Aux US, église et compétitions de jeux vidéo poursuivies pour discrimination envers des juifs sionistes
L'affaire vise à étendre les protections du Titre II pour les Juifs sionistes, en lien avec une autre plainte déposée plus tôt cette année par un joueur professionnel à New York
Une plainte déposée la semaine dernière aux États-Unis vise à élargir les protections des droits civils pour les Juifs américains. Elle accuse un centre de retraite « orienté vers l’esprit » en Californie d’avoir discriminé un musicien juif en raison de ses convictions sionistes.
Mikey Pauker, un rockeur juif, affirme que le Harbin Hot Springs Retreat Center a annulé son concert prévu pour Hanoukka 2024, à la suite de critiques en ligne visant son sionisme. Il a qualifié cette annulation de « point de bascule », après avoir subi des années d’antisémitisme dans le monde de la musique.
« C’est une affaire particulièrement douloureuse pour moi, car j’ai passé beaucoup de temps là-bas. C’est un endroit où j’aimais me ressourcer », a déclaré Pauker dans une interview. « Je sens que cela doit s’arrêter avec moi. Je ne veux plus me taire. »
Le principal prévenu dans cette affaire est Heart Consciousness Church, l’organisation à but non lucratif propriétaire et gestionnaire du centre de retraite Harbin Hot Springs, situé sur un domaine de plus de 1 200 hectares à Middletown, au nord de San Francisco. Le centre accueille des visiteurs et propose une variété d’activités et de divertissements, notamment des concerts, des danses, du yoga, des retraites, des « cérémonies de la lune », des bains de soleil sans vêtements et des soins de spa. Parmi les autres défendeurs figurent des militants ayant exercé des pressions sur le centre pour qu’il annule la prestation de Mikey Pauker.
La plainte découle d’une publication sur les réseaux sociaux que Pauker avait partagée au début de la guerre à Gaza. Le 7 octobre 2023, alors que le Hamas menait une attaque meurtrière dans le sud d’Israël, Pauker avait posté sur Facebook une image d’un char militaire, accompagnée du message : « Je me tiens aux côtés d’Israël. »
Plus d’un an plus tard, en décembre 2024, Pauker et Harbin ont signé un contrat pour un concert de Hanoukka au sein du centre. Le spectacle, selon lui, devait inclure une cérémonie d’allumage des bougies, sans aucun contenu politique ni allusion au conflit.
Mais la semaine suivante, un utilisateur de Facebook a publié sur la page du centre une dénonciation affirmant que Pauker jouait de la « musique du génocide », appelant les internautes à « demander à Harbin de ne pas soutenir le génocide et d’annuler » sa venue. Ce même internaute a également commenté une photo de Pauker lors d’un rituel religieux, l’accusant cette fois de jouer de la « musique terroriste dévotionnelle ».

Peu après, un responsable de l’organisation des événements à Harbin a informé Mikey Pauker que son concert était annulé en raison de « commentaires négatifs ».
À la suite de cette annulation, l’utilisateur de Facebook à l’origine de la campagne en ligne a envoyé un courriel à Pauker pour le féliciter, lui écrivant, de garder sa « merde de génocidaire sioniste psychotique hors de nos communautés pacifiques ».
« Je te surveille et je te ferai annuler partout où tu iras. Peut-être que tu devrais penser à te barrer d’ici et aller en Israël. Tu es si fier de ton ‘pays’ et de ses crimes de guerre génocidaires, pourquoi ne pas aller y participer, lâche », a-t-il dit, selon la plainte.
Pauker dit avoir eu des crises de panique après avoir reçu ce message, qu’il a perçu comme une menace directe. Il a contacté les forces de l’ordre et il a bénéficié d’une aide psychologique. Depuis, il dit souffrir d’anxiété, de dépression et de cauchemars, ce qui a perturbé ses activités professionnelles et ses études.
Il a signalé ce message menaçant à la direction de Harbin. Un responsable du centre lui aurait alors confirmé que l’événement avait été annulé en raison de plaintes concernant ses « opinions sionistes », en faisant explicitement référence à sa publication sur Facebook du 7 octobre 2023.
