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Analyse

Chantre de la lutte contre l’antisémitisme, Biden part à un moment de fort regain

C'est sous le mandat du président sortant qu'est née la première stratégie nationale de lutte contre l'antisémitisme, dotée d'un envoyé spécial - sans effet sur le pic antisémite de l'après 7 octobre

Le président américain Joe Biden prend la parole depuis le Musée international afro-américain de Charleston, en Caroline du Sud, le 19 janvier 2025. (Crédit : AP Photo/Stephanie Scarbrough)
Le président américain Joe Biden prend la parole depuis le Musée international afro-américain de Charleston, en Caroline du Sud, le 19 janvier 2025. (Crédit : AP Photo/Stephanie Scarbrough)

La date du 25 avril 2019 avait été celle d’un moment extraordinaire dans l’histoire des Juifs américains : en effet, pour la première fois, un candidat à la présidence des États-Unis avait fait part de sa volonté de s’attaquer à l’antisémitisme.

Ce candidat était Joe Biden.

Au début, Biden ne semblait pas très désireux de se présenter aux élections de 2020. Mais tout avait changé après un défilé néonazi à Charlottesville, en Virginie, en 2017 – une manifestation qui avait repris des slogans auxquels le père de Biden l’avait sensibilisé et qui représentaient ce qu’il pouvait y avoir de pire dans la nature humaine.

A l’issue de ce défilé extrémiste, le président américain de l’époque, Donald Trump, avait dit que « les torts étaient partagés » et que « des gens très bien » avaient paradé aux côtés des « néonazis et des nationalistes blancs ».

Trump, que certains extrémistes considèrent comme un allié, avait donné le sentiment de ne pas souhaiter condamner ce défilé meurtrier.

Cela avait été dans ce contexte que Biden avait fait de la protection des Juifs le cœur de sa campagne. Il avait évoqué des manifestants « montrant les dents, celles du racisme, et scandant une bile antisémite entendue en Europe dans les années 1930 » – sans oublier de mentionner la réaction de Trump au meurtre de Heather Heyer, la contre-manifestante qui avait perdu la vie à Charlottesville.

« C’est là que nous avons entendu des propos de la bouche du président des États-Unis qui ont stupéfié le monde entier et qui ont choqué la conscience de ce pays », avait déclaré Biden dans une vidéo, tout en reprenant plus tard la phrase « des gens très bien ».

Le fait de mettre la sécurité des Juifs au coeur d’une campagne présidentielle peut sembler novateur pour un candidat lambda, mais pas pour Biden, explique William Daroff, PDG de la Conference of Presidents of Major American Jewish Organizations [NDLT : Conférence des présidents des principales organisations juives américaines].

Tout au long des 50 années passées au service du public, Biden aura, à plusieurs reprises, évoqué ce que son père, à Scranton, en Pennsylvanie, lui avait conseillé de faire, à savoir aider les Juifs.

« Il est de la vieille école », souligne Daroff, avant d’ajouter que Biden, « un peu à l’ancienne, part du postulat que le peuple juif a besoin d’amis et d’alliés, et que la lutte contre l’antisémitisme se mène au quotidien, avec toutes ses forces ».

Une fois au pouvoir, Biden avait pris des mesures pour lutter contre l’antisémitisme, avant et après l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023 – une attaque qui avait radicalement changé la donne pour les Juifs, aux États-Unis comme ailleurs dans le monde. Biden a été le premier président américain à avoir mis en oeuvre une stratégie nationale de lutte contre l’antisémitisme.

L’envoyée spéciale des États-Unis pour combattre et surveiller l’antisémitisme, Deborah Lipstadt, s’exprimant lors d’une conférence sur les interdictions de l’abattage rituel qui ont été proposées et approuvées dans les pays européens, à Bruxelles, le 20 octobre 2022. (Crédit : Département d’État américain)

Au moment de quitter ses fonctions, son bilan sur la question est mitigé : les actes antisémites enregistrés atteignent des niveaux records – et la tendance est mondiale. Et désormais, c’est l’homme qui, selon Biden, n’a rien fait contre l’antisémitisme tout en faisant preuve d’autoritarisme, qui va lui succéder à la Maison Blanche.

« L’antisémitisme, la haine et l’extrémisme au sens large, ainsi que la démocratie, ont été au cœur de son action de ces quatre dernières années », assure Amy Spitalnick, directrice générale du Jewish Council for Public Affairs [NDLT : Conseil juif pour les affaires publiques], une organisation qui s’est énergiquement emparée des stratégies de Biden pour lutter contre l’extrémisme. « Peut-être que le débat public devrait davantage refléter l’impact direct et bien réel de la haine, de l’extrémisme ou de la démocratie sur les gens. »

Dès sa prise de fonctions, Biden avait immédiatement chargé le ministère de la Sécurité intérieure de lui proposer une stratégie pour traquer les terroristes américains, extrémistes de droite compris, prenant ainsi le contre-pied de Trump, qui avait minimisé la menace.

