Ces survivants de la Shoah hollandais s’aiment à la folie depuis 70 ans
Un tout nouveau documentaire a raconté l'histoire d'amour unique qui a lié ces nonagénaires et leurs racines ancrées dans la tragédie
AMSTERDAM (JTA) — Plus de 70 ans se sont écoulés depuis que Meijer van der Sluis a pour la toute première fois posé les yeux sur l’amour de sa vie. Il se trouvait dans un foyer pour les enfants survivants de la Shoah et il lui a ouvert la porte.
Il se souvient encore de ses cheveux courts et des vêtements qu’elle portait ce jour-là.
« C’était un manteau noir de l’armée », s’exclame van der Sluis, 91 ans, qui vit à Amsterdam, évoquant son épouse, Tedje, dans un documentaire applaudi par la critique et qui a été diffusé le mois dernier aux Pays-Bas.
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« J’ai été frappé de plein fouet. Je suis tombé amoureux. C’était une lumière à l’intérieur de moi », ajoute-t-il, se souvenant de leur rencontre en 1945 alors qu’ils étaient tous deux adolescents.
Sept décennies plus tard, l’histoire touchante du couple a été racontée dans les médias de tout le pays parce qu’elle est émouvante, intime et dramatique à la fois. Mais son intensité incarne aussi le traumatisme collectif d’une communauté qui a été frappée plus fortement que n’importe quelle autre en Europe occidentale durant la Shoah, lorsque les nazis ont exterminé 75 % des Juifs néerlandais.
A travers le film d’une heure intitulé « Tedje & Meijer: la promesse de l’amour », les deux nonagénaires se serrent dans les bras, s’embrassent, se frôlent le nez et plaisantent alors qu’ils sont assis, les bras étroitement liés, chacun d’entre eux la main posée sur le genou de l’autre. Ils se donnent des noms doux, « poepie », ou « mon ange » en néerlandais, entre autres démonstrations d’affection.
Leurs enfants, Ruben et Mirjam, confient à la caméra que leur père ne peut vivre une vie normale lorsque son épouse est malade. Selon Mirjam, « il devient dépressif ».
Lorsqu’il travaillait encore, Meijer revenait déjeuner tous les midis – une habitude peu ordinaire dans un pays où la pause-déjeuner est typiquement courte et est constituée de sandwichs à température ambiante avalés sur le lieu de travail. Mais ce n’était pas pour passer du temps avec ses enfants, ajoute sa fille.
« Je pense que c’est parce qu’ils ne pouvaient pas passer une seule journée loin de l’autre », dit Mirjam de ses parents.
« Tant que je vois Tedje autour de moi, je suis heureux, je suis content », explique Meijer dans le documentaire. « Tedje m’a rendu complet ».
Tandis que le couple adore ses enfants, l’amour qu’ils se portent l’un à l’autre « était si fort, si intense » lorsque les enfants grandissaient « qu’il n’y avait de place pour personne entre eux deux. Pas même pour leurs enfants », raconte Mirjam.
Mais ce qui commence comme un documentaire sur les effets d’une relation familiale inhabituelle évolue comme l’exploration des racines tragiques du lien particulier existant entre les époux – les effets de la tragédie sur au moins deux générations de Juifs néerlandais.
Officiellement, le foyer où s’est rencontré le couple était un lycée appelé GICOL, ouvert à ceux dont l’éducation secondaire avait été interrompue en raison de la Seconde Guerre mondiale. En réalité, toutefois, il fonctionnait comme un orphelinat pour les enfants juifs qui avaient survécu dans la clandestinité alors que leurs familles entières étaient assassinées durant la Shoah.
« Nous avons perdu tout le monde, bien sûr », dit Meijer dans le documentaire qui a été produit par la division de programmation juive de la chaîne publique EO. « Nous étions presque tous orphelins, nous avons perdu toutes nos familles ».
Il s’était caché dans les combles du domicile familial d’Amsterdam quand les nazis avaient emmené sa soeur et ses parents qui devaient tous être assassinés. Meijer et son frère aîné avaient alors survécu pendant tout le reste de la guerre en se cachant dans le nord d’Amsterdam. Son plus grand regret aura été de ne pas avoir pu sauver sa soeur, comme il le dit dans le documentaire.
« Nous n’avions plus de foyer, rien. Personne que nous connaissions n’était encore en vie », explique-t-il.
Tedje avait 12 ans quand son père et sa soeur ont été emmenés au camp de concentration de Westerbork et plus tard à Auschwitz. Elle avait été arrêtée plus tard et demandé d’être envoyée également là-bas. Mais elle avait été transportée vers un autre camp, puis de là à Auschwitz. Sa mère était décédée avant la Shoah lorsqu’elle était âgée de huit ans.
Dans l’un des nombreux articles parus dans les médias sur le film, sa réalisatrice, Heleen Minderaa, a dit au quotidien NRC Handeslblad qu’être seuls au monde a eu un effet décisif dans la relation entre Meijer et Tedje, dont le vrai nom est Rika (Son père lui avait donné le surnom de « mon ours en peluche » en néerlandais, un surnom qu’elle a adopté à l’âge adulte : Tedje).
« Cet enchevêtrement des deux personnalités est probablement dû à leur déracinement durant la guerre », a commenté Minderaa. Leur apparente incapacité à être l’un sans l’autre « ressemble à une solution trouvée à leur problème de ne plus appartenir à nulle part. Ils sont la racine l’un de l’autre ».
Meijer dit qu’il a longtemps ressenti la nécessité « de compenser la douleur causée à son épouse. Mais, ajoute-t-il, ce désir est « naïf ».
« Ce n’est pas quelque chose que je peux espérer faire, je réalise maintenant que je suis vieux », ajoute-t-il.
Mirjam, la fille du couple, considère leur relation comme un pacte passé.
« Ils se sont mis d’accord pour avancer ensemble et pour créer quelque chose de bon à partir de tout ce qu’ils ont vécu », explique-t-elle. « Ils se le sont promis l’un à l’autre ».
Meijer dit de ses deux enfants : « Nous avons tenté de ne pas les bloquer dans une identité d’Auschwitz. Nous avons tenté de ne pas être comme ces gens qui parlent toujours des persécutions, qui parlent toujours d’Auschwitz ».
Mais comme de nombreux survivants de la Shoah dont la famille entière a été assassinée, avancer, après le génocide, a été un dur combat.
« C’est comme si chaque soir, autour de la table du dîner, Auschwitz était assis avec nous pour manger un morceau », explique Mirjam. Les fêtes d’anniversaire étaient constituées de « cinq minutes pour parler météo, trois minutes pour parler de nourriture et tout le reste, on parlait de la guerre ».
Au moins une fois par semaine, Meijer notait l’anniversaire d’un proche qui avait été assassiné.
Lorsque Mirjam a, une fois, peinturluré ses bras, sa mère lui a demandé d’arrêter parce que ça la mettait « mal à l’aise » – cela lui rappelait le tatouage du numéro que les nazis lui avaient donné à Auschwitz.
Ruben, le fils du couple, est devenu rabbin mais il s’est installé à Zurich.
« C’est comme si chaque soir, autour de la table du dîner, Auschwitz était assis avec nous pour manger un morceau »
« Dans la communauté juive néerlandaise, il y a une préoccupation constante de la Shoah que j’ai trouvée suffocante et dont j’ai eu besoin de m’éloigner. Les synagogues n’ont pas été détruites de la même manière ici », dit-il en évoquant la Suisse, que les Allemands n’avaient pas occupée. « On se sent plus à l’aise ».
A Amsterdam, Meijer et Tedje interviennent dans les écoles pour parler de la Shoah.
« Ce n’est pas une histoire joyeuse que je vais vous raconter », dit Meijer aux élèves dans son introduction.
« Mais la fin est heureuse. Nous sommes cette fin heureuse ».
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