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Analyse

Avec ses opérations à Jénine, l’AP veut prouver qu’elle peut gouverner Gaza. Mais le peut-elle ?

Ramallah s'efforce de reprendre le contrôle du nord de la Cisjordanie, améliorant ainsi sa figure d'autorité apte à gouverner à Gaza dans l'après-guerre. Mais sa légitimité auprès des Palestiniens reste faible

Les forces de sécurité palestiniennes patrouillent dans le centre de la ville de Jénine en Cisjordanie, le 16 décembre 2024. (Crédit : Nasser Ishtayeh/Flash90)
Les forces de sécurité palestiniennes patrouillent dans le centre de la ville de Jénine en Cisjordanie, le 16 décembre 2024. (Crédit : Nasser Ishtayeh/Flash90)

Dans une opération en cours contre les factions terroristes à Jénine, les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) ont tué un commandant du Jihad islamique, Yazid Jaysa, samedi en tout début de matinée, ce qui a entraîné des affrontements dans cette ville de Cisjordanie, ont indiqué les médias palestiniens.

C’était le second meurtre à avoir été commis par les forces de sécurité de l’AP à Jénine en l’espace d’une semaine. Cinq jours plus tôt, elles avaient abattu Rahbi Shalabi, un jeune homme de 19 ans apparemment désarmé, au cours d’échanges de tirs avec des hommes armés locaux.

Deux opérations qui sont entrées dans le cadre d’une campagne de répression plus large qui a été lancée à l’encontre des factions terroristes à Jénine – une campagne qui, selon l’AP, vise à restaurer la sécurité et la stabilité dans la région à un moment où Ramallah semble vouloir envoyer le signal de sa capacité à tenir un rôle plus important dans la bande de Gaza, au lendemain de la guerre.

Dimanche, les États-Unis auraient demandé à Israël d’approuver en urgence la livraison d’aides militaires à destination de l’AP.

Jénine est connue pour être un bastion du terrorisme palestinien ces dernières années, et le secteur environnant, situé dans le nord de la Cisjordanie – avec notamment des villes comme Tubas, Tulkarem et Naplouse – a graduellement échappé au contrôle de l’AP, passant entre les mains de groupes locaux affiliés au Hamas et au Jihad islamique.

Il y a deux semaines, des hommes armés avaient saisi deux véhicules officiels de l’AP avant de défiler fièrement dans le camp de réfugiés de Jénine, brandissant des drapeaux de l’organisation terroriste du Jihad islamique.

Si la campagne antiterroriste actuellement en cours réussit et que l’AP parvient à reprendre le contrôle de la ville, alors il est probable qu’elle tentera de renouveler cet exploit dans d’autres zones de la Cisjordanie, estime Michael Milshtein, directeur du Forum d’études palestiniennes au Centre Dayan de l’université de Tel Aviv.

Et si l’AP prouve qu’elle peut reprendre son contrôle sur toutes les zones qui sont placées sous sa direction en Cisjordanie, il sera plus difficile pour Israël de s’opposer à son éventuel retour à la tête de l’enclave côtière – elle en avait été chassée par le Hamas lors d’un coup d’État sanglant, en 2007 – en dénonçant sa faiblesse et en mettant en cause ses capacités mêmes à gouverner la Cisjordanie.

Le moment qui a été choisi par l’AP pour lancer son opération à Jénine n’a pas été un hasard, ajoute Milshtein. Alors que les forces de sécurité planifiaient de lancer cette opération de répression depuis des mois, la chute récente du dictateur syrien Bachar el-Assad a sans doute joué un rôle dans le moment qui a été finalement choisi.

« Il est indubitable que ce passage à l’acte a été provoqué par les événements en Syrie. Les Palestiniens, en Cisjordanie, disent que lorsque le dictateur [le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas] a vu ce qui était arrivé à un autre dictateur [Bachar el-Assad], le premier a décidé qu’il ne connaîtrait pas le même destin », dit Milshtein au Times of Israel.

Les forces de sécurité palestiniennes patrouillent dans le centre de la ville de Jénine en Cisjordanie, le 16 décembre 2024. (Crédit : Nasser Ishtayeh/Flash90)

Si le soutien au Hamas, en Cisjordanie, représente le double du soutien apporté au Fatah (37 % contre 18 %, selon un sondage qui avait été réalisé en septembre par le Palestinian Center for Policy and Survey Research), le pouvoir du Fatah à Ramallah ne semble pas menacé, et ce, malgré 14 mois d’une guerre sanglante à Gaza et de bouleversements dans la région plus largement.

Le facteur de résilience le plus déterminant pour l’AP est sa coordination sécuritaire avec l’armée israélienne, confient des experts au Times of Israel.

