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Budapest : Un pub de musique tzigane clandestin joue au rythme du judaïsme

Le Giero Pub est l'un des secrets les mieux gardés de la capitale hongroise ; on peut y apprécier de la musique de premier choix et son histoire familiale marquée par la Shoah

Yaakov Schwartz est le rédacteur adjoint de la section Le monde juif du Times of Israël

  • De gauche à droite : Gyulane Farkas, Istvan Feher, Aron Feher et David Feher au Giero Pub, à Budapest, le 16 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)
    De gauche à droite : Gyulane Farkas, Istvan Feher, Aron Feher et David Feher au Giero Pub, à Budapest, le 16 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)
  • Une photo du père de Gyulane "Tante Gizi" Farkas, Giero, est accrochée au-dessus du bar du Giero Pub, à Budapest, le 12 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel) 
    Une photo du père de Gyulane "Tante Gizi" Farkas, Giero, est accrochée au-dessus du bar du Giero Pub, à Budapest, le 12 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel) 
  • Le pianiste Bela Feher joue au Giero Pub, à Budapest, le 16 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel) 
    Le pianiste Bela Feher joue au Giero Pub, à Budapest, le 16 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel) 
  • Gyulane 'Tante Gizi' Farkas dans son coin de table habituel au Giero Pub, à Budapest, le 16 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel) 
    Gyulane 'Tante Gizi' Farkas dans son coin de table habituel au Giero Pub, à Budapest, le 16 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel) 
  • L'intérieur du Giero Pub, à Budapest, le 12 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel) 
    L'intérieur du Giero Pub, à Budapest, le 12 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel) 
  • De gauche à droite : Istvan Feher, Aron Feher et David Feher jouent au Giero Pub, Budapest, 12 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)
    De gauche à droite : Istvan Feher, Aron Feher et David Feher jouent au Giero Pub, Budapest, 12 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)

BUDAPEST – Sans les accords de musique tzigane entraînante qui remontent jusqu’à la rue Paulay Ede, il serait facile de passer à coté de la sombre taverne, aux murs de briques, située en sous-sol. Mais ce lieu sans prétention, connu sous le nom de Giero Pub, renferme l’un des secrets les mieux gardés de Budapest : certains des meilleurs musiciens roms que la capitale a à offrir.

À l’intérieur, Gyulane Farkas – que tout le monde surnomme « Tante Gizi » – se faufile entre les tables serrées et distribue des shots de palinka, un schnapps hongrois fort, et des bières pression. Pendant les moments de calme (et il y en a plus d’un), elle s’installe à une petite table équipée de tout le confort nécessaire.

Lors de ces soirées tranquilles, Gizi, un petit bout de femme d’une soixantaine d’années, peut être amenée à partager l’histoire de sa vie, comme elle l’a récemment fait pour le Times of Israel avec l’aide d’un interprète.

« Je ne suis pas 100 % Gitane », a confié Gizi. « La mère de mon père était Juive. Elle a fait la connaissance d’un beau contrebassiste et l’a épousé, et c’est ainsi que la tradition gitane de la contrebasse est née dans notre famille. »

Le pub porte le nom du père de Gizi, Giero, et un vieux portrait de lui dans sa jeunesse, en noir et blanc, est accroché bien en évidence au-dessus du bar. Mi-Juif, mi-Rom, Giero a suivi les traces de son père et s’est fait un nom en jouant de la contrebasse.

Mais la tragédie allait frapper la famille alors que Giero n’était encore qu’un jeune homme pendant la Shoah, lorsque son père rom fut emmené dans un camp de travail où il est mort.