Outre la détresse émotionnelle, Pauker affirme avoir subi un préjudice financier. Il explique qu’il vend généralement pour environ 1 500 dollars de marchandises lors de concerts similaires à celui prévu pour Hanoukka. À cela s’ajoute, selon la plainte, une perte estimée à 50 000 dollars, liée à l’impact de la publicité négative entourant l’annulation : certains lieux où il se produit habituellement auraient renoncé à l’inviter ou n’auraient pas répondu à ses sollicitations.
La plainte relève également que Harbin a accueilli d’autres artistes ayant tenu des propos virulents contre Israël, notamment un chanteur ayant publié une image montrant un drapeau israélien en flammes, ainsi que des contenus citant le défunt chef du Hamas, Yahya Sinwar, qui qualifiait les partisans d’Israël de « colons » et accusait l’État hébreu d’être un État terroriste.
L’action en justice a été déposée vendredi devant la cour fédérale du district nord de Californie.
Un avocat représentant le centre de retraite a déclaré au Times of Israel qu’il ne pouvait pas commenter les questions juridiques, mais a précisé que « les décisions concernant les événements et les spectacles sont guidées par nos valeurs de longue date promouvant le respect, la guérison et la sécurité des invités, des artistes et du personnel ».
Harbin a déclaré que la « décision difficile » d’annuler la retraite était due à des préoccupations de sécurité, évoquant de « potentielles menaces de violence sur les réseaux sociaux ». Le centre a ajouté ne pas disposer du personnel de sécurité nécessaire pour gérer ce qu’il considérait comme un « risque inacceptable pour toutes les personnes impliquées », a déclaré la retraite au Times of Israel.
« Harbin est fier de soutenir les célébrations culturelles et religieuses », a poursuivi l’organisation. « Nous nous opposons fermement à toute forme de haine ou d’intimidation et restons engagés à créer un environnement où chaque invité se sent bienvenu, en sécurité et respecté. Nous espérons accueillir à nouveau Pauker à une date ultérieure, une fois que les mesures de sécurité appropriées auront été mises en place. »
La plainte de Pauker s’appuie sur un précédent judiciaire intenté plus tôt cette année par Felix Hasson, un joueur professionnel juif originaire de New York. Hasson affirme avoir été exclu de compétitions de jeux vidéo dans la région après que activistes en ligne se sont plaints aux organisateurs du tournoi de son soutien à Israël sur les réseaux sociaux. Le National Jewish Advocacy Center, une organisation à but non lucratif, représente les deux plaignants.

Ces recours juridiques, comme d’autres initiés par des soutiens juifs d’Israël à travers les États-Unis, défendent l’idée selon laquelle le sionisme constitue un aspect de la foi juive et non une simple position politique. Les avocats soutiennent que cette lecture permet de protéger les Juifs pro-Israël et combattre ceux qui sont anti-sionistes en vertu des protections des droits civils américains qui couvrent les croyances religieuses, mais pas la politique. Cet argument a été largement mobilisé dans des affaires reposant sur le titre VI de la loi américaine sur les droits civils de 1964, qui interdit la discrimination dans les programmes recevant des fonds fédéraux, tels que les universités. En revanche, il n’a pas encore été testé dans le cadre du titre II de cette même loi, qui garantit l’égalité d’accès aux « lieux publics », stades, hôtels, restaurants ou salles de concert, sans distinction de race, de couleur, de religion ou d’origine nationale.
Les affaires Pauker et Hasson visent toutes deux à étendre les protections offertes par le Titre II de la loi sur les droits civils aux Juifs sionistes, ouvrant ainsi un nouveau front dans une bataille juridique en constante évolution, qui a pris de l’ampleur depuis les attaques du 7 octobre.
