Avec ses chefs en prison, Lev Tahor s’effondre, selon ses opposants
Après un raid au Guatemala, des militants juifs opposés à la secte extrémiste affirment que des dizaines de personnes ont quitté le groupe ces douze derniers mois, évoquant les poursuites engagées contre ses dirigeants pour enlèvement et maltraitances
NEW YORK — Lors de la septième nuit de Hanoukka, en 2018, trois hommes avaient garé une voiture de location à l’extérieur d’une habitation située dans la ville de Woodridge, au nord de l’État de New York. À 2 heures 56 du matin, l’un d’entre eux avait passé un appel téléphonique et deux enfants étaient sortis de la maison avant de grimper dans le véhicule. Le groupe était parti en direction d’un aéroport de Pennsylvanie après avoir passé des déguisements. Il avait embarqué à bord d’un vol, fuyant les États-Unis. Direction : le Mexique.
Les deux enfants, un garçon et une fille, étaient les petits-enfants de Shlomo Helbrans, le fondateur de Lev Tahor, une secte juive extrémiste. Leur enlèvement, cette nuit-là, a finalement abouti à l’incarcération de la majorité des dirigeants du groupe, et avait sérieusement ébranlé cette communauté très soudée.
La semaine dernière, la secte, actuellement en voie de désintégration, a assurément subi un nouveau coup dur après la saisie des enfants du groupe par les autorités du Guatemala – le pays où vivent dorénavant la plupart des adeptes de Lev Tahor. Les responsables guatémaltèques répondaient, par ce nouveau raid, à des accusations de maltraitance.
« La plupart des chefs ne sont plus là, et il manque donc au groupe ce qui est pourtant déterminant dans une secte, à savoir un leader charismatique », fait savoir au Times of Israel un membre d’un groupe d’opposants appelé « Lev Tahor Survivors » (Survivants de Lev Tahor).
Un porte-parole de Lev Tahor a nié les accusations d’abus qui ont pris pour cible le groupe auprès du Times of Israel jeudi, affirmant que la secte était victime de persécutions religieuses orchestrées depuis Jérusalem. Il a reconnu que le groupe était en difficulté, mais il a estimé que cette situation difficile n’avait rien à voir avec les poursuites qui avaient été engagées contre ses dirigeants.
Fondée par les Helbrans à Jérusalem dans les années 1980, la secte Lev Tahor est depuis des années la cible d’accusations de maltraitance d’enfants. Le groupe est passé d’un pays à l’autre pendant des années, surveillé par les autorités – avec des membres cherchant refuge, selon les époques, au Canada, en Iran, en Bosnie et au Maroc, entre autres.
Enfin, ils se sont installés au Guatemala au milieu des années 2010, établissant un complexe fermé situé à proximité de la ville d’Oratorio, aux abords de la frontière avec le Salvador.
Un « cœur pur » ?
La collocation Lev Tahor se traduit par « cœur pur » – mais ses initiatives, ses manœuvres et ses plans se distinguent par leur obscurité. En 2017, un tribunal israélien avait estimé que le groupe était « une secte dangereuse ».
Ses membres adhèrent à une interprétation extrême et idiosyncrasique du judaïsme et des lois alimentaires casher, une interprétation qui protège largement les membres du monde extérieur. Les hommes passent la majorité de leurs journées à prier et à étudier des extraits spécifiques de la Torah. Les femmes et les jeunes filles, pour leur part, sont tenues de s’habiller en robes noires qui leur couvrent entièrement le corps, le visage et les yeux.
En 2017, Helbrans s’était noyé dans une rivière mexicaine, à proximité de la frontière avec le Guatemala et son fils Nachman avait alors repris le flambeau.
