Baharav-Miara doit choisir entre la loyauté envers le gouvernement ou envers la loi
Pour les ministres de la coalition, la procureure générale, qui est fermement opposée à la refonte, devrait fidèlement les représenter ; elle soutient que son devoir va plus loin
Les relations acrimonieuses et amères actuelles qu’entretiennent actuellement le gouvernement et la procureure générale sont sans précédent dans les annales de la politique israélienne.
Une réunion tristement mémorable du cabinet en juillet dernier a aggravé une situation déjà très conflictuelle, les ministres se relayant pour prendre directement à partie la procureure générale Gali Baharav-Miara et pour appeler à son renvoi ou à sa démission.
Et depuis, la situation n’a fait qu’empirer.
La coalition au pouvoir est de plus en plus frustrée et exaspérée par une série de décisions prises par la procureure générale sur des questions cruciales, où non seulement elle a refusé de représenter le positionnement adopté par la coalition devant les tribunaux, mais où elle s’est activement opposée aux positions de celle-ci, et ce parfois de manière très radicale.
Au mois de juillet, la procureure générale, dont le rôle est de conseiller le gouvernement sur les questions juridiques et de le représenter devant les tribunaux, a pris l’initiative sans précédent de demander à la Haute Cour de justice d’annuler un amendement aux Lois fondamentales quasi-constitutionnelles d’Israël qui avait été approuvé par le gouvernement. Elle a remis ça en septembre.
Elle s’est attiré les foudres du ministre de la Justice, Yariv Levin, qui a qualifié « d’impossibles » leurs relations de travail (tout en admettant qu’il ne pouvait pas la renvoyer) et qui lui a écrit une lettre furieuse à la fin du mois d’août pour s’opposer dans les termes les plus forts à ses prises de position répétées contre le gouvernement, qui, selon lui, le laissaient sans représentation légale.
Pour sa part, Baharav-Miara a insisté sur le fait qu’elle fournissait au gouvernement les meilleurs conseils juridiques possibles, même lorsqu’elle n’était pas d’accord avec lui, et elle a déclaré que son devoir en tant que représentante juridique du gouvernement devait être concilié avec son engagement à respecter le droit israélien.
La question de savoir comment concilier les deux, et si Baharav-Miara y parvient, est devenue un autre élément majeur du conflit entre le pouvoir judiciaire et les pouvoirs législatif et exécutif.
Le gouvernement insiste sur le fait que le rôle de la procureure générale, agissant en sa qualité de responsable administratif principal, est de présenter et de défendre fidèlement les positions du gouvernement. Baharav-Miara se considère plutôt comme la gardienne légale de l’État, redevable non pas à un gouvernement spécifique mais aux fondements démocratiques de la constitution israélienne, laquelle l’empêche de soutenir des politiques ou même de nouvelles lois qui, selon elle, violeraient ces protections sacrées.
Les pouvoirs du procureur général d’Israël
Le procureur général d’Israël a plusieurs casquettes, chacune dotée de pouvoirs étendus, même si la plupart des pouvoirs qui lui sont conférés ne sont pas ancrés dans un texte de loi, mais reposent sur la tradition, les décisions de justice et les précédents.
Le juriste en chef du gouvernement sert à la fois de chef du parquet de l’État, de conseiller juridique principal du gouvernement, de représentant du gouvernement dans les procédures judiciaires, et de conseiller juridique lorsque le gouvernement et ses ministères élaborent des projets de loi.
En 1998, une commission d’État chargée d’examiner les pouvoirs du procureur général avait statué que les personnes occupant ce poste avaient également le devoir de représenter l’intérêt du public et de protéger la loi.
La position du procureur général est devenue contraignante pour le gouvernement à la suite de l’arrêt Pinhasi de 1993, dans lequel la Cour suprême de justice a déclaré que « le procureur général est l’interprète autorisé de la loi au sein de l’exécutif ».
Cela signifie que si le procureur général n’est pas d’accord avec la position du gouvernement, le gouvernement et ses ministres sont obligés d’obtenir l’autorisation du procureur général s’ils souhaitent être représentés par un avocat indépendant.
Ces différentes casquettes peuvent parfois entrer en conflit, notamment lorsqu’un procureur n’est pas d’accord avec le gouvernement qu’il sert sur la légalité d’un acte. Pour remédier à cette situation, plusieurs propositions ont été faites au fil des ans pour scinder la fonction en deux, mais l’idée n’a jamais été retenue.
