Cafe Otef, lancée par et pour les survivants du 7 octobre, s’étend dans plusieurs villes
Employant des personnes touchées par le pogrom et en soutien aux kibboutzim, il propose des produits de la région dévastée, fromages, miel, confitures et gâteaux
JTA – Une femme au visage amaigri et au pantalon de pyjama déchiré entre d’un pas hésitant dans le café Otef, situé dans un quartier en plein essor mais encore brut de Florentin à Tel Aviv. Elle fait un geste en direction du distributeur d’eau, et Ziv Hai, un employé du café, lui tend un verre tandis que la propriétaire, Reut Karp, lui offre une cigarette.
« Nous n’en avons pas dans notre région », explique Hai au sujet des personnes apparemment sans domicile fixe. « Apprendre à gérer cela a aussi fait partie du chemin. »
Hai est loin de chez lui, mais ce n’est pas un café ordinaire. Fondé par Tamir Barelko, un entrepreneur dans le monde culinaire, il s’agit du deuxième établissement de la chaîne Cafe Otef. Otef est le nom donné en hébreu à la région d’Israël limitrophe de Gaza qui a été le théâtre, le 7 octobre 2023, d’un pogrom perpétré par des terroristes du groupe palestinien du Hamas, au cours duquel ils ont massacré plus de 1 200 personnes et en ont kidnappé 251 qu’ils ont emmenées dans la bande de Gaza.
Le premier établissement a ouvert ses portes sous la forme d’un pop-up dans le complexe huppé de Sarona à Tel Aviv, où travaillent des habitants de Netiv Haasara, l’une des communautés frappées par le pogrom. Le café Otef-Reïm rend hommage au kibboutz éponyme, envahi par 80 terroristes qui y ont assassiné sept personnes et en ont kidnappé quatre autres. Le kibboutz se trouve également à proximité du site du massacre du festival de musique Supernova.
Entièrement géré par des résidents déplacés des communautés meurtries du sud, le café propose une large gamme de produits de la région : fromage de Beeri, miel du kibboutz Erez, confitures, pâtes à tartiner, granola et gâteaux spéciaux, ainsi que des articles de marque tels que des T-shirts, des bouteilles d’eau et des tabliers – tous provenant de petits producteurs affectés par le pogrom.
Mais la véritable pièce maîtresse reste le chocolat, fabriqué à partir des recettes de Dvir Karp, le défunt ex-mari de la propriétaire, assassiné le 7 octobre sous les yeux de leurs enfants, alors âgés de 10 et 8 ans.
Reut Karp a raconté que pendant la pandémie du COVID, « quand nous pensions tous que nous allions tous y passer », elle avait exhorté son ex-mari à mettre par écrit ses recettes de chocolat. Malgré sa réticence initiale – il insistait sur le fait qu’il les connaissait toutes par cœur –, il avait finalement accepté. Après l’assassinat de Dvir, Reut s’est sentie investie d’une profonde responsabilité pour préserver son héritage. Elle pense que Dvir aurait été fier de la nouvelle identité donnée à ses chocolats, avec notamment un logo inspiré de la marque de luxe Cartier, même si, dit-elle, il lui aurait sans doute dit qu’elle a exagéré en plaisantant.
La majorité des habitants de Reim ont été évacués vers des immeubles résidentiels à proximité, dans le quartier de Florentin, tandis que Ziv Hai, originaire d’un autre kibboutz situé près de la frontière avec l’Égypte, avait d’abord été relogé avec sa famille à Ofakim, une petite ville près de Beer Sheva. En avril, il a déménagé à Tel Aviv, où il dit avoir vécu un choc culturel intense.
« Au début, je me suis demandé ce que je faisais ici et j’avais envie de repartir », a-t-il déclaré. Avec le temps, il s’est toutefois adapté à la vie urbaine et il a retrouvé un sentiment d’appartenance grâce à son travail au café, qui a ouvert ses portes cet été-là.
« J’ai l’impression d’avoir laissé une partie de moi-même derrière moi à Sufa, et ici, à Tel Aviv, j’essaie de me reconstruire. Le café m’offre un endroit où je peux me sentir à l’aise », a-t-il confié. « Ici, je peux me permettre de faire de l’humour noir, que tout le monde comprendra – parce qu’ils viennent aussi du sud. »
Reut Karp, copropriétaire d’un autre café qui propose les chocolats Dvir’s dans le sud d’Israël, a été approchée par Tamir Barelko pour diriger la succursale de Reim. Elle a refusé, invoquant ses responsabilités envers ses trois enfants, encore profondément marqués par le traumatisme du pogrom (Karp était absente le week-end du 7 octobre).
Déterminé à l’impliquer, Barelko a désigné des directeurs pour assurer la gestion quotidienne des opérations, permettant ainsi à Karp d’occuper un rôle de propriétaire et d’hôtesse.