Après l’arrivée de son frère à la tête de la secte, la sœur de Nachman Helbrans avait fui Lev Tahor avec ses enfants et avait obtenu leur garde devant un tribunal de New York. La sœur – dont le nom n’a pas été révélé dans les documents du tribunal, étant victime – avait indiqué que Nachman Helbrans était encore plus extrémiste que son père. Elle avait indiqué qu’elle-même avait tenté de s’élever contre cette radicalité croissante au sein du groupe avant de prendre la fuite, soucieuse de la sécurité de ses enfants, selon des documents ultérieurement déposés par les procureurs fédéraux américains. Le procureur du district sud de New York avait annoncé que Nachman Helbrans et les autres responsables du groupe avaient « adopté des pratiques extrêmes, avec notamment des mariages d’enfants et des relations sexuelles avec des mineures ».
Nachman Helbrans avait ultérieurement orchestré l’enlèvement des deux enfants pour que sa nièce, alors âgée de 14 ans, puisse retrouver son « époux » âgé de 20 ans, avait déclaré le bureau du procureur du district sud de New York. Le couple s’était marié deux ans auparavant.
Les procureurs américains avaient par la suite expliqué que les dirigeants de Lev Tahor mariaient régulièrement des mineures à des hommes adultes dans le cadre d’unions qui n’étaient pas légalement reconnues, évoquant des cas « d’exploitation sexuelle des enfants ». Les jeunes mariées devaient avoir des relations sexuelles avec leurs maris, mentir aux étrangers sur leur mariage et sur leur âge et accoucher chez elles pour dissimuler leur âge, avaient ajouté les procureurs.
Mendy Levy, un ancien membre du groupe, avait parlé dans un entretien accordé en 2021 des mariages forcés entre enfants et autres maltraitances subies au sein de la secte – évoquant notamment les coups essuyés de la part des chefs du groupe. Il avait expliqué s’être échappé quand il était adolescent, les responsables de la secte ayant arrangé son mariage avec sa cousine qui n’était âgée que de douze ans, un mariage auquel tous les deux s’opposaient avec force. Il avait raconté avoir été battu à l’aide d’une ceinture, et que les dirigeants du groupe avaient refusé à son père des soins médicaux, ce qui avait entraîné sa mort.
Un membre de la secte a confirmé aux médias locaux, cette semaine, qu’il y avait, dans la secte, des jeunes mères de 14 ou 15 ans.
Après avoir enlevé les enfants en 2018, Helbrans et ses complices leur avaient fait traverser les États-Unis jusqu’au Mexique, où ils avaient été retrouvés quelques semaines plus tard au cours d’une vaste opération menée par les forces de l’ordre.
Helbrans et d’autres avaient été condamnés à de longues peines d’emprisonnement par le tribunal fédéral du district sud de New York, à l’issue d’une procédure judiciaire longue. Un dossier qui s’est finalement terminé au début de l’année par l’incarcération de trois membres de la famille qui avaient été extradés du Guatemala et qui appartenaient à la « hanhala », la direction du groupe, selon les procureurs.
La fuite est difficile
Selon Lev Tahor Survivors, un groupe basé à New York qui est composé d’anciens membres de la secte et de quelques bénévoles qui les aident à surveiller le groupe, venant en aide à ceux qui parviennent à s’en évader, ce sont des dizaines de personnes ont quitté Lev Tahor au cours de ces douze derniers mois. L’organisation indique que l’emprisonnement des dirigeants de Lev Tahor a joué un rôle déterminant dans les difficultés que la secte connaît actuellement.
« Le groupe est certainement très affaibli dans la mesure où la majorité des dirigeants, ceux qui étaient vraiment intelligents, calculateurs et stratégiques, sont aujourd’hui en prison », dit Ezzie Schaffran, une activiste de Lev Tahor Survivors qui lutte secrètement contre la secte depuis des années. « Ceux qui ont pris le relais sont vraiment des moins que rien ».
Il est difficile de fuir la secte à cause des liens familiaux qui existent au sein du groupe – avec, par exemple, un mari qui est désireux de partir alors que son épouse ne le souhaite pas.
Preuve de la nature particulière des liens qui se tissent au sein de la secte, la sœur dont les enfants avaient été enlevés avait demandé au juge de faire preuve d’indulgence lors de la condamnation de Nachman Helbrans, en 2022.
