explosion de son biper portatif lors d’une attaque imputée à Israël contre les terroristes du Hezbollah, dans la ville portuaire de Sidon, au sud du Liban, le 17 septembre 2024. (Crédit : AP)

Sidération

Les images saisies par les caméras de surveillance comme par les passants montrent des scènes d’horreur. Les ambulances affluentes dans les hôpitaux. Une fillette de dix ans est tuée. C’est le premier mort identifié, avant notamment le fils d’un député du Hezbollah.

Mains arrachées, yeux mutilés… Des tentes sont installées pour accueillir les donneurs de sang, des blessés allongés en pleine rue au milieu des embouteillages. Un bipeur explose dans les mains d’un homme en plein marché.

Les responsables de l’attaque « devront rendre des comptes », réclame le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk. Les « objets civils » ne doivent pas être transformés en armes, a lui insisté mercredi le secrétaire général de l’organisation Antonio Guterres.

La télévision iranienne annonce que l’ambassadeur de l’Iran à Beyrouth a été blessé sans gravité dans l’explosion d’un bipeur.

Les écoles et universités sont fermées.

Le contexte est lourd : le matin même, plusieurs responsables israéliens, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu, avaient annoncé permettre aux habitants du nord du pays de retourner chez eux, suggérant la nécessité de faire reculer le Hezbollah à l’intérieur du Liban.

Chancelleries et think tanks échafaudent des scénarios de guerre. Frappes, opération terrestre imminente. Mais aucun ne s’approche de celui qui se déroule. Le premier bilan donné par l’AFP à 17h45, citant le ministère de la Santé du Liban, fait état de 8 morts et près de 2 750 blessés. Le Hezbollah accuse déjà Israël.

En temps réel, derrière la sidération, les conjectures se multiplient, convergent vers une infiltration de la chaîne d’approvisionnement du Hezbollah par Israël.

« Ce n’est pas un exploit technologique », relève un espion européen, qui ne souhaite pas être reconnu, en soulignant la réussite exceptionnelle de cette opération. « C’est le résultat de renseignements humains et d’une logistique lourde. Il y a mille façons d’en arriver là ».

Acte 2 : les talkies-walkies

Les autorités israéliennes, elles, restent mutiques. Les Etats-Unis, leur allié historique, prennent soin d’affirmer dans la soirée « n’être pas impliqués » et ne pas avoir été informés au préalable.

Les restes de bipeurs explosés utilisés par le Hezbollah et dont l’attaque a été imputée à Israël dans un lieu non divulgué, sur une photo prise dans la banlieue sud de Beyrouth le 18 septembre 2024. (Crédit : AFP)

Le groupe terroriste pro-iranien, lui, est profondément déstabilisé.

« Le Hezbollah a essuyé un coup très sévère d’un point de vue tactique, un coup impressionnant, complet, qui touche à l’opérationnel, au cognitif, l’obligeant à s’atteler à sa défense » et à identifier ses propres faiblesses , explique à l’AFP Yoram Schweitzer, ancien agent devenu chercheur à l’Institut pour les études de sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv.

L’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW) affirme que quelques 5.000 bipeurs avaient été envoyés au Liban il y a environ cinq mois.

D’après l’ISW, qui s’appuie sur des sources américaines « non prescrites », l’opération aurait été déclenchée de peur que « le Hezbollah découvre les appareils truqués ».

Mais alors comment ont-ils été sabotés ? Un responsable de la sécurité libanaise affirme qu’ils « étaient préprogrammés pour exploser et contenaient des matériaux explosifs placés à côté de la batterie ».

Les petits appareils, portant la marque du fabricant Gold Apollo à Taïwan, ont été interceptés par les services israéliens avant leur arrivée au Liban, selon ces sources de diverses nationalités citées par le New York Times.

Mais l’entreprise taïwanaise dément les avoir fabriqué et désigné son partenaire hongrois BAC. Fondée en 2022, la compagnie est enregistrée à Budapest. Sa PDG, Cristiana Barsony-Arcidiacono, y apparaît comme la seule employée.