Le président américain Joe Biden, avec à sa droite la vice-présidente Kamala Harris et son mari Doug Emhoff, prenant la parole lors d’une réception pour célébrer la nouvelle année juive dans la East Room de la Maison Blanche, à Washington, le 30 septembre 2022. (Crédit : Susan Walsh/AP)

Pour autant, des membres de la communauté juive n’ont pas été très satisfaits de l’approche de Biden – une approche qui a consisté à regrouper les mesures de lutte contre la haine sous une dénomination unique. Certains se sont même plaints de moments dérangeants – comme à l’occasion d’un sommet à la Maison Blanche, en septembre 2022, rassemblant diverses confessions, avec un intervenant qui avait même comparé l’événement à « une grand-messe ».

Des actes antisémites particulièrement médiatisés allaient émailler les mois suivants, comme en témoigne l’artiste connu sous le nom de Ye, qui avait tenu des propos antisémites avant de dîner en compagnie de Trump et d’un négationniste de la Shoah. Elon Musk, juste après le rachat de Twitter, avait permis aux extrémistes de revenir sur la plateforme.

À la fin de cette même année, Biden semblait avoir compris que l’antisémitisme était un phénomène unique en son genre. Il avait donc chargé Doug Emhoff, le « second gentleman » juif, de présider un groupe de travail chargé d’élaborer une stratégie de lutte contre l’antisémitisme – stratégie qui avait été mise en oeuvre en mai 2023, soit quatre mois avant le pogrom commis par le Hamas le 7 octobre et la vague d’antisémitisme qui s’était déployée dans son sillage aux Etats-Unis.

Le « second gentleman » Doug Emhoff prononce une allocution lors de la cérémonie d’inauguration du nouveau complexe Tree of Life à Pittsburgh, le dimanche 23 juin 2024. La nouvelle structure remplace la synagogue Tree of Life dans laquelle 11 fidèles ont été assassinés, en 2018, dans l’acte antisémitie le plus meurtrier de toute l’histoire des États-Unis. (AP/Rebecca Droke)

Selon Sheila Katz, directrice générale du Conseil national des femmes juives, cette convergence de dates est le fruit du hasard mais les systèmes mis en place par cette stratégie ont permis au gouvernement de réagir dès le début de la crise.

« Heureusement que les agences gouvernementales avaient commencé à travailler avant le 7 octobre et qu’elles ne sont pas parties de zéro », estime Katz. « Lorsqu’avec d’autres dirigeants juifs, nous allions voir les ministères de l’Éducation, de la Justice ou de la Sécurité intérieure, nous avions une feuille de route commune nous permettant de leur demander : ‘Où en êtes-vous sur tel ou tel sujet ?’, » se souvient-elle.

Des pancartes affichées à l’extérieur d’un campement de tentes à l’Université Northwestern, à Evanston, dans l’Illinois, le 26 avril 2024. (Crédit : Teresa Crawford/AP)

La lettre envoyée par le ministère de l’Éducation aux établissements d’enseignement pour les avertir que l’inaction face à l’antisémitisme sur les campus les priverait de fonds fédéraux a été l’un des exemples de la stratégie mise en oeuvre suite au 7 octobre, ajoute-t-elle. Depuis, le ministère a ouvert des dizaines d’enquêtes suite à des plaintes pour antisémitisme dans les universités : certaines ont donné lieu à des accords conçus pour se prémunir contre de nouvelles mésaventures.

À bien des égards, cela n’a pas paru suffisant. Organisations de surveillance et forces de l’ordre ont signalé un regain des actes antisémites, et les sondages ont montré que l’antisémitisme inquiétait de plus en plus les Juifs.

La Chambre des Représentants, dirigée par les Républicains, s’est montrée à l’avant-garde de la lutte contre l’antisémitisme en organisant des audiences qui ont radicalement changé la donne sur certains campus, à commencer par la destitution des présidentes de Harvard et de l’Université de Pennsylvanie.