« Malgré la crise politique qui est totale, la coordination sécuritaire avec Israël tient le coup – non pas parce que les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne seraient sionistes mais parce qu’elles comprennent parfaitement que sans elle, ce serait la fin de l’Autorité, et que le Hamas profiterait immanquablement de leur faiblesse. C’est donc avant tout dans l’intérêt de l’Autorité palestinienne », estime Milshtein.

« Au moment même où l’Autorité palestinienne mettra fin à la coordination sécuritaire, son certificat de décès sera émis », commente de son côté Samer Sinijlawi, originaire de Jérusalem-Est, qui est lui-même membre du Fatah et opposant de longue date au régime d’Abbas.

Un homme passe devant un magasin fermé avec un drapeau palestinien pendant une grève générale dans la ville de Jénine en Cisjordanie, le 10 décembre 2024. (Crédit : Zain Jaafar/AFP)

L’Autorité palestinienne cherche-t-elle à prouver sa légitimité pour gouverner Gaza après la guerre ?

Si le gouvernement de Ramallah, qui est placé sous la direction du Fatah, peut faire quelques progrès dans la lutte contre les factions palestiniennes rivales en Cisjordanie, il n’est pas forcément pour autant en mesure de tenir un rôle important dans l’administration de la bande de Gaza après-guerre.

« Gaza est un défi entièrement différent », affirme Milshtein.

Alors que quatorze mois se sont écoulés depuis le début du conflit, il n’y a encore aucun plan clairement établi concernant la gouvernance de l’enclave une fois que les armes auront été déposées. Au début du mois, des représentants du Hamas et du parti du Fatah, de l’Autorité palestinienne, se sont entretenus au Caire et ils ont convenu de créer un comité qui serait chargé de l’administration conjointe de la bande de Gaza quand le conflit sera terminé.

Un comité qui serait composé de 10 à 15 personnalités non-partisanes qui auraient autorité sur les questions liées à différents secteurs : l’économie, l’éducation, la santé, l’aide humanitaire et à la reconstruction, selon une proposition initiale qui a été consultée par l’AFP.

Difficile de dire si Israël accepterait, de son côté, un tel accord. L’État juif rejette l’idée que le Hamas puisse tenir un rôle à Gaza, quel qu’il soit, après la guerre qui avait été déclenchée par le groupe terroriste quand il avait commis un pogrom sur le territoire israélien, massacrant plus de 1 200 personnes dans le sud du pays. Israël a également clairement indiqué ne pas pouvoir avoir confiance dans une éventuelle gouvernance de l’AP de Mahmoud Abbas dans la bande de Gaza.

Les deux factions palestiniennes ont organisé, au cours des derniers mois, de nombreuses réunions où elles ont tenté de se réconcilier après des années de rupture – la dernière avait eu lieu à Pékin, au mois de juillet – toutefois, les derniers entretiens qui se sont tenus au Caire semblent avoir abouti à des résultats plus concrets que cela n’avait été le cas lors des rencontres précédentes, qui s’étaient achevées par de simples déclarations d’unité.

(De gauche à droite) Mahmoud al-Aloul, vice-président du comité central de l’organisation palestinienne et du parti politique Fatah, Wang Yi, ministre chinois des affaires étrangères, et Moussa Abu Marzuk, haut responsable du Hamas, assistent à un événement à la maison d’hôtes d’État Diaoyutai à Pékin, le 23 juillet 2024 (Crédit : Pedro Pardo / AFP).

Mais cette fois-ci, les deux factions semblent avoir fait l’objet de pressions plus fortes les sommant de se réconcilier – le Hamas en raison de sa fragilité après que ses capacités militaires et civiles, à Gaza, ont été décimées et l’AP, parce qu’elle a voulu profiter de son positionnement avantageux dans le cadre des négociations.

« Il n’y a pas d’accord final entre les deux parties mais l’AP veut parvenir à un arrangement au moins symbolique à Gaza de manière à être considérée comme l’acteur le plus déterminant dans cette région », explique Milshtein. « Le Hamas, de son côté, cherche un arrangement esthétique – ce qui signifie qu’il souhaite que l’Autorité palestinienne occupe les postes de pouvoir à Gaza mais qu’il veut continuer à tirer les ficelles en coulisses ».

Les médiateurs égyptiens tentent actuellement de trouver des points de jonction entre ces deux visions concurrentes, déclare Milshtein.

Cela fait longtemps qu’Israël s’oppose au retour au pouvoir d’une faction ou de l’autre – mais la nouvelle administration américaine pourrait bien réserver des surprises.