Des organisations juives telles que le National Jewish Advocacy Center (NJAC), le Lawfare Project ou encore le Brandeis Center multiplient les recours pour défendre les droits des Juifs pro-israéliens devant les tribunaux. En parallèle, des groupes comme Palestine Legal, le Council on American-Islamic Relations controversé (CAIR) et la branche new-yorkaise de l’American Civil Liberties Union (ACLU) engagent des actions en justice pour soutenir les militants pro-palestiniens.
Certaines institutions, comme l’université Columbia, se retrouvent prises entre deux feux, visées par des plaintes provenant de part et d’autre du débat.
Les deux actions en justice accusent les établissements concernés d’appliquer une politique de deux poids, deux mesures, en interdisant l’accès aux individus se disant pro-Israël, mais en accueillant les critiques de l’État d’Israël.
« Les deux affaires visent à établir une jurisprudence reconnaissant que discriminer des Juifs en raison de leur sionisme constitue une forme illégale d’antisémitisme au regard du Titre II de la loi sur les droits civils », a déclaré Me Matthew Mainen, avocat au sein du NJAC.
Selon lui, les dossiers Pauker et Hasson sont « symbiotiques » et pourraient se renforcer mutuellement : une décision favorable dans l’un des cas pourrait servir de précédent dans l’autre. L’action intentée en Californie pourrait également compléter celle de Hasson, en ouvrant un nouveau front juridique relevant du Titre II devant une autre cour d’appel fédérale.

Autre stratégie inédite, les deux plaintes visent non seulement les entreprises ayant cédé à la pression, mais également les particuliers qui ont incité ces entreprises à exclure les sionistes.
« Cela n’arrive presque jamais dans le domaine des droits civils », a souligné Mainen.
Les recours ont été engagés contre des lieux atypiques – des compétitions de jeux vidéo et un centre thermal – car, selon l’avocat, ces petites structures n’ont souvent pas les connaissances juridiques nécessaires pour éviter les pratiques discriminatoires.
« La plupart des grandes entreprises disposent d’un département RH ou d’un conseiller juridique. Si vous entrez dans un Best Buy, par exemple, le directeur a probablement reçu une formation sur le Titre II. Il est donc peu probable que ce type de discrimination s’y produise », a-t-il ajouté.
Pauker, qui fréquentait les sources chaudes de Harbin depuis des années, affirme que le centre l’a invité à revenir en tant que simple hôte, mais qu’il ne s’y sent plus le bienvenu.
« C’était une communauté chère à mon cœur », confie-t-il. « Quand je terminais une tournée, j’aimais y faire une halte, me ressourcer ou y donner un concert. »
Le musicien insiste sur le fait que sa musique est axée sur la paix et le dialogue. Il organise des événements interconfessionnels dans le comté d’Orange, où il réside, notamment des dîners de Shabbat conjoints et des iftars du Ramadan avec des membres d’une mosquée locale.
Il reconnaît avoir été profondément affecté par l’annulation de son concert, sans toutefois être surpris. Il estime que les communautés du Nouvel Âge sont souvent imprégnées de stéréotypes antisémites anciens, comme la croyance en des cabales juives agissant dans l’ombre. « Ces milieux sont comparables à d’autres espaces progressistes, comme certaines universités, où l’antisémitisme peut se dissimuler sous des discours d’ouverture », affirme-t-il.
« Cela révèle un angle mort récurrent dans les communautés spirituelles : lorsqu’un Juif se présente, il n’est pas le bienvenu, car trop juif, trop blanc, ou lié à Israël. Il y a toujours une raison pour faire de nous des boucs émissaires. »
Depuis le 7 octobre, d’autres artistes juifs, comme le musicien Matisyahu, ont vu leurs concerts annulés. Plusieurs auteurs juifs ont également été exclus de salons littéraires.
Pauker espère que son action permettra de prévenir la discrimination envers les Juifs et d’autres groupes minoritaires.
« J’ai le sentiment que si une organisation comme celle-là, une église, peut me discriminer, elle pourrait aussi le faire envers d’autres. Aujourd’hui, ce que je ressens, c’est de la gratitude d’avoir pu me battre pour obtenir justice. »
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