La présidente de l’université de Harvard, Claudine Gay (à gauche), à côté de la présidente de l’université de Pennsylvanie Liz Magill lors d’une session de la commission d’Éducation au Capitole, à Washington, le 5 décembre 2023. (Crédit : Mark Schiefelbein/AP Photo)

La tâche de Biden et des Démocrates aura été compliquée par la focalisation, de la part d’éléments clés de la base progressiste du parti (étudiants et organisations activistes de gauche), sur les manifestations contre la guerre à Gaza et contre le soutien apporté par Biden à Israël. Ces manifestations et actions ont souvent témoigné d’un soutien affiché au Hamas et à d’autres organisations terroristes.

Les Juifs des Etats-Unis s’étaient sentis rejetés par la gauche, et certains Démocrates avaient, eux, pris leurs distances avec Biden.

« Depuis, nombre de nos frères et sœurs juifs remettent en question le Parti Démocrate », avait ainsi expliqué Nikki Fried, présidente juive du Parti Démocrate de Floride, en octobre dernier.

« J’entends beaucoup parler de la Squad », avait-elle dit en parlant du petit groupe de Démocrates progressistes ouvertement critiques d’Israël. « Tout comme j’entends beaucoup parler de l’action de Kamala Harris, vous voyez, de ce que Joe Biden a fait ou pas. »

Les Démocrates juifs étaient inquiets et, lors d’un événement organisé pour le Mois du patrimoine juif américain à la Maison-Blanche, en mai dernier, ils avaient assailli les proches conseillers de Biden des questions qui leur avaient été rapportées de tout le pays.

Le représentant démocrate de New York Jamaal Bowman pendant une conférence de presse de rabbins appelant au cessez-le-feu dans la guerre opposant Israël au Hamas avec les autres membres de la « Squad », l’aile progressiste du Congrès, au Capitole de Washington, le 13 novembre 2023. (Crédit : Mandel Ngan/AFP)

La Maison-Blanche semblait ne pas avoir pris la mesure de ce qui se passait sur les campus – avec des événements qui troublaient fortement les étudiants juifs et leurs familles.

Fried s’est souvenue ultérieurement que la vice-présidente américaine, Kamala Harris, avait paru abasourdie en apprenant que les Juifs étaient profondément ébranlés par l’antisémitisme qui sévissait sur les campus. Quelque temps après, Biden prononçait un discours pour dénoncer l’antisémitisme sur les campus tout en rappelant le principe de la liberté d’expression.

L’antisémitisme était alors devenu un enjeu de la campagne électorale : Trump et ses partisans y avaient vu un moyen d’aller chercher des électeurs juifs qui donnaient habituellement leur voix aux Démocrates. La Republican Jewish Coalition [NDLT : Coalition juive républicaine] avait d’ailleurs diffusé un spot électoral dédié au mécontentement des « bulbbies » face à la gestion de l’antisémitisme sur les campus par Biden. Au final la grande majorité de Juifs aura voté pour Harris – mais des voix juives sont allées à Trump.

L’ancien président des États-Unis et candidat républicain à la présidence Donald Trump (à gauche) s’exprimant aux côtés d’Andrey Kozlov, un otage du Hamas secouru de Gaza par les soldats de l’armée israélienne, lors du sommet national du Conseil israélo-américain, à Washington, le 19 septembre 2024. (Crédit : Mandel Ngan/AFP)

Kenneth Marcus, qui fut l’un des plus hauts responsables des droits civiques au sein des gouvernements George W. Bush et Trump, rend hommage à l’engagement de principe de Biden contre l’antisémitisme, qu’il a qualifié de sans précédent, tout en ajoutant que la stratégie n’avait, elle, pas été à la hauteur et que Biden n’était pas parvenu à mettre en place les politiques de nature à endiguer cet antisémitisme.

« Il y a eu des moments, ces quatre dernières années, en particulier au lendemain du 7 octobre, où les responsables de Biden ont paru sur le point de prendre des mesures importantes. Mais cela n’a jamais vraiment marché », ajoute Marcus.

Lors des dernières semaines de son mandat, Biden a commué la peine de 37 condamnés à mort fédéraux – il y en avait au total 40. Parmi les trois détenus qui encourent toujours la peine de mort, il y a l’auteur du massacre de 11 Juifs à Pittsburgh, en 2018. Un massacre qui reste à ce jour le pire acte antisémite de toute l’histoire américaine, et qui a été en partie adossé à une théorie complotiste relayée par Trump lui-même.

Le raisonnement de Biden était on ne peut plus clair et direct, explique la Maison Blanche. « Il estime que l’Amérique ne doit plus faire usage de la peine de mort au niveau fédéral », « sauf dans les cas de terrorisme et de meurtres de masse motivés par la haine – ce qui explique que ses décisions d’aujourd’hui s’appliquent à tous sauf à ces cas particuliers. »

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