Les appareils en question n’ont « jamais été sur le sol hongrois », martèle pour sa part Budapest.

Acte 2 : alors que les condamnations et appels au calme se multiplient, des talkies-walkies explosent en banlieue de Beyrouth, dans la région de Baalbek et de Saïda, dans l’est du pays, pour certaines pendant les funérailles des victimes de la veille. 20 morts et 450 blessés.

Un appareil de communication radio qui a explosé dans la ville de Baalbek, au Liban, le 18 septembre 2024. (Crédit : Suleiman Amhaz/Anadolu/Reuters)

Au total, le bilan des explosions d’appareils de transmission s’élève à 37 morts, selon le ministre de la Santé libanais.

L’acte de guerre est exceptionnel. Au-delà du bilan humain au sein de la hiérarchie du groupe terroriste chiite, son système de communications devra être reconstitué.

« Un mentor m’a dit un jour: ‘un combattant qui ne peut pas parler, il fait du camping' », ironise sur X le général américain à la retraite Mark Hertling.

« Transformateur des bipeurs en machines à tuer »

L’Histoire devra raconter l’opération dans son entièreté. « Peut-être que le chef du Mossad l’expliquera dans ses mémoires », dit l’espion européen. Assurément, les Israéliens « ont un savoir-faire et un culot monstres », ajoute-t-il.

L’échec terrible du 7 octobre, lui aussi loin d’être éludé, avion encore.

L’attaque du Hamas a entraîné la mort de 1 205 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP basé sur les chiffres officiels israéliens. Sur les 251 personnes enlevées, 97 sont toujours retenues, dont 33 déclarées mortes par l’armée.

Israël a réagi en lançant une campagne militaire dont l’objectif vise à détruire le Hamas, à l’écarter du pouvoir à Gaza et à libérer les otages.

Le ministère de la santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, affirme que plus de 41 000 personnes ont été tuées ou sont présumées mortes dans les combats jusqu’à présent. Ce bilan, qui ne peut être vérifié et qui ne fait pas la distinction entre terroristes et civils, inclut les quelque 17 000 terroristes qu’Israël affirme avoir tués au combat et les civils tués par les centaines de roquettes tirées par les groupes terroristes qui retombent à l’intérieur de la bande de Gaza.

Israël affirme s’efforcer de minimiser les pertes civiles et souligne que le Hamas utilise les Gazaouis comme boucliers humains, en menant ses combats depuis des zones civiles, notamment des maisons, des hôpitaux, des écoles et des mosquées.

« Les services ont pris tellement cher après le 7 octobre… Je pense qu’il y avait une volonté pour eux de prouver ce dont ils sont capables », relève l’espion européen.

Les membres du Hezbollah « ont été surpris dans leur quotidien ordinaire, au cœur de leurs communautés », pointe de son côté Peter Harling, fondateur du laboratoire de recherche Synaps Network.

La « brèche est extraordinairement difficile à expliquer. La notion que quiconque peut transformer des appareils aussi rudimentaires que des bipeurs en des machines à tuer est assez inimaginable ».

Acte III : la réaction de la bête blessée. Jeudi, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, promet à Israël « un terrible châtiment », admettant un coup sévère et sans précédent » et accusant son ennemi d’avoir « franchi toutes les lignes rouges ».

Pendant son discours, l’aviation israélienne franchit le mur du son au dessus de Beyrouth.

L’Iran, elle, dénonce « une tuerie de masse » et évoque « une réponse écrasante ».

L’opération bipeurs « ne change pas l’équation, ce n’est pas une victoire décisive. Mais elle envoie un signal au Hezbollah, à l’Iran et aux autres » de leurs alliés dans la région, tranche Yoram Schweitzer.

Le message qu’Israël « est probablement prêt à être plus entrepreneur, sinon plus agressif ».

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