Belgique : L’octroi de visas à des officiels iraniens fait tanguer le gouvernement
Le sujet vaut aujourd'hui à la cheffe de la diplomatie belge d'être la cible d'une demande de démission de la part de l'opposition, qui l'accuse de "faute grave"
L’Iran s’invite au cœur de la vie politique en Belgique : trois semaines après la libération de quatre Européens détenus par la République islamique, le gouvernement belge est ébranlé par une vive controverse sur la délivrance de visas à une délégation incluant le maire de Téhéran Alireza Zakani.
Le sujet vaut aujourd’hui à la cheffe de la diplomatie belge, la libérale francophone Hadja Lahbib, d’être la cible d’une demande de démission de la part de l’opposition, qui l’accuse de « faute grave ».
Mme Lahbib se voit reprocher d’avoir validé la délivrance d’une série de visas de courte durée par son ambassade à Téhéran, malgré l’avis négatif initialement formulé par son administration.
Au cœur de la controverse : la venue à Bruxelles du 12 au 15 juin, pour un congrès mondial de grandes villes, d’Alireza Zakani accompagné d’autres maires et responsables iraniens, soit une délégation de 14 personnes au total.
Sur fond de répression des manifestations pour les libertés des femmes en Iran, leur accueil sous les ors de l’Hôtel de ville de Bruxelles a provoqué un tollé.
Et dans le concert de critiques, une voix a été particulièrement entendue : celle de la députée d’opposition Darya Safai (de l’Alliance néo-flamande, N-VA) qui a dépeint M. Zakani en « terroriste », symbole à ses yeux de l’oppression des femmes.
Cette Belgo-iranienne de 48 ans, qui a fui le pays de ses parents, a raconté que dans son passé de militante elle avait été elle-même pourchassée – en 1999 sur son campus en Iran – par la « milice » dont il était alors un dirigeant.
Cette semaine, un reportage de la chaîne RTBF a montré Mme Safai se faire photographier dans une manifestation d’opposants à Bruxelles par des hommes présentés comme des collaborateurs de M. Zakani.
Ce qui a fait dire à des élus belges que cet octroi de visas avait permis à des agents du régime iranien de venir « espionner » leurs ennemis à l’étranger.
« On a laissé rentrer des tortionnaires, des barbouzes, qui ont filmé des militants de droits de l’Homme dont les familles sont aujourd’hui menacées en Iran », a affirmé Ahmed Laaouej, chef des députés PS.
Longue et houleuse audition
Attaquée par ses partenaires de coalition socialistes et écologistes, Mme Lahbib a reçu le soutien du Premier ministre Alexander De Croo, lors d’une longue et houleuse audition mercredi devant une commission du Parlement.
L’occasion pour les deux libéraux de replacer le sujet des visas dans le contexte plus large des négociations menées avec l’Iran sur les « otages ». Et de l’espoir qui subsiste de faire libérer « une vingtaine d’Occidentaux ».
Certes inviter des maires iraniens pour le congrès bruxellois était « inopportun », mais « il fallait éviter de rompre le dialogue », a martelé Mme Lahbib.
« Il existe une chance, aussi ténue soit-elle, d’améliorer le sort du Professeur Djalali et nous ne devons pas la saboter », a fait valoir M. De Croo, en faisant référence au cas d’un universitaire irano-suédois condamné à mort en Iran.
Le sort d’Ahmadreza Djalali, qui a enseigné un temps à l’université flamande de Bruxelles (VUB) et a été arrêté en 2016 en Iran, a beaucoup ému en Belgique.
Fin mai puis début juin, le gouvernement belge avait obtenu en deux temps la libération de quatre Européens en échange du retour à Téhéran du diplomate iranien Assadollah Assadi condamné pour terrorisme en 2021. Mais pas de M. Djalali.
Il s’agissait de l’humanitaire belge Olivier Vandecasteele, d’un Danois et de deux Irano-autrichiens dont l’un était détenu depuis sept ans.
Après les libérations du 2 juin, de nombreuses voix avaient salué « une victoire », « un succès » pour la diplomatie belge, vantant les efforts déployés par Mme Lahbib sur ce dossier.
L’affaire des visas l’expose désormais à une motion de défiance initiée par la N-VA et censée être soumise au vote des députés la semaine prochaine.