Ce rôle convenait parfaitement à Reut Karp, qui se dit reconnaissante. « Au cours des six derniers mois, j’ai souvent remercié Dieu d’avoir cet endroit qui m’oblige à sortir du lit. Et tous les employés disent la même chose », confie-t-elle, en précisant qu’un des employés avait perdu toute sa famille dans les massacres.
Le café est devenu un lieu de rassemblement pour les personnes directement touchées par les événements du 7 octobre – survivants du festival de musique Supernova, parents endeuillés, et autres – tout en offrant à ceux qui n’ont pas été directement affectés un espace où ils peuvent partager leur histoire et retrouver un sens à leur vie.
« Ils recherchent un véritable sentiment d’appartenance et veulent s’assurer qu’il ne s’agit pas juste d’un simple gimmick », a expliqué Karp.
« Les gens disent toujours que les habitants de Tel Aviv vivent dans une bulle, qu’ils passent leur temps dans les cafés pendant que des soldats se battent et que des otages sont piégés dans les tunnels du Hamas », ajoute-t-elle. « Mais ici, les gens peuvent savourer un café sans ressentir de culpabilité. »
Grâce à son emplacement central, le café est également devenu un point de rencontre naturel pour les personnes évacuées des régions nord et sud d’Israël, relogées dans la ville. Karp souligne la camaraderie unique qui s’est développée entre ces deux groupes, décrivant « une compréhension commune de ce que signifie être déplacé dans son propre pays ».
Comme pour illustrer ces propos, une femme âgée du kibboutz Manara, dans le nord, s’approche pour échanger avec Karp sur sa récente visite dans son kibboutz – la première depuis l’accord de cessez-le-feu conclu fin novembre avec le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, fin novembre. Leur conversation, ponctuée de rires qui semblent presque déplacés au vu de la situation, tourne autour des défis de la reconstruction.
« Il faudra au moins dix ans pour tout reconstruire », constate la femme en souriant. Plus de 70 % des maisons de Manara ont été endommagées, et des fragments de roquettes jonchent encore le sol, poussant certains habitants à comparer leur village à Tchernobyl.
Les deux femmes se serrent dans les bras avant que la plus âgée ne s’éloigne, une scène qui se reproduira à plusieurs reprises tout au long de l’après-midi.
« Parfois, les gens me reconnaissent à la suite de mes apparitions à la télévision, mais certains hésitent à venir me parler ou à me serrer dans leurs bras », confie encore Karp. « Pourtant, ce contact est pour moi comme un véritable chargeur humain. »
Sur les 450 résidents de Reim, environ une centaine sont retournés chez eux. Toutefois, selon Karp, de nombreux voisins temporaires à Tel Aviv ressentent des émotions partagées face à ces départs. « D’un côté, ils sont heureux de nous voir rentrer chez nous, mais de l’autre, ils aimeraient que nous restions. Notre présence ici a permis de donner un visage au 7 octobre », explique-t-elle.
L’anémone rouge, ou kalanit – la fleur nationale d’Israël, omniprésente dans la région de Reim – est aussi omniprésente dans le café : brodée sur les uniformes du personnel, imprimée sur les gobelets à emporter et exposée sur les objets en céramique mis en vente.
Pour le reste, peu d’éléments dévoilent explicitement la mission profonde du café. L’un des signes les plus discrets est une affiche sobre accrochée au mur, où un texte minuscule en spirale passe presque inaperçu.
Créée par Adi Drimer, un professeur d’art, originaire de Reim, cette œuvre contient les messages bouleversants échangés sur le groupe WhatsApp du kibboutz le 7 octobre. Karp y souligne son propre appel glaçant de ce jour-là, lorsqu’elle suppliait les membres du kibboutz de sauver ses enfants : « Urgent ! Urgent ! Daria et Lavi sont seuls », peut-on lire. « Dvir a été assassiné. »
Karp explique que la décision de ne pas faire du café un lieu ouvertement marqué par le pogrom a été délibérée, afin de respecter ceux qui préfèrent séparer leur café de leur chagrin.
« Nous ne voulons pas non plus sombrer dans la tristesse », ajoute-t-elle. « C’est un lieu de renouveau, et voir que nous avançons inspire les autres à en faire autant. »
Barelko nourrit de grands projets pour la chaîne. Deux nouveaux établissements devraient ouvrir dans les prochaines semaines : l’un à Rehovot, baptisé Café Otef-Sderot, destiné aux habitants de cette ville du sud, et l’autre, curieusement nommé Café Otef-Kiryat Shmona, en hommage aux résidents de la ville du nord déplacés pendant quatorze mois.
Il prévoit également de lancer des camions-restaurants dans différentes régions du pays et d’étendre l’initiative en y intégrant des soldats invalides de guerre, dont le nombre est estimé à plusieurs milliers.
« Finalement, nous avons compris qu’il s’agissait de la meilleure approche pour la réinsertion. Elle permet de construire à la fois l’espoir et la résilience », a-t-il déclaré.
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