« Mon père est devenu orphelin à l’âge de 13 ans », raconte Gizi. « Il n’y avait pas que les Juifs, ils prenaient aussi les Tsiganes. Je n’ai pas connu mon grand-père, ni sa famille – je savais juste qu’ils étaient de grands musiciens. »

Gyulane Farkas, ‘Tante Gizi’, assise à son coin de table habituel au Giero Pub, à Budapest, le 16 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)

À ne pas confondre avec le genre rom plus traditionnel, la musique tzigane est une interprétation de la musique folklorique hongroise qui, à son apogée au début du XXe siècle, était omniprésente dans les restaurants, les cafés et les pubs de toute la Hongrie et même au-delà. Avant la Seconde Guerre mondiale, environ un quart des habitants de Budapest étaient Juifs, et le style klezmer a également laissé son empreinte. (Bien que le terme « tsigane » soit péjoratif, certains Roms de Hongrie l’utilisent encore aujourd’hui, et il perd sa connotation négative lorsqu’il fait référence au style musical.)

De nos jours, la musique tzigane est encore fréquemment jouée, bien qu’elle ait un air de nostalgie et qu’elle soit souvent commercialisée pour le plus grand bonheur des touristes. Le Giero Pub en attire sa part, mais il est également apprécié de l’élite culturelle de la ville – stars du cinéma et journalistes, musiciens et chefs cuisiniers – ainsi que d’un groupe fidèle de locaux bien informés.

« J’ai ouvert en 1990. Depuis lors, je suis devenue assez célèbre. On a parlé de moi dans des livres, des articles – vous voyez celui-là ? », demande Gizi en montrant une coupure de presse écrite en hongrois. « Le titre dit que le pub n’est fréquenté que par des bonnes gens. Tu connais Ivan Bacher ? C’est un journaliste très célèbre qui a travaillé pour Nepszabadsag – il est Juif, comme toi. Tiens, regarde ça, j’étais sur le point de le faire encadrer, il a écrit un long article sur moi en 1998. »

Une photo du père de Gyulane Farkas, Giero, est accrochée au-dessus du bar du Giero Pub, à Budapest, le 12 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)

Gizi prétend s’être également fait un nom en Israël, et que cela soit vrai ou non, l’appréciation d’une foule israélienne serait bien méritée. Saluant le journaliste – un habitué du Giero Pub –, le groupe a entamé un medley de chants de shabbat, puis entamé « Hava Nagila » tout en douceur. Les demandes de chansons traditionnelles roms ne sont pas vraiment prises en considération ; les musiciens ont manifestement l’habitude de jouer pour la foule.

Le neveu de Gizi, Istvan Feher, dirige le groupe au cimbalom, un instrument à cordes horizontal joué avec deux mailloches tenues à la main, sorte de croisement entre un piano et une harpe, et emblématique de la musique tsigane.

« Je n’ai pas d’enfant », dit Gizi, « mais ceci est une affaire de famille ».

De gauche à droite : Istvan Feher, Aron Feher et David Feher jouent au Giero Pub, à Budapest, le 12 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)

Feher était un prodige du cimbalom et son jeu lui a valu une série de récompenses. Ses fils Aron et David se joignent à lui à la contrebasse et à l’alto. Bien qu’ils ne soient encore que des adolescents, ils commencent eux aussi à remporter des concours à l’international. Au piano, le frère d’Istvan, Bela Feher, joue à la vitesse de l’éclair et avec des acrobaties qui ne sont pas sans rappeler Chico Marx.

Istvan Feher dit que les chansons juives que le groupe joue ont été gravées dans sa mémoire dès son plus jeune âge.

« Il y avait un jeune juif dans ma classe à l’école de musique, qui est devenu un ami », raconte Feher. « J’avais l’habitude d’aller avec lui à la synagogue. Je suis tout de suite tombé amoureux de ces chants de prière – ils m’ont tout simplement touché, je les ai sentis au plus profond de mon âme. »

Feher n’a jamais oublié cette musique, et a ensuite créé des arrangements complexes pour le cimbalom et les instruments d’accompagnement. Et si les Juifs et les Roms de Hongrie partagent un lien tacite à la suite du génocide de la Shoah qui a touché les deux communautés, le lien de Feher avec la musique provient certainement de son grand-père, Giero.