Pourtant, l’exode s’est accéléré ces derniers mois. Selon Schaffran, entre 20 et 30 membres de la secte ont pris la fuite depuis un an – laissant généralement des membres de leur famille derrière eux. Les autorités guatémaltèques estiment que la communauté compte actuellement une cinquantaine de familles.
Les autorités interviennent
Certains des membres qui ont quitté la secte ont apparemment contribué à la dernière vague de répression menée par les autorités guatémaltèques.
Le mois dernier, quatre mineures s’étaient échappés de la communauté et elles avaient lancé auprès des autorités des accusations de trafic d’êtres humains, selon le New York Times.
Le 20 décembre, des centaines de policiers, de soldats et autres autorités ont mené un raid dans le bâtiment accueillant la secte Lev Tahor, près d’Oratorio, dans l’objectif d’en extraire les enfants, saisissant des appareils électroniques à titre de preuve. Un chef de la police a également été arrêté pour avoir divulgué des informations confidentielles au groupe – ce qui avait peut-être permis à ce dernier de se préparer à des descentes des forces de l’ordre qui avaient eu lieu antérieurement.
Les procureurs ont fait savoir qu’ils envisageaient de retenir des accusations de trafic d’êtres humains, de viol et de maltraitances infligées à des mineurs. Le squelette d’un mineur a été trouvé lors de l’opération policière, a précisé le bureau du procureur.
Après le raid, les médias locaux ont fait état d’une situation chaotique sur le terrain – avec des médecins soignant les membres de Lev Tahor dans la rue, des hommes du groupe se battant avec des policiers armés et bloquant des véhicules de police, et des habitants apportant de la nourriture et des couvertures aux membres du groupe rassemblés à l’extérieur d’un refuge où les enfants et certaines femmes étaient hébergés.
Des responsables locaux ont indiqué que les enfants refusaient de parler aux enquêteurs et que des images les montraient en train de lutter physiquement contre les autorités.
Yaakov Flitchkin – qui a aidé une famille à fuir la secte il y a environ six ans – s’est rendu au Guatemala, cette semaine, pour venir en aide aux enfants placés en détention.
Sur place, il a fait office de traducteur pour les autorités guatémaltèques – les membres du groupe parlent yiddish – et il a donné aux enfants des aliments conformes à leur régime alimentaire strict, tels que des légumes et de la matzah, a-t-il indiqué au cours d’une interview. La communauté juive locale a, elle aussi, apporté son aide.
« Je ne suis pas là pour détruire cette secte. Je suis là pour sauver les enfants et les victimes », a-t-il commenté.
Pendant que les enfants étaient en garde à vue, les membres adultes du groupe leur ont crié des instructions en yiddish, disant aux enfants de frapper et de mordre les personnes qui les maintenaient en détention, a raconté Flitchkin.
Un membre de l’organisation Lev Tahor Survivors, s’exprimant sous couvert d’anonymat, note qu’il a été demandé aux enfants « de ne pas dire un mot et de simplement hurler ».
« Il faudrait un véritable programme de désintoxication pour qu’ils commencent à s’ouvrir et à parler de ce qui se passe, un programme qui leur permette de se reprogrammer hors de la secte », déclare-t-il. « Ils se trouvent dans une situation qui est terriblement toxique ; ils vivent, ils respirent dans un climat de manipulation extrême et ils ont donc besoin d’un peu de temps pour retrouver la raison ».
Les adultes ont également utilisé des couteaux pour crever les pneus d’un bus qui servait à transporter les enfants. L’un des membres de la secte a frappé Flitchkin au visage, lors d’un incident qui a été filmé.
Le bureau du procureur général du Guatemala avait déclaré, dans un premier temps, qu’il avait pris en charge 160 enfants et adolescents. Les médias locaux et un porte-parole de Lev Tahor ont avancé le chiffre d’environ 200, montrant des images d’enfants portant les robes noires du groupe en train d’embarquer dans des bus. Les autorités ont ensuite fait savoir que les membres de la secte avaient réussi à faire sortir certains enfants de l’enceinte, mais que la majorité d’entre eux avaient été récupérés.