Si les conflits entre le gouvernement et le procureur général ne sont pas nouveaux, ils n’ont jamais été aussi fréquents et n’ont jamais porté sur des questions aussi importantes.
L’administration du Premier ministre Benjamin Netanyahu, au pouvoir depuis moins d’un an, s’est heurtée à plusieurs reprises à la procureure générale, notamment sur des questions politiques et législatives.
Dans ses conflits les plus médiatisés, Baharav-Miara s’est opposée au gouvernement sur des questions liées aux efforts de ce dernier de remanier le système judiciaire. Il s’agit notamment du projet de loi soutenu par le gouvernement qui modifie la loi fondamentale : Le Gouvernement et qui vise à priver la Cour Suprême ou le Procureur Général de l’autorité d’ordonner au Premier Ministre de se récuser ; de la loi du gouvernement qui limite l’utilisation du critère de raisonnabilité, qui est un amendement à la Loi Fondamentale : Le pouvoir judiciaire (c’est la seule loi du projet de refonte du système judiciaire qui a été promulguée jusqu’à présent) ; et du refus du ministre de la Justice de convoquer la très importante commission de sélection des juges, chargée de nommer les nouveaux magistrats.
Dans une lettre adressée par Levin à Baharav-Miara à la fin du mois d’août, le ministre de la Justice lui reproche de ne pas avoir représenté la position du gouvernement devant les tribunaux et d’avoir laissé le gouvernement sans représentation légale.
« Ceci constitue un nouveau record en matière de traitement désobligeant », a fulminé Levin, estimant que Baharav-Miara « piétine mon droit fondamental de plaideur à bénéficier d’une représentation équitable au tribunal dans les recours déposés à mon encontre ».
Il a également affirmé que Baharav-Miara était beaucoup moins coopérative avec le gouvernement actuel qu’elle ne l’était avec le gouvernement précédent, suggérant un parti pris politique de sa part étant donné qu’elle avait été nommée par l’ancien ministre de la Justice et actuel député de l’opposition Gideon Saar (HaMahane HaMamlahti) – il convient ici de préciser que c’était sur les recommandations d’une commission publique.
Baharav-Miara a rejeté les critiques de Levin. Elle souligne qu’il est de son devoir « professionnel » de « mettre en garde le gouvernement, n’importe quel gouvernement, contre des mesures contraires à la loi », tout en « aidant le gouvernement à mettre en œuvre ses politiques dans les limites de la loi ».
Mais que fait-elle, au juste ?
Guy Lurie, avocat à l’Institut israélien de la démocratie, un organisme libéral opposé à une grande partie du programme de refonte judiciaire du gouvernement, insiste sur le fait que si le rôle du procureur général est de conseiller le gouvernement, « son premier devoir est de faire respecter la loi et de défendre les principes constitutionnels de l’État, notamment les droits de l’homme ».
Bien que le nom officiel du poste en hébreu se traduise par « conseiller juridique du gouvernement », cela peut induire en erreur, explique Lurie. Selon lui, la loyauté du procureur général doit être « envers le gouvernement, avec un G majuscule, en tant qu’institution, mais pas envers une administration particulière et ses politiques », a-t-il déclaré.
Lurie ajoute qu’en cas de conflit entre une politique qu’un gouvernement souhaite promouvoir et l’État de droit, « le procureur général n’a pas d’autre choix en la matière » que d’exprimer son opinion professionnelle s’il estime que cette politique est illégale ou anticonstitutionnelle.
« Son rôle est d’aider une administration particulière à appliquer ses politiques, mais dans le respect de la loi », souligne-t-il.
Tous les experts ne sont pas d’accord avec cette définition de la fonction et estiment que la tâche principale de Baharav-Miara est d’agir en tant que conseillère juridique du gouvernement plutôt que de faire appliquer la loi.
Selon le professeur Moshe Cohen-Eliya, qui enseigne le droit constitutionnel au College of Law and Business, Baharav-Miara « ne comprend pas son travail ».
« Oui, le procureur général doit agir comme un frein [au gouvernement] et présenter son interprétation de la loi, mais il ne peut pas utiliser ce pouvoir pour s’opposer encore et encore à tout ce que le gouvernement veut faire », précise le professeur.
Il affirme que la réponse de 148 pages de la procureure générale aux recours contre la loi sur le caractère raisonnable, dans laquelle elle demandait l’annulation de la législation, ressemblait « davantage à un recours contre le gouvernement qu’à une réponse de la procureure générale ».