« Le président-élu Donald Trump est véritablement imprévisible – il pourrait pousser à l’annexion [par Israël de certaines pans de la Cisjordanie], mais il pourrait aussi pousser à une solution à deux États », déclare Sinijlawi, « surtout s’il vise un prix Nobel de la paix ».

Milshtein déclare qu’Israël pourrait accepter un comité conjoint chargé de la gouvernance dans la bande s’il inclut des tiers – par exemple, des représentants des clans formés par les grandes familles de Gaza (une idée qu’Israël privilégie depuis longtemps, mais qui ne semble guère avoir séduit sur le terrain), des représentants de l’ONU ou des représentants des pays arabes.

Des membres masqués et armés des « Comités populaires de protection », créés par le Hamas et d’autres groupes terroristes, patrouillant dans les rues de la ville de Rafah, dans le sud de Gaza, le 6 mars 2024. (Crédit : Saïd Khatib/AFP)

Les retombées de l’opération à Jénine pour Ramallah

Suite au meurtre du commandant du Jihad islamique, samedi, le général de brigade Anwar Rajab, qui appartient aux forces de sécurité de l’AP, a dit à l’agence de presse officielle de l’AP, Wafa, que ses hommes avaient « déjoué une catastrophe dans le camp de Jénine en neutralisant un véhicule piégé qui avait été préparé par des hors-la-loi ».

Rajab a ajouté que le véhicule « devait exploser parmi les citoyens et les personnels chargés de la sécurité, dans le cadre d’un acte criminel lâche qui rappelle l’approche de l’État islamique, une approche étrangère à nos valeurs et à notre morale palestinienne et qui entre en collision avec notre combat national ».

Pour sa part, le Hamas a condamné l’AP pour cette campagne à Jénine et son allié, le groupe du Jihad islamique palestinien, a appelé à une journée de protestation.

Les deux groupes terroristes ne sont pas les seuls à avoir posé un regard critique sur cette opération de répression. Sinijlawi, le militant du Fatah, indique qu’en tant que Palestinien, le fait que l’AP ait ouvert le feu sur ses citoyens l’inquiète – notant que les forces de sécurité auraient pu les arrêter et les traduire devant la justice.

« Ça me fait peur. Aujourd’hui, je crains qu’Abbas puisse tenter d’être l’Assad de Palestine en montrant qu’il peut gouverner par la puissance des armes », dit-il.

Les forces de sécurité palestiniennes patrouillent dans le centre de la ville de Jénine, en Cisjordanie, le 16 décembre 2024. (Crédit : Nasser Ishtayeh/Flash90)

« Ce qui s’est passé en Syrie devrait enseigner une leçon à Abbas : son régime pourrait s’effondrer en à peine une minute. Et tous les éléments sont là pour qu’il s’effondre. Nous vivons une période de crise économique, d’incertitude politique, les Palestiniens sont confrontés à des massacres à Gaza et à des ‘pogroms’ en Cisjordanie », estime Sinijlawi, faisant référence aux fréquentes attaques violentes perpétrées par les partisans du mouvement pro-implantation israélien à l’encontre des Arabes de Cisjordanie.

Des opérations ciblées prenant pour cible les factions rebelles à Jénine ne suffiront pas à rétablir l’autorité de l’AP dans la région – en raison de la quantité d’armes qui se trouve entre les mains des groupes locaux et de la perte de légitimité du régime aux yeux de nombreux Palestiniens, note l’activiste.

« L’Autorité palestinienne n’a pas été en capacité de répondre aux besoins des Palestiniens et de respecter leurs droits. Ces gens sont considérés comme corrompus, comme une dictature. Sans reconnaissance de la part de la société, il leur sera impossible de gouverner », continue-t-il.

« La démonstration de force à Jénine était principalement destinée aux Israéliens et aux Américains », poursuit-il.

« Mais il ne faut pas exclure un retour de bâton. Les Palestiniens n’ont jamais connu de guerre civile. Mais l’usage continu de la force de la part de l’Autorité palestinienne contre ces groupes obligera ces derniers à répondre avec plus de force encore », prédit Sinijlawi. « Les forces de sécurité deviendront la première cible, avant même les Israéliens ».

La semaine dernière, une vidéo a largement circulé sur les réseaux sociaux : elle montrait un agent de sécurité qui, à Jénine, annonçait sa démission après la mort de Rahbi Shalabi, le jeune homme de 19 ans.

Il n’est par ailleurs pas certain que les forces de sécurité palestiniennes – qui sont sous-payées comme la majorité des fonctionnaires à Ramallah, et qui sont soumises aux pressions de leur entourage social qui leur demande d’épargner la vie de leurs concitoyens palestiniens – continueront indéfiniment à soutenir l’AP.

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