Le pianiste Bela Feher joue au Giero Pub, à Budapest, le 16 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)

Gizi elle-même semble considérer ses racines à partir de l’interprétation orthodoxe de la loi juive. « Mon père était Juif, mais je ne le suis pas », dit-elle en s’arrêtant un instant. « Mais j’ai peut-être hérité de son sens des affaires. »

Gizi s’occupe du pub depuis 32 ans, et a passé la majeure partie de sa vie en tant qu’indépendante. Elle a quitté son village natal de Balassagyarmat, près de la frontière slovaque, pour s’installer à Budapest avec sa famille lorsqu’elle avait 14 ans, afin que son père Giero puisse y jouer de la musique.

« J’ai des magasins depuis 1981 », dit Gizi. « J’ai eu une épicerie et un stand de légumes. Au départ, ce devait être un magasin d’antiquités, parce que j’aimais, et j’aime toujours, les antiquités. Tout ce qui est vieux, tout ce qui est vintage, j’adore ça. »

« Nous essayons juste de joindre les deux bouts parce qu’ici, en Hongrie, il y a beaucoup de racisme à l’encontre des Gitans ; la situation n’y est pas bonne », dit-elle. « C’est vraiment difficile de faire tourner l’entreprise car il y a de gros poissons autour de moi. Beaucoup de gens ont essayé de me mettre en faillite. »

Tout comme dans une grande partie de l’Europe, la communauté rom de Hongrie est confrontée aux préjugés et aux embûches dans presque tous les aspects de la vie. Selon une étude récente, les femmes et les enfants sont particulièrement susceptibles d’en faire les frais. Les Roms sont surreprésentés en termes de pauvreté et nombre d’enfants sont retirés à leurs parents pour être placés dans des familles d’accueil ; ils sont parfois placés dans des classes séparées, voire dans des écoles spéciales, et sont fréquemment victimes de discrimination en matière de logement – sans compter les préjugés dont ils sont victimes indépendamment de leur statut social, et ce au quotidien.

« Je n’irai pas jusqu’à dire que je préférais le communisme », dit Gizi. « Mais la haine qui existe aujourd’hui n’existait pas à l’époque. Je ne vais pas pleurer le retour du communisme parce que nous sommes libres maintenant. Mais pour nous, les Tsiganes, il y a encore énormément à faire dans de nombreux domaines pour que nous soyons acceptés. »

« S’il y a un poste à pourvoir et que neuf personnes tsiganes postulent et une personne blanche, ils prendront la personne blanche non tsigane », affirme-t-elle. « Donc je vous le dis, nous sommes confrontés à beaucoup de problèmes. Et pas seulement en tant que Tsiganes – les Juifs ont aussi beaucoup de problèmes. Mais ici, nous sommes une caste différente. Si notre jeune génération étudie, cela pourra être différent – la seule façon de s’en sortir est d’étudier, étudier, étudier. Mais c’est vraiment difficile, avec toute la ségrégation scolaire qui sévit ici. »

Gyulane Farkas tient fièrement un livre dans lequel un article a été publié sur elle au Giero Pub, à Budapest, le 12 mai 2022. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)

S’il y a un domaine où les Roms hongrois – bien qu’ils soient peu nombreux – sont tenus en haute estime par la société en général, c’est bien la musique.

Gizi brandit une autre photo de sa collection. « La journaliste qui a pris cette photo de moi est une journaliste d’un journal partisan du Fidesz », dit-elle. (Le parti Fidesz au pouvoir est considéré par beaucoup comme étant clairement anti-Roms.)

« Elle m’a dit avoir toujours considéré que Tante Gizi – c’est-à-dire, moi – enseigne aux jeunes de Budapest ce qu’est la bonne musique. C’est de la musique hongroise, mais les Tsiganes en ont fait de la musique mondiale, car elle est mondialement connue. »

Ironiquement, Gizi dit que le fait même qu’elle soit Rom porte préjudice au pub.

« Hier, une célèbre star de cinéma hongroise et son compagnon nous ont rendu visite. Les étrangers trouvent cet endroit parce que c’est un quartier où il y a beaucoup de touristes ; ils entendent la musique et entrent », dit Gizi. « Mais je vais vous dire, si ce commerce appartenait à quelqu’un qui n’était pas Gitan, les affaires se porteraient mieux. »

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