Il dit également que son opposition à la loi sur la récusation, un autre amendement à une loi fondamentale, était superflue. Elle aurait pu expliquer de manière tout à fait raisonnable que la législation vient simplement clarifier une certaine ambiguïté dans la loi telle qu’elle existait auparavant, même si la loi semble avoir été taillée sur mesure pour les besoins de Netanyahu.
« La procureure générale peut utiliser sa ‘carte rouge’ en cas d’absolue nécessité, mais en l’utilisant trop souvent, elle érodera la bonne volonté du gouvernement », a déclaré Cohen-Eliya.
L’avocat Zeev Lev, du Mouvement pour la gouvernabilité et la démocratie, une organisation conservatrice fondée par l’architecte de la refonte judiciaire, le député Simcha Rothman, convient que plutôt que de prendre parti, Baharav-Miara pourrait trouver des moyens de défendre le positionnement du gouvernement et laisser la cour décider de ce qui est légal et constitutionnel et de ce qui ne l’est pas.
« Nous avons besoin d’un professionnel juridique qui se batte pour le gouvernement élu, même quand il estime que la politique en question n’est pas judicieuse », a déclaré Lev.
Soulignant la question de la commission de sélection des juges, que Levin refuse de convoquer tant qu’il ne peut pas en modifier la composition par une législation, Lev déclare que les allégations de violation du droit administratif de la part du ministre de la Justice sont hypothétiques et non prouvées et qu’en tant que telles, la marge de manœuvre de la procureure générale pour défendre son opinion est amplement suffisante.
Au lieu de cela, Baharav-Miara a choisi la voie sans précédent qui consiste à « s’opposer systématiquement au gouvernement ».
« Il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec son client pour le représenter », continue-t-il. « La population qui a élu ce gouvernement n’est pas représentée au tribunal », poursuit-il, malgré le fait que Baharav-Miara ait donné son autorisation pour que le gouvernement dispose d’un conseiller juridique indépendant dans toutes les confrontations majeures.
« Le tribunal est le gardien, la partie adverse a un représentant, et le gouvernement a lui aussi droit à avoir son propre représentant », précise-t-il.
Deux approches pour deux gouvernements ?
Lurie réfute également la suggestion faite par Levin qui a estimé que Baharav-Miara traitait le gouvernement actuel différemment du précédent, suggérant ainsi un parti pris politique. En réalité, il est normal, d’après lui, que la procureure générale fasse part aux ministres de ses préoccupations juridiques concernant leurs politiques et que les ministres tiennent compte de ces conseils.
S’adressant au Times of Israel, un responsable du gouvernement Bennett-Lapid a lui aussi appuyé cette position, affirmant qu’il est normal que la procureure générale soulève des questions lors des premiers échanges et que « tout gouvernement raisonnable » doit être amené à prendre ces questions en considération et à apporter les changements nécessaires à la politique ou à la législation afin d’éviter un conflit flagrant.
La composition idéologique variée du gouvernement précédent l’avait contraint à s’abstenir d’adopter des mesures radicales et très controversées qui auraient pu être rejetées par la procureure générale.
Le gouvernement actuel, en revanche, est beaucoup plus homogène sur le plan politique et a exprimé un vif désir de modifier certaines des dispositions constitutionnelles les plus fondamentales d’Israël, ce qui a déclenché l’alarme chez la procureure générale.
Ces turbulences juridiques ne semblent pas sur le point de s’arrêter, puisque Levin et Netanyahu ont l’intention de faire adopter une loi controversée visant à modifier la composition de la commission de sélection des juges au cours de la session d’hiver de la Knesset. D’autres mesures très conflictuelles sont également en préparation, notamment une tentative du ministre des Communications, Shlomo Karhi, de transférer au gouvernement la régulation du système de radiodiffusion israélien.
Le limogeage de Baharav-Miara déclencherait une tempête de protestations contre le gouvernement et constituerait un processus complexe et difficile. Levin l’a admis et a déclaré que, pour ces raisons, il n’envisageait pas de la licencier pour le moment.
Le pays risque donc de rester dans une position extrêmement délicate dans un avenir proche, avec une procureure générale prise entre la loi et un gouvernement puissant qui souhaite apporter des changements radicaux dans un large éventail de domaines législatifs et politiques.
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