BHL appelle à l’unité face à un possible passage du Congrès sioniste à droite
Le philosophe s'est exprimé alors que des organisations historiques tentent de contrecarrer l'accord de partage du pouvoir bénéfique à la droite et aux religieux
Yaakov Schwartz est le rédacteur adjoint de la section Le monde juif du Times of Israël
S’exprimant lors d’un 38e Congrès sioniste mondial exceptionnellement tendu ce mardi, le célèbre philosophe, réalisateur, militant et essayiste français Bernard-Henri Levy a plaidé pour que les Juifs de la diaspora restent au cœur du mouvement sioniste, alors que des organisations israéliennes religieuses et de droite semblent vouloir prendre le contrôle des principales institutions sionistes.
« La diaspora n’est pas une sorte de reste ou de vestige, rejeté par l’histoire. Au contraire, c’est quelque chose qui devrait être intégré rapidement dans le courant dominant du sionisme », a déclaré M. Levy dans son discours au congrès.
« Dans la vie de la diaspora, l’existence juive, disons quelqu’un qui est Roumain, Italien, Américain ou Français, il y a quelque chose de très noble dans l’existence de ces Juifs, quelque chose qui ne peut pas être réduit à l’attente d’aller à Jérusalem », a-t-il dit. « Je ne pense pas que l’existence dans la diaspora, en exil, soit en quelque sorte inférieure à cela. »
Le congrès, qui se déroule du 20 au 22 octobre, devait se réunir à Jérusalem, mais son format a été modifié en raison de la crise sanitaire mondiale actuelle. Tous les débats et discours, ainsi que le vote des 524 délégués mondiaux, se déroulent en ligne dans le cadre d’un grand rassemblement international virtuel.
Le discours de BHL est intervenu quelques heures après que plusieurs organisations juives traditionnelles comme Hadassah, Naamat, Maccabi, le B’nai B’rith International, l’Organisation internationale des femmes sionistes [WIZO] et Emunah ont adopté des mesures sans précédent pour retarder le vote jusqu’à jeudi.
Les délégués du Congrès sioniste mondial représentant le gouvernement israélien cherchent à s’associer avec des Juifs religieux de droite à l’étranger et à écarter des groupes de centre-gauche et des groupes religieux progressistes, principalement issus de la diaspora.
L’accord diviserait certains des portefeuilles les plus importants pour les « quatre grandes » institutions nationales d’Israël entre les représentants des diverses factions politiques de droite, sionistes religieuses, et ultra-orthodoxes, tout en laissant des rôles de direction moins importants à la minorité de centre-gauche.
Les institutions dites « nationales » israéliennes – le groupe de coordination de l’Organisation sioniste mondiale (WZO), l’Agence juive, le Keren Kayemeth LeIsrael-Fonds national juif, et le Keren Hayessod – ont toutes joué un rôle essentiel dans la fondation de l’État d’Israël. Aujourd’hui, ces quatre organisations disposent d’un budget annuel collectif déclaré de plus d’un milliard de dollars.
Les organisations, qui constituent l’épine dorsale du sionisme mondial, sont elles-mêmes apolitiques, mais leurs budgets peuvent être utilisés pour mettre en œuvre les programmes des représentants qui les dirigent. Cela peut avoir un impact sur l’exécution et la mise en œuvre d’initiatives telles que l’éducation des jeunes juifs et l’appel à l’immigration en Israël.
Le 38e congrès compte 524 délégués disposant d’un droit de vote – dont 199 sont originaires d’Israël, 152 des États-Unis et 173 du reste de la diaspora. Le mouvement sioniste américain organise des élections pour les délégués américains, et les représentants des autres pays sont sélectionnés par consensus. Toutefois, le nombre de délégués israéliens est proportionnel aux résultats des élections législatives en Israël, ce qui signifie que plus un parti dispose de sièges à la Knesset, plus il se voit attribuer de délégués au Congrès sioniste mondial.
Des représentants du Likud, le parti au pouvoir du Premier ministre Benjamin Netanyahu, ainsi que le parti d’Avigdor Liberman, Yisrael Beytenu, se sont associés au World Mizrahi et aux factions ultra-orthodoxes Shas et Eretz Hakodesh pour obtenir une petite majorité qui pourrait adopter la motion de partage du pouvoir. (Le parti Kakhol lavan de Benny Gantz siège avec le Likud dans une coalition gouvernementale, mais n’est pas obligé de s’aligner avec le Likud au congrès et s’oppose même à la motion.)
La coalition de droite estime qu’elle a une chance de prendre le contrôle exclusif des dépenses de la WZO en raison de ses bons résultats lors de l’élection de la partie américaine du Congrès sioniste mondial cette année.