Il est difficile de dire ce que deviendront les enfants. Certains ont de la famille en-dehors de Lev Tahor, des proches susceptibles de les accueillir.
« Il y a un certain nombre de familles en-dehors de la secte qui essaient d’avoir des nouvelles de leurs proches au sein du groupe et qui sont prêtes à les prendre en charge », explique Schaffran.
Les membres du groupe sont des ressortissants de différents pays, dont les États-Unis et Israël. L’ambassade d’Israël au Guatemala a annoncé que le raid mené dans le complexe avait été effectué à l’initiative des autorités locales, qui ont ensuite informé l’ambassade.
L’ambassade a apporté son soutien total aux autorités guatémaltèques, appelant les membres de Lev Tahor à s’abstenir de toute violence et déclarant que la priorité absolue était le bien-être des enfants. La mission des États-Unis a également, pour sa part, apporté son soutien total à l’enquête.
La communauté juive locale a, de son côté, publiquement pris ses distances avec le groupe, déclarant que Lev Tahor « agit en totale opposition avec nos traditions et nos valeurs ».
Persécutions religieuses
Un porte-parole de Lev Tahor, Uriel Goldman, a indiqué jeudi au Times of Israel que le groupe faisait d’objet de persécutions religieuses et politiques, des persécutions orchestrées par le gouvernement israélien. Il a affirmé que Lev Tahor avait irrité Israël en demandant le statut de réfugié en tant que groupe antisioniste au Canada il y a plus de dix ans, ce qui avait porté atteinte à l’image d’Israël.
Goldman a ajouté que les membres du groupe actuellement placés en garde à vue étaient détenus dans des conditions de « camp de concentration » sans abri adéquat, partageant une vidéo de membres du groupe s’échappant du commissariat.
Goldman a dit que les autorités avaient effectué des raids répétés dans le complexe mais qu’elles n’avaient trouvé aucune preuve d’abus, ajoutant que le squelette soi-disant découvert dans le bâtiment se trouvait, en réalité, dans un cimetière et que les quatre membres du groupe qui avaient dénoncé un trafic d’êtres humains avaient été soudoyés pour mentir. Il a reconnu que les enfants de la communauté se mariaient à un très jeune âge, mais il a affirmé que les mariages étaient légaux et consentis.
« Nous voulons la justice. Nous ne fuyons pas la justice. Il s’agit d’un mensonge. Il s’agit de persécutions religieuses et nous savons que l’État d’Israël est derrière tout cela », a-t-il affirmé.
Il a nié le fait que l’emprisonnement des dirigeants du groupe ait créé des difficultés pour la secte.
« Nous luttons à cause des persécutions. Nous ne pouvons pas travailler normalement, nous ne pouvons pas avoir une vie normale », s’est insurgé Goldman.
Les membres du groupe ont lancé une campagne dans les médias locaux et sur internet pour soutenir leurs accusations de persécutions. Ils ont notamment diffusé des vidéos, sur le réseau social X, qui décrivaient le raid mené par le gouvernement comme un exemple de répression de la « liberté religieuse et des droits de l’Homme ».
L’organisation Lev Tahor Survivors a pour sa part dénoncé une campagne de propagande, avertissant qu’elle était parvenue à récolter un certain soutien au Guatemala.
« Ils ont, en fait, réussi à convaincre les Guatémaltèques d’appeler le gouvernement à mettre un pont final à ses actions », a déploré un membre de l’organisation. « Le gouvernement subit désormais de fortes pressions parce que les gens ont adhéré à cette propagande ».
Il s’est dit inquiet d’un éventuel retour de bâton suite à ce raid – notant que le placement en détention des enfants pourrait « renforcer le discours affirmant que les non-Juifs sont là pour nous tuer ».
« Si [les autorités] font bien les choses, ce sera formidable. Si elles s’y prennent mal, cela pourrait se retourner contre elles et rendre [la secte] encore plus forte et encore plus résolue », a-t-il averti.
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