Au Caire, les amoureux du quartier européen craignent pour sa survie
Le prestige de ce quartier n'est plus qu'un lointain souvenir. Les ruelles sont en décrépitude, les anciens palais sont délabrés et d'innombrables bazars s'alignent
Immeubles haussmanniens, places circulaires et avenues rectilignes : les amoureux du quartier européen, au centre du Caire, craignent pour sa survie à l’heure où l’Egypte se construit une nouvelle capitale dans le désert, inspirée des métropoles du Golfe.
Le prestige de ce quartier situé en bordure de la célèbre place Tahrir n’est plus qu’un lointain souvenir. Les ruelles sont en décrépitude, les anciens palais sont délabrés et dans ce décor s’alignent d’innombrables boutiques de bric et de broc ou de vêtements bon marché.
Au milieu d’une quinzaine de touristes, Ahmed El Bandari, guide bénévole, brandit de vieilles photos en noir et blanc et narre avec enthousiasme l’histoire des vieilles bâtisses et des petits passages. « Certains immeubles sont dans un état de grave détérioration », regrette-t-il, évoquant « un manque d’éducation et de sensibilisation » à la préservation de ce patrimoine.
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Historien de l’architecture, M. El Bandari veut transmettre sa passion pour ce « patrimoine architectural qui témoigne de l’histoire contemporaine du Caire », que l’Egypte doit au khédive (« vice-roi ») Ismaïl Pacha. De retour d’un voyage à Paris en 1867, celui-ci avait entrepris de moderniser Le Caire en s’inspirant de l’Europe.
De fait, le Caire « khédivial », présenté aujourd’hui comme un musée à ciel ouvert, affiche un style résolument européen, mêlé de quelques touches islamiques. Et les habitants de la mégapole d’environ 20 millions d’habitants restent attachés au charme que dégagent ses grandes avenues et ses façades recherchées.
Loin du tumulte
Les immeubles en pierre de taille aux portes d’entrée en fer forgé, les balustrades, les colonnes et les statues en bronze rappellent Paris ou Rome.
Le quartier a longtemps été animé par l’effervescence de célèbres cafés littéraires et par la présence de ministères.
Mais, par vagues successives depuis les années 1950, la bourgeoisie cairote a délaissé ce tumulte pour le calme des banlieues chics ou la modernité des quartiers branchés.
Plusieurs ministères et administrations sont encore hébergés dans des palais et des immeubles historiques, mais devront déménager dans la nouvelle capitale en plein désert, à 45 km du centre-ville, une fois sa construction achevée.
« Quel sort sera alors réservé à ces palais et bâtisses ? », s’interroge M. El Bandari. Aucune décision officielle n’a encore été prise.
La future capitale administrative est l’un des méga-projets promus par le président Abdel Fattah al-Sissi. Les grandes ambassades, abritées dans des palais historiques, sont également invitées à s’y installer.
Démolitions ?
Au-delà du centre khédivial, M. El Bandari craint que, « sous prétexte de développement, des quartiers entiers soient démolis ».
L’historien évoque les quartiers récemment rasés de Boulaq et de Maspero, près du centre. Ces démolitions illustrent la volonté de l’Etat de développer tous azimuts la capitale en plein essor démographique, en éradiquant par la politique du bulldozer les bidonvilles ou quartiers informels, appelés « ashawaiyat » et peuplés par les familles les plus défavorisées.
Riham Arram, responsable du développement du Caire historique au sein du gouvernorat, se veut toutefois rassurante: « Le plus important est de préserver le quartier (khédivial) pour qu’il ne se transforme pas en ‘ashawaiyat' », déclare-t-elle à l’AFP.
Selon elle, un projet de restauration du « Caire khédivial » a débuté en 2014 et quelque 350 bâtisses ont été rénovées. « Les ornements ont été restaurés et les bâtiments ont été entièrement repeints avec des matériaux similaires à ceux d’origine. »
Elle assure que « 18 bâtiments appartenant au gouvernement dans le centre du Caire feront l’objet d’une étude sur leur réexploitation », après le départ des ministères.
« Rentabilité économique »
Le secteur privé a été convié à participer à la sauvegarde des lieux.
En 2008, des hommes d’affaires ont fondé la société Ismaïlia chargée de rénover des pans entiers du quartier et dont l’objectif est notamment d’attirer des enseignes de prêt-à-porter internationales, de créateurs égyptiens et des restaurants. Mais ils n’ont pas encore obtenu les autorisations administratives nécessaires.
« La meilleure chose pour préserver le centre du Caire, c’est de miser sur sa rentabilité économique », explique à l’AFP Karim El Shafei, président du conseil d’administration de l’entreprise.
De nombreux locaux du quartier sont vides et affichent des prix de vente raisonnables, ce qui pourrait attirer les investisseurs, assure-t-il, regrettant les obstacles administratifs. Pour M. Shafei, il est également nécessaire d’enrichir la vie culturelle du quartier, où les salles d’exposition et les cinémas sont rares.
Auteure d’une encyclopédie illustrée du Caire « khédivial », Souhair Hawass propose de transformer en musées et centres culturels les bâtiments que quitteront les administrations.
« Nous espérons qu’une attention particulière sera portée au Caire historique parallèlement à la construction de la nouvelle capitale », confie à l’AFP cette professeure d’architecture à l’Université du Caire, qui voit les quartiers du Caire comme autant « de pages de l’histoire de l’architecture égyptienne ».
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