Afin de contrecarrer cette tendance, le centre-gauche et les groupes sionistes progressistes ont appelé les organisations juives traditionnelles qui ont le droit de vote à intervenir et à contribuer au rejet de la motion en faveur d’un accord qui permettrait une représentation « exhaustive » entre les différentes confessions et tendances politiques.
Les groupes progressistes qui ont été privés de leurs droits comprennent les affiliés des partis israéliens de gauche, les mouvements réformés et conservateurs et Hatikvah, une liste d’éminents sionistes progressistes américains.
Mardi, Sheila Katz, PDG du Conseil national des femmes juives et membre de la liste Hatikvah au Congrès, a déclaré sur Twitter que des organisations historiques, dont Hadassah, Naamat, Maccabi, le B’nai B’rith International, l’Organisation internationale des femmes sionistes (WIZO) et Emunah, étaient intervenus pour retarder le vote sur le projet de droite jusqu’à jeudi afin de renégocier la manière dont les dirigeants professionnels seront sélectionnés.
Dans le passé, ces organisations, qui détiennent techniquement 240 voix, se sont presque toujours abstenues de voter.
Les enjeux sont élevés pour les Juifs de la diaspora non orthodoxe, qui constituent une grande majorité du judaïsme mondial, mais sont largement sous-représentés au Congrès sioniste mondial en raison du manque de participation aux primaires.
Ces groupes ont mis en garde contre un fossé grandissant entre eux et le judaïsme israélien, car le gouvernement israélien continue de compter uniquement sur son rabbinat orthodoxe pour gérer ou valider des événements tels que les mariages ou les conversions religieuses. L’impact de cette mesure est plus que sentimental : le Grand Rabbinat a le pouvoir de rejeter les demandes d’immigration ou d’annuler les mariages sur la base du statut religieux d’une personne.
La question semble avoir atteint un point culminant en 2016 lorsque le gouvernement israélien a accédé aux demandes des Juifs progressistes de construire un espace de prière égalitaire permanent dans la zone de l’Arche de Robinson du mur Occidental – puis est revenu sur sa décision. Un espace temporaire a depuis été construit, mais il est fréquemment utilisé par les étudiants des yeshivot orthodoxes pour organiser des prières non mixtes.
« Quoi qu’il arrive, cela affectera les Juifs progressistes de gauche, mais au début, cela affectera surtout les rabbins et les représentants d’organisations et d’autres personnes qui sont impliquées, et ce n’est pas la majorité de ces groupes », a déclaré Zvika Klein, correspondant pour le monde juif du quotidien israélien Makor Rishon, qui a beaucoup tweeté sur le vote à venir.
« La plupart des Juifs américains ne savent pas quel est le problème concernant la zone du mur Occidental. Même si, en théorie, ils seraient d’accord avec l’idée de la nécessité d’un espace égalitaire au mur Occidental, ce n’est pas quelque chose pour laquelle ils se réveillent le matin en se disant : ‘c’est ce dont nous avons besoin' », indique le journaliste.
Une prise de pouvoir par des religieux de droite « affectera certainement le leadership, et le leadership s’effrite, ce n’est donc pas une bonne chose », explique-t-il au Times of Israël. « D’autre part, je pense qu’il y a besoin de beaucoup plus de communication entre les deux parties. »
« Pendant des années, les Juifs réformés ont surtout échangé avec les Israéliens laïcs de gauche, et les Israéliens de droite parlent aux Juifs orthodoxes d’Amérique, et il n’y a pas assez de synergies entre eux », déplore-t-il. « J’ai l’impression que s’il y avait plus de communication entre eux, les choses seraient différentes. Israël est allé beaucoup plus à droite et [les Juifs] d’Amérique plus à gauche, donc nous devons en quelque sorte prendre du recul. »
Zvika Klein rappelle que le mouvement sioniste a historiquement été largement de gauche et non religieux, et que pendant de nombreuses années, les représentants de la droite et des partis religieux se sont sentis marginalisés, bien qu’ils aient eux aussi fait partie des coalitions « paritaires ». La composition actuelle du Congrès sioniste mondial pourrait également refléter le paysage politique en Israël, où davantage de personnes votent pour des partis conservateurs et plus religieux, souligne-t-il.
Le journaliste pense que l’ajout d’une faction ultra-orthodoxe au Congrès est un « changement des règles du jeu », puisque les communautés ultra-orthodoxes étaient traditionnellement contre le sionisme et la création de l’État d’Israël.
« À ce stade, il pourrait être logique que la droite ait le pouvoir », juge-t-il. « Je ne pense pas que, dans n’importe quelle situation, les gens devraient en abuser. On en a abusé à gauche pendant un certain temps, et on pourrait en abuser maintenant à droite si la motion est adoptée, mais nous devrons attendre de voir. Tout peut arriver. »
JTA a contribué à cet article.
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