Comment Netanyahu et Cohen ont transformé les avancées avec la Libye en débâcle
Le Premier ministre était-il au courant du désir de son ministre des Affaires étrangères de médiatiser cette rencontre sans précédent, aux conséquences terribles ?
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Tout porte à croire que le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait été informé de la rencontre qui devait avoir lieu entre le ministre des Affaires étrangères Eli Cohen à Rome, la semaine dernière, et son homologue libyenne Najla Mangoush.
Netanyahu est fier – à juste titre – d’avoir signé les Accords d’Abraham en 2020, des accords qui devaient permettre à Israël de normaliser ses relations avec les Émirats arabes Unis, Bahreïn et le Maroc et de lancer un processus similaire avec le Soudan – un accomplissement qui avait nécessité de sa part, comme l’avaient demandé les EAU, de mettre de côté son plan d’annexion de pans significatifs de la Cisjordanie incluant toutes les implantations.
Il avait perçu dans ces accords la confirmation incontestable de sa certitude que, si les circonstances s’y prêtent, de nombreux États de la région sont finalement susceptibles d’établir des partenariats avec Israël – au vu du poids régional du pays, de ses capacités militaires et en matière de renseignement, de son économie basée sur l’innovation, et ce même en l’absence d’un règlement du conflit israélo-palestinien, même avec le renforcement des activités d’implantation en Cisjordanie.
Et il a continué sa quête de nouveaux partenaires pour l’État juif dans la région et au-delà, avec des interactions en coulisse, toujours d’actualité, qui se focalisent sur cette réussite majeure que représenterait un accord conclu avec l’Arabie saoudite, et avec de nombreux canaux de communication qui ont été ouverts discrètement avec d’autres États, généralement en coordination avec l’allié vital d’Israël, les États-Unis.

En conséquence, l’idée que Cohen ait pu se rendre à une rencontre sans précédent avec son homologue libyenne – une initiative lourde de sens dans un processus qui figure en tête de l’agenda du Premier ministre – sans que Netanyahu ne soit au courant est tout simplement impensable. Il est aussi raisonnable d’estimer qu’il est impensable que Cohen ait choisi de médiatiser cet entretien excessivement sensible, qualifié d’avancée « historique » par le ministre des Affaires étrangères, sans une coordination étroite avec Netanyahu.
Au moment où j’écris cet article, Netanyahu s’est refusé à dire s’il était dans le circuit, que ce soit avant ou après la réunion – préférant émettre une directive ambivalente, mardi, qui exige que toute réunion diplomatique secrète et que toute médiatisation de ce type de rencontre délicate soient approuvées au préalable par lui-même et par son bureau.
Au vu des dysfonctionnements et des rivalités intérieures qui divisent la Libye, le tout premier échange entre les ministres des Affaires étrangères israélien et libyen n’aurait probablement pas entraîné rapidement un processus menant, à terme, à une normalisation pleine et complète – mais ces échanges étaint remarquables par nature. La révélation faite par Cohen de la rencontre a non seulement défait cette réussite incontestable, mais elle a provoqué des dégâts beaucoup plus larges.
Si, comme l’a dit le ministère des Affaires étrangères en insistant, il y avait eu des fuites concernant la réunion et que des informations à son sujet étaient sur le point d’être publiées dans les médias, de telles circonstances n’exigeaient pourtant pas une confirmation officielle de ces pourparlers de la part de Jérusalem. Une simple absence de commentaire aurait suffi. Et s’il devait y avoir eu un danger tangible, alors la censure militaire aurait dû être imposée – comme c’est régulièrement le cas avec des informations potentiellement sensibles au sujet des États avec lesquels Israël n’entretient pas de liens au grand jour.
L’annonce satisfaite de Cohen a, sans surprise, entraîné des manifestations en Libye, un pays où l’hostilité à l’égard d’Israël est forte. Elle a obligé Mangoush à quitter en hâte le pays et le Premier ministre Abdul Hamid al-Dbeibeh — qui était lui aussi, c’est évident, au courant de la réunion – a d’abord suspendu sa cheffe de la diplomatie avant de se résoudre à la renvoyer.

Selon un responsable du Mossad, l’agence d’espionnage qui est souvent au centre des contacts secrets entre l’État juif et de potentiels États partenaires, un responsable dont les propos ont été largement relayés par les médias, Cohen a « brûlé le pont » qui était douloureusement en cours de construction entre le pays et la Libye.
« C’est irréparable », a-t-il estimé. L’annonce de Cohen a aussi entraîné la colère – c’était prévisible – des États-Unis qui auraient facilité les contacts entre Israël et le pays d’Afrique du nord.
Le ministère a indiqué qu’il avait été convenu avec la Libye que l’information portant sur la tenue de la réunion aurait été rendue publique, quoi qu’il arrive, dans les prochains jours. Si tel était le cas – avec un grand si – cela laisserait penser que le processus de normalisation était déjà très avancé. Et si tel était le cas – toujours avec un grand si – alors ce fiasco n’en est que plus dévastateur.
Mais plus ravageur encore, la révélation faite par le ministre des Affaires étrangères d’une réunion secrète aura envoyé une onde de choc à travers tous les alliés, partenaires et interlocuteurs d’Israël.
Pendant des années, avec des cafouillages occasionnels toutefois, Israël est parvenu à faire avancer des processus sensibles, clandestins, avec d’innombrables nations dans des contextes souvent complexes et le pays l’a généralement fait de manière responsables, amenant parfois ces processus à bon port en établissant des partenariats, en mettant en place une coopération stratégique, en défiant ses ennemis. Et l’idée que l’État juif puisse être, en effet, un allié digne de confiance a dorénavant été profondément mise à mal, ce qui pourrait avoir un effet répulsif pour de potentiels nouveaux partenaires.

De toute évidence, les Saoudiens sont encore courtisés en vue d’une une éventuelle normalisation avec Israël et, alors que les liens qu’ils entretiennent avec l’Iran se réchauffent, ils restent encore apparemment ouverts aux efforts livrés à cet effet par l’administration Biden (il serait peu sage d’accorder trop de signification à la prise en charge rapide, par l’Arabie saoudite, de l’atterrissage d’urgence d’un avion d’Air Seychelles à Jeddah, lundi soir, qui transportait 128 Israéliens : l’empressement du pays à autoriser l’atterrissage de l’appareil et l’hospitalité qui a été réservée aux passagers ont simplement démontré que l’Arabie saoudite était respectueuse de ses obligations dans le cadre des protocoles de déplacement aériens qu’elle a acceptés lorsqu’elle a permis aux avions de ligne internationaux en provenance et à destination d’Israël de traverser son espace aérien).
La fracture au sein de l’armée et dans le secteur des hautes technologies qui a été entraînée par le plan de refonte du système de la justice israélien, les signes croissants d’une économie qui vacille et les relations tendues entre l’administration Biden et la coalition actuelle risquent, d’ores et déjà, d’affaiblir l’attrait d’Israël. Un chef de la diplomatie trop bavard et un Premier ministre qui ne semble guère désireux de contrôler Cohen ou ses autres ministres pyromanes mettent encore davantage en péril toute perspective, au moins à court-terme, de connaître des avancées avec les Saoudiens et d’autres.
Ainsi, une fois encore, si Netanyahu était au courant que Cohen était sur le point de confirmer officiellement la rencontre et qu’il a fait le choix de ne pas intervenir, alors cela a été une erreur inconcevable, une erreur que le Netanyahu d’autrefois n’aurait jamais commise. Et s’il n’était pas au courant, alors pourquoi ne le savait-il pas ? Notre ministre novice des Affaires étrangères et ses huit mois d’ancienneté est-il réellement d’une telle arrogance, d’une telle soif d’attention médiatique et d’une telle inconséquence qu’il a tout bonnement pris la décision d’annoncer cette rencontre sans consulter le boss? Et dans ce cas, comment Netanyahu peut-il lui permettre de conserver une fonction d’une telle importance ?
Il n’est pas surprenant que Netanyahu ait gardé le silence. Toutes les réponses, en réalité, auraient été